# CitizenX

14

18 mai 2024

Hier, ma fille a eu 14 ans. Le grand penseur Patrick Bruel a dit une fois, il y a deux choses que tu croyais connaître avant d’avoir des enfants et que tu ne connaissais pas. Quand tu as des enfants, tu sais vraiment ce que veut dire aimer et avoir peur. Aimer parce que l’amour que l’on porte à ses enfants, même si venu le temps de l’adolescence ils nous cassent bien les pieds, est inconditionnel et total. Et avoir peur car du jour de leur naissance à leur dernier, ce qu’aucun parent au monde ne veut avoir à vivre, vous aurez peur. Peur qu’ils tombent par terre, peur qu’ils tombent malade, peur qu’il soient tristes et quand ils seront tristes, vous serez encore plus triste qu’eux. Peur quand ils prendront un vélo ou conduiront une voiture, peur quand ils partiront tard faire la fête le soir et reviendront tôt le lendemain matin, s’ils reviennent. Peur qu’ils fassent de mauvaises rencontres, peur qu’ils se droguent, peur qu’ils dépriment, peur qu’ils ne soient pas heureux alors que tout ce que vous voulez, vous parent, c’est qu’ils soient tout simplement heureux. Avoir des enfants est sans doute la plus grande aventure humaine, une aventure immobile, pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour cela, pas besoin de gravir des montagnes ou de descendre au fond des océans, bien qu’il vous faudra vous accrocher à votre ceinture pour supporter les hauts et les bas l’ascenseur émotionnel qu’ils vous font prendre parfois.

Hier, ma fille a eu 14 ans. Je me souviens de tout. De sa naissance expresse, petit bout de crevette qu’elle était à la maternité. De ses premiers mois à la crèche avec sa copine Léa, qu’elle connaît encore aujourd’hui. Inséparables ces deux-là, disaient les assistantes maternelles. Je me souviens de son entrée à l’école, de son petit cartable, des photos qu’on faisait à chaque rentrée avec son frère à côté. Des séances d’initiation au théâtre, l’animatrice l’appelait son Ovni, faut dire qu’elle n’était pas à l’aise de se donner ainsi en spectacle, la pauvre, elle n’avait que quatre ou cinq ans et nous pensions que le théâtre était bon pour vaincre la timidité et gonfler la confiance en soi. Peut-être. Peut-être que non après tout. Je me souviens du premier concert où je l’ai emmenée, à sept ou huit ans, c’était le concert de Louane et comme je n’avais pas réussi à trouver des places assises, c’est moi qui lui ai servi de fauteuil pendant deux heures, mes épaules s’en souviennent encore. Je me souviens des « tounels » que nous franchissions sous les montagnes en allant en vacances, je me souviens d’elle faisant de la balançoire sur une plage bleue turquoise du bout du monde. Je me souviens de tous les bons moments.

Je me souviens aussi, malheureusement, des moins bons, des crises d’épilepsie, de la première en particulier, on se souvient toujours des premières fois, n’est-ce pas ? Je me vois encore dévaler les escaliers à fond les ballons avec ma gamine dans les bras, la fourrer dans la bagnole et foncer aux urgences sans m’arrêter aux feux rouges. Je n’avais jamais assisté à ce genre de crises de ma vie, je pensais sincèrement qu’elle était en train de mourir. Il y a aussi eu cette autre crise, le lendemain de l’incendie de Notre-Dame, nous étions à Arcachon, nous avions fait la fête avec des copains et au petit matin, j’étais encore alcoolisé. Je n’ai jamais désaoulé aussi vite, direction les urgences de Bordeaux. La bonne nouvelle de cet épisode, c’est qu’à Bordeaux ils ne trouvaient pas son traitement adapté, ils l’ont modifié et elle n’a plus refait de crise depuis. Merci le CHU de Bordeaux. C’est compliqué la médecine, compliqué de savoir à qui tu peux faire confiance ou non. Il le faut bien pourtant, car quand nous passons leurs portes, nous leur remettons ce que nous avons de plus cher. Alors forcément, ces moment-là ne s’oublient pas. Rien que d’y repenser, j’en ai les larmes aux yeux.

Les mêmes larmes qu’hier soir en fait, même si j’ai essayé de les cacher à l’intérieur de mes yeux, ce n’est pas moi qui pleure, disait Ugolin dans Jean de Florette, c’est mes yeux. Pas des larmes de tristesse, au contraire, des larmes de joie. Parce que ma fille venait d’avoir 14 ans, elle était née à 22h et des poussières, qu’elle a passé la soirée avec des copines dans un resto italien, qu’elle a reçu des cadeaux et des marques d’affection, d’amitié et qu’elle était heureuse de se sentir entourée et aimée. Quand on est parent, on fait tout ce qu’on peut pour obtenir ça et souvent on n’y arrive pas. On se bat contre leur flemmardise, pour les faire bosser leurs devoirs, on se bat contre le mobile, contre les jeux vidéo, pour la lecture, on se bat pour qu’ils réussissent dans la vie. Mais au fond, tout ce qu’on veut, c’est ça, qu’ils soient bien dans leurs baskets, qui nous coûtent fort cher fort souvent, qu’ils soient bien avec les autres et avec eux-mêmes.

Hier, ma fille a eu 14 ans et mes yeux ont pleuré.

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