Liberté, Egalité, Sororité
J’ai longtemps considéré les féministes comme une bande d’excitées prêtes à débarquer les seins nus pour dénoncer tel ou tel agissement, tel ou tel personnage, telle ou telle injustice. C’était mon petit côté OSS 117 regardant deux femmes se battre au sol hésitant entre les séparer et mater.
Telle était ma vision machiste jusqu’à ce que je tombe sur Le Livre noir de la condition des femmes, de Christine Ockrent (1). Le premier chapitre m’avait interpelé car l’histoire se passait au nord du Mexique, un pays où j’avais vécu un an lorsque j’étais étudiant. Dans cette région frontalière des Etats-Unis gangrenée par le traffic de drogue, il disparaissait en moyenne une ou deux femmes par jour – non non je ne fais pas erreur, je dis bien une ou deux femmes par jour, soit plusieurs dizaines de femmes par mois, plusieurs centaines par an – et ce dans la plus totale indifférence. Avais-je bien vécu dans un pays où des femmes se faisaient enlever, sans doute violer, puis tuer par centaines et on s’en foutait. Du verbe foutre ! Non, on n’envoyait par l’armée pour débusquer les psychopathes qui ici s’en donnaient à coeur joie. Je me suis arrêté au premier chapitre, je n’avais pas le courage de lire les autres. J’avais aussi honte, il faut bien le dire. Les femmes n’étaient pas seulement victimes d’inégalités et d’injustice depuis la nuit des temps, elles servaient aussi à défouler les pulsions les plus sordides des hommes, avec un petit « h ».
Quelques années plus tard, je suis devenu le papa d’une petite fille. Quel monde allait être le sien ? Quelles seraient les difficultés qu’elle devrait affronter sur son chemin ? Qu’allais-je lui dire, lui apprendre, pour qu’elle soit forte, qu’elle puisse se défendre ? Je me souviens lui avoir offert un Hulk tout vert et costaud et elle de me répondre, « papa je préfèrerais une Barby ». Une Barby ! lui dis-je. Rrrr c’est tellement cliché, tu es certaine que tu ne veux pas de mon Hulk ? Certaine papa ! Aucun super héros n’allait m’aider, le problème restait entier.
Le N°5 du magazine illustré Oblik (2), consacre un dossier à la question de l’égalité hommes femmes et nous donne 50 raisons de devenir féministe (ou de le rester). S’il y a des raisons d’être positif, elles sont aujourd’hui plus diplômées de l’enseignement supérieur (41% contre 35% chez les hommes), contribuent davantage au budget du couple, sont de plus en plus nombreuses à l’assemblée (39,7% en France, +13% par rapport à 2015) et même majoritaires dans certains métiers significatifs tels que avocat, médecin ou cadre du service public, les raisons de s’indigner sont encore plus nombreuses. Dans 80% des cas, ce sont les femmes qui s’occupent de la cuisine et des tâches ménagères, les inégalités patrimoniales sont vertigineuses, les femmes sont beaucoup plus touchées par la précarité sociale, surtout lorsqu’elles élèvent seules leurs enfants. Les pensions sont rarement payées intégralement, l’écart salarial se réduit mais très lentement et on observe une surprépondérance des femmes dans des métiers de service épuisants : caissières (88%), aides-soignantes (88%), aides ménagères (94%), enseignantes du primaire (84%)… Les femmes sont plus souvent en CDD, à temps partiel, très peu de femmes sont PDgères, aucune femme n’a jamais été présidente de la République à ce jour (en France). Pire que ça, les femmes sont toujours autant exposées aux violences conjugales ou sexuelles que par le passé, les condamnations pour viol ou agressions sont rares et même en baisse et le droit à l’avortement doit de nouveau être défendu bec et ongle ici ou là.
La lutte pour le droit des femmes, c’est un peu le mythe du tonneau des Danaïdes. Soixante femmes condamnées à remplir un tonneau percé pour avoir tué soixante hommes. Elles doivent encore et toujours continuer de se battre, ne serait-ce que pour maintenir l’existant. Après, comme le suggère Platon, dans le Gorgias, le bonheur se situe peut-être dans le fait de remplir le tonneau, plus que dans la satisfaction d’avoir un tonneau plein, quitte à ressentir de la frustration.
Le dossier d’Oblik s’intitule Liberté, Egalité, Sororité. La sororité, pour celles et ceux qui ne le savent pas, n’a rien à voir avec Georges Soros, le financier américano-hongrois aux déclarations tonitruantes. La sororité, c’est la fraternité au féminin, la solidarité non pas entre frères mais entre soeurs, CQFD.
Voilà ce que je vais dire à ma fille : Sois libre, défend tes droits et sois solidaire.
Liberté, Egalité, Sororité.
En attendant, va ranger ta chambre ! Oups pardon 🙂
Références
(1) Le livre noir de la condition des femmes, Christine Ockrent, Points, 2006
(2) Liberté, Egalité, Sororité, 50 raisons de devenir féministe (ou de le rester), Oblik N°5, printemps 2021.
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