Moi candidat
Souvent, mon pote Luc me dit, toi qui as des idées sur tout, et même sur rien, pourquoi tu ne te présentes pas à l’élection présidentielle. Bon j’avoue, c’est plutôt au moment du digestif qu’il me dit ça.
Certes j’aime bien débattre, échanger des points de vue, argumenter, mais l’idée de me présenter à une élection ne m’a jamais effleuré, même pas en me rasant. Et encore moins à l’élection présidentielle, cela va sans dire.
Ceci dit, l’idée est intéressante, sur le plan théorique du moins. Que ferais-je si je devais être candidat à l’élection présidentielle, moi un simple citoyen ordinaire.
Et pour ce faire, reprenons la technique de l’anaphore.
Moi candidat, je chercherai de l’argent.
Cela vous choque peut-être, autant que Richard Berry qui mange un Sveltesse(1), sans parler du reste, mais j’assume. Car c’est le nerf de la guerre. Pourquoi croyez-vous que Nicolas Sarkozy soit allé jusqu’en Libye pour financer sa campagne de 2007 ? Et que pendant des décennies, des valises de billets voyageaient entre les entreprises de BTP de la région parisienne et les caisses du RPR. Jacques Chirac supervisait lui-même la collecte, demandez à Alain Juppé ce qu’il en pense, lui qui a écopé d’un an d’inéligibilité pour financement illégal de parti politique. Money is king, dit-on chez les anglo-saxons. L’argent est roi. Obama nous le confie dès les premières pages de son autobiographie. Lors de sa première élection locale à Chicago, la première chose qu’il a entreprise, c’est la collecte de fonds, pour pouvoir ensuite composer son « staff » de campagne. Les Américains ne font jamais rien à moitié. Si tu te présentes à une élection, il te faut une équipe dédiée, une équipe de pro, salariés, et pour cela il te faut de l’argent pour les payer, beaucoup d’argent. Donc je chercherai de l’argent et je n’ai pas la moindre idée où. Contrairement à Macron, je n’ai pas travaillé chez Rothschild comme banquier d’affaire et n’ai pas de carnet d’adresses utiles. Carnet qu’il a pu continuer de faire grossir en tant que porte-parole de l’Elysée ou comme ministre de l’économie sous François Hollande. Contrairement à Nicolas Sarkozy, je n’ai pas de riches amis en Libye ou ailleurs, des amis prêts à m’acheter un tableau barbouillé à la va-vite plusieurs millions d’euros. Contrairement à Ségolène, je n’ai pas de parti politique et des milliers de petites mains pour aller distribuer des tracts et faire le tour des boîtes aux lettres. Contrairement à François Fillon, toute ma famille n’est pas rémunérée aux frais du contribuable. Moi, il ne me reste que l’emprunt perso auprès d’une banque mais vous connaissez l’adage, les banquiers ne prêtent qu’aux riches. Ils ne me prêteront de l’argent pour aller faire le rigolo sur les estrades que si j’en ai déjà un petit paquet en garantie, ce qui n’est pas le cas. Bref, mon aventure élyséenne s’achève à peine après avoir commencé faute de moyens financiers. Mais pour l’exercice de style, admettons que je trouve les financements nécessaires. Que faire ensuite ?
Moi candidat, je fonderai mon parti.
Eh oui, je ne vais pas partir à la guerre tout seul. Je dois donc fonder mon parti. Je dis parti mais on peut appeler ça comme on veut, mouvement, rassemblement, union, Les Républicains, la République en marche, la République fait une pause au bistrot du coin… qu’importe ! En tout cas, il me faudra être éloquent pour convaincre des milliers d’autres citoyens ordinaires de me suivre, de payer éventuellement une cotisation et surtout d’accepter de travailler sur la campagne sans être rémunéré. Après, Emmanuel Macron l’a fait, et en un temps record, pourquoi pas moi. Alors admettons.
Moi candidat, je perdrai mon job.
Bien entendu, à moins d’être mon propre patron, et dans ce cas je risque juste de perdre mes clients, ou fonctionnaire et de bénéficier de dispositions légales de le faire sans perdre mon poste, ou professionnel de la politique déjà élu (député, sénateur, maire etc.), je vois mal un salarié du privé comme moi aller voir le sien de patron et lui dire, hey boss je me présente à la prochaine élection présidentielle, vous me soutenez ? Mais bien sûr mon ptit gars, pas de problème, je t’encourage même ! Je t’encourage à me remettre ta lettre de démission et à aller voir ailleurs si j’y suis.
Vous imaginez franchement un dirigeant d’entreprise accepter qu’un de ses salariés se présente à une élection ? Quelles seraient les répercutions sur l’image de l’entreprise ? Je n’imagine pas qui que ce soit en responsabilité prendre ce type de risque.
Se présenter à une élection majeure comme l’élection présidentielle pour un citoyen ordinaire s’apparente par conséquent à larguer les amarres, comme les grands navigateurs, soit tu traverses l’océan, soit tu coules.
Vous me direz, et Arlette Laguiller ? Elle était bien salariée d’une banque. Oui en effet mais une banque, c’est un peu comme une administration, c’est tellement gros que les agissements de tel ou tel salarié, hormis peut-être le grand patron, n’ont aucune répercussion sur l’image de l’entreprise. La licencier aurait été plus dommageable que gagnant. Et j’imagine qu’en plus d’être active en politique, elle était syndiquée, et donc indéboulonnable.
Moi candidat, je perdrai mes amis.
Comme perdre mon job n’est pas suffisant, je perdrai aussi mes amis car il n’y a rien de plus clivant que la politique. Si vous voulez qu’un repas entre amis finisse en pugilat, lancez un sujet politique sur la table. Ou invitez Albert Dupontel (2). Alors imaginez que vous disiez, hey les amis j’ai une grande nouvelle à vous annoncer, je me présente à la prochaine élection présidentielle. Si vous penchez à gauche, vous perdrez vos amis de droite. Si vous penchez à droite, vous perdrez vos amis de gauche et si vous restez au centre, vous perdrez vos amis de droite et de gauche. Au final, vous finirez par perdre tous vos amis car personne n’aime les politiques.
Moi candidat, je perdrai ma famille.
Après mes amis, ce sera au tour de ma famille. Mes enfants se feront cracher dessus à l’école, leur vie deviendra invivable dans le public. Je devrai donc me ruiner pour les mettre en pension en Suisse ou en Angleterre, un endroit genre Poudlard où ils apprendront la magie avec des écharpes enroulées autour du cou. Ils m’en voudront à jamais, ne comprendront pas ce qu’ils ont pu faire pour mériter ça et je ne les reverrai que je jour de mon enterrement.
Ma femme (ou mon mari si j’étais une femme ou gay, ou de nouveau ma femme si j’étais une femme gay – rrr quel bordel de faire dans le politiquement correct) se fera harceler au boulot, elle perdra ses copines, se prendra un amant anonyme et un meilleur coup que moi et finira par me quitter pour retourner à sa vie d’avant, une vie ordinaire.
Moi candidat, je me ridiculiserai.
Car tous les candidats mineurs sont ridicules. Prenez Philippe Poutou, il a un nom sympa, un nom à faire des calins, mais personne ne le prend au sérieux. Jacques Cheminade, qui se présente à toutes les présidentielles depuis 40 ans, ridicule ! Jean Lassalle, l’homme à l’accent du sud qui fait des vidéos de campagne torse nu fendant des bûches avec sa puissante hâche, rigolo mais ridicule. François Asselineau, Nathalie Arthaud, Nicolas Dupont-Aignant, ridicules ! Benoît Hamon, ridicule pendant les primaires, ridicule pendant la campagne pour un score final ridicule. Le plus petit score de l’histoire du Parti Socialiste. Heureusement qu’il a fait liste commune avec les écolos, sinon il finissait en dessous du seuil fatidique de 5% permettant le remboursement des frais de campagne.
Moi citoyen ordinaire candidat à l’élection présidentielle, je serai comme tous les autres, ridicule.
Ceci dit, il y a parfois des candidats ridicules qui gagnent. François Hollande par exemple, quand il lance sa campagne en 2011, les premiers sondages lui donnent 3% d’intention de vote. A ce moment, je me revois encore prononcer cette phrase lourde de conséquence : « Si Hollande gagne, je veux bien m’en occuper une ! » Depuis je boîte. Merci DSK !
Moi candidat, je finirai ruiné.
C’était écrit. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’aucune banque n’a voulu me prêter d’argent dans l’introduction de cette anaphore. Il faut parfois savoir écouter les banquiers. En dessous de 5% des votes au premier tour, les frais de campagne ne sont pas remboursés, ce qui signifie que tout candidat non soutenu par un parti ou une organisation quelconque, devra tout rembourser avec ses propres deniers, et une campagne nationale, c’est au moins plusieurs millions d’euros, soit une véritable fortune pour un citoyen ordinaire.
Obama a perdu pas mal d’argent lors de sa première défaite électorale, ce qui ne l’a pas découragé mais l’a obligé à ne pas se foirer à la suivante, sinon il finissait à la rue, pas de filet de sécurité là-bas. Son plan était, c’est écrit noir sur blanc dans sa biographie, de se rattraper via la vente de livres que sa nouvelle notoriété occasionnerait. Les droits d’auteur faisaient partie de son modèle économique prévisionnel et force est de constater que le plan a fonctionné à merveille car les ventes de ses différents ouvrages, ainsi que ceux de son épouse Michelle, leur ont rapporté des dizaines de millions de dollars. Mais qui achèterait le bouquin de Philippe Poutou ou celui de Benoît Hamon au titre on ne peut plus explicit (Ce qu’il faut de courage), à part à la fête de l’huma ? Personne !
Moi candidat, j’avais pourtant des idées !
Mais mon pauvre, qui s’intéresse aux idées ? Arrête de jouer les naïfs. Hormis les idées les plus stéréotypées qui consistent à taper sur les immigrés, les chômeurs, les fonctionnaires, les impôts, les riches, les grands patrons… personne ne s’intéresse aux idées.
C’est comme les programmes présidentiels, personne ne les lit car tout le monde sait que très peu de promesses seront respectées, à part celles qui bénéficient à des catégories qui vous ont permis de gagner, je pense bien entendu à la suppression de l’impôt sur la fortune, promesse immédiatement respectée par Emmanuel Macron. Même Sarkozy n’avait pas osé.
Les programmes ne sont même pas rédigés par les candidats eux-mêmes la plupart du temps, mais par une poignée d’experts à qui on a dit, hey vous là, le binoclard, la tête d’oeuf et l’énarque, pondez-nous un programme qui tiennent la route, un truc pas trop compliqué à comprendre par les sans-dents, un truc qui fasse un peu rêver mais pas trop, faudrait pas qu’ils s’aperçoivent qu’on les prend pour des cons non plus. Coluche avait dit : « Ça fait beaucoup marrer les gens de voir qu’on peut se moquer de la politique, alors que dans l’ensemble, c’est surtout la politique qui se moque de nous. » Tu nous manques Coluche. Lui non plus n’est pas allé au bout de sa candidature à l’élection présidentielle de 1981.
Lors de l’élection 2007, Ségolène Royal avait demandé : « Mais qui est ce Monsieur Besson dont on me rabat les oreilles. » C’est l’homme qui a coordonné la rédaction de votre programme, Madame Royal ! Ah oui ? Tiens donc, j’ai un programme, formidable nouvelle. Résultat, le bien nommé Besson s’est empressé d’aller rejoindre les rangs des soutiens de Nicolas Sarkozy et en deviendra l’un de ses ministres.
Les idées, ça n’a jamais fait gagner une élection.
Ok dans ce cas, plus qu’une chose à faire.
Moi candidat, je laisserai ça aux pro.
Contrairement ce qu’on pense, nous les citoyens ordinaires, la politique est une affaire de pro, de professionnels de la politique. La politique, cela ne s’improvise pas. Car on ne gagne pas une bataille électorale avec des idées. On gagne avec une organisation solide, avec des financements, une stratégie, des alliances, parfois contre nature, qu’importe tant que ça mène à la victoire, une équipe expérimentée. On gagne avec un candidat charismatique, talentueux et Macron a prouvé que le talent n’attend pas le nombre des années, un candidat solide physiquement, mentalement, un candidat possédant des soutiens puissants à tous les niveaux, local, national, des soutiens parmi les cercles de pouvoirs, les organisations syndicales, patronales, la fonction publique.
On se plaint que ce sont toujours les mêmes types de candidats, voire les mêmes candidats tout court, quarante ans par exemple que nous avons un membre de la famille Le Pen candidat, d’abord Jean-Marie puis Marine et peut-être demain Marion. Les autres candidats sérieux sont toujours des vieux de la vieille, des baroudeurs de longue date de la vie politique, car cela ne peut pas être autrement. Si vous n’avez pas les codes, vous n’entrez pas.
Et c’est peut-être aussi bien ainsi. Combien de temps tiendrait un citoyen ordinaire sans expérience dans la fonction présidentielle ? La pression est énorme, constante, les marges de manoeuvres minimes, les risques de blocage, parlementaire, démocratique, bien réels. La fonction est trop complexe pour être mise dans les mains d’un amateur.
Moi candidat, je ne le serai donc jamais. Désolé Luc 😉
(1) Avant de faire la une des réseaux sociaux pour sa vision particulière des relations parents enfants, Richard Berry jouait dans une publicité pour du yaourt nature où il disait face caméra « Cela vous choque Richard Berry qui mange un Sveltesse ? » Monsieur Berry parlait de lui à la troisième personne. Non ce n’est pas ça qui nous choque vieux !
(2) Pour ceux qui ne l’ont pas vu, je vous conseille Deux jours à tuer, le film de Jean Becker avec Albert Dupontel. Dans une scène d’antologie, son personnage, atteint d’un cancer incurable, dit leurs quatre vérités à ses amis, quelque chose qu’on rêve tous de faire un jour mais que les règles de la bienséance et de la vie en société nous en empêche. Heureusement.
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