# CitizenX

Lettre à ce professeur

14 juin 2021

Il y a quelques mois, un professeur d’histoire géo se faisait sauvagement assassiner en pleine rue pour avoir fait un cours sur la liberté d’expression et pris pour exemple des caricatures de Mahomet. Lui était parti, moi j’étais Paty, tout comme j’avais été Charly ou Sarah, la petite fille juive abattu de sang froid par Mohammed Merah à Toulouse ou Ahmed, ce vigile musulman descendu par les frères Kouachi en bas de l’immeuble de Charly Hebdo. J’étais tout ça à la fois, catholique, juif, musulman, hindouiste que sais-je mais surtout un laïque qui souhaite que chacun trouve sa place ici ou ailleurs, ici et ailleurs.

En même temps, je ne suis pas de ceux qui pensent que l’on peut rire ou se moquer de tout au nom de la liberté de penser, surtout si cela blesse votre interlocuteur, quelles que soient ses raisons, quelles que soient les vôtres, chacun a les siennes après tout. Mais rien ne pourra jamais justifier un tel déchainement de violence.

Quelques temps après, j’allume la radio dans ma voiture et j’entends Philippe Torreton faire la promotion d’un recueil de textes écrits par quarante personnalités en hommage à un professeur qui a changé le cours de leur vie. Eh oui ça peut faire ça un bon prof. Moi aussi, j’ai croisé le chemin d’un professeur qui a changé ma vie. Alors j’ai voulu lui écrire.

Salut Daniel,

J’aurais voulu t’écrire cette lettre à la main, ce que je fais d’ailleurs en ce moment mais ce n’est que le brouillon. La version définitive sera sans doute dactylographiée, sinon avec mon écriture de médecin souffrant de Parkinson, tu ne comprendras rien, sortiras ton stylo rouge et tu commenceras à mettre des annotations, à souligner les fautes d’orthographe et comme je n’ai pas envie de prendre 4 sur 20 à ma lettre, je passe sur ordi.

Voilà qui est fait. Il y a quelques jours, j’étais dans ma bagnole sur le chemin du bureau et j’entends sur France Inter Philippe Torreton parler d’un de ses anciens professeurs qui a changé sa vie. Je comprends alors qu’il s’agit d’un recueil de textes en hommage à Samuel Paty.

En entendant Torreton évoquer comme ça de son ancien prof, j’ai immédiatement pensé à toi et à notre histoire commune. Alors je sais, on emmerde tout le monde avec cette histoire que j’ai raconté dix fois, cent fois. J’ai même écrit un bouquin, enfin un bouquin le mot est fort, disons plutôt quelques pages avec de l’encre dessus, pour dire à quel point mon prof d’éco était un con. Je te l’ai même dédicacé. Mais ce prof d’éco, ce n’était pas toi.

Toi, je te dois un changement radical dans mon existence et ma façon de penser le travail et la vie en général. Toi, l’homme en noir, droit comme un i, sûr de lui et de son enseignement. Toi le prof d’éco à propos duquel Jimmy Copain – un nom pareil ça ne s’invente pas – mon nouveau copain de terminale à Victor Hugo me dit : t’as qui comme prof d’éco ? Folliot ? Ah t’as de la chance, c’est le meilleur ! 

Le meilleur !

Mais quand j’ai vu arriver le meilleur prof d’éco en question au fond du couloir, de battre mon coeur s’est arrêté. Après mon échec au bac, j’avais dû mourir sans m’en rendre compte. J’étais donc mort et me retrouvais dans l’Etrange Noël de Monsieur Jack et un homme en noir s’avançait vers moi. On se connait ? me dit-il sans en être certain. Oh oui on se connaît M. Jack !

Ce prof en noir qui me parle, ce n’est pas M. Jack, c’est M. Folliot. Le prof à qui je dois d’être là aujourd’hui, à devoir refaire une deuxième terminale, des centaines d’heures à ingurgiter les mêmes âneries que l’année précédente. S’il m’avait mis 7/20, je serais en fac à l’heure qu’il est. Il m’a mis 6 pour bien me faire comprendre que j’y étais presque, j’étais en train d’agripper la porte du train lorsque le contrôleur l’a refermée sur moi en me disant, fallait être là à l’heure mon gars, tu prendras le prochain train. Tu le crois ça Copain ? dis-je à mon nouveau pote Jimmy, dis, tu le crois vraiment ? C’est pourtant ce qui m’est arrivé. Je prends le train suivant et je retrouve le même contrôleur. Pince-moi Copain s’il te plaît que je me réveille de ce cauchemar.

J’avais passé l’été à regretter d’avoir oublié le nom de ce prof, sinon je l’aurais cherché dans l’annuaire, quitte à faire toutes les communes du Calvados, pour aller lui crever les pneus (pas les yeux hein, je ne suis pas un psychopathe non plus) ou taguer sa baraque. J’ai grandi à Hérouville et je n’avais pas, comment dire, une vision pédagogique de l’échec, quelque chose du genre si je gagne, je gagne, tant mieux, et si je perds, j’apprends. Noonnnn, ce n’était pas moi ça ! 

Et le voilà ce foutu nom : F.O.L.L.I.O.T. Sept lettres, c’est pourtant pas compliqué à retenir bordel. Maintenant c’est sûr, j’allais avoir le temps de le mémoriser car j’allais les avoir en face du nez toute l’année, ces sept lettres, plusieurs heures par semaine, prof principal qu’il était en plus. 

J’ai passé les premières semaines du mois de septembre à chercher une alternative, un autre lycée qui voudrait bien m’accepter après m’être fait virer d’Allende, des cours par correspondance, et même pourquoi pas le Collège Lycée Expérimental juste à côté de chez moi, il paraît qu’ils sont dix par classe. Je ne pouvais pas passer une année entière en face de la personne qui symbolisait à ce point mon échec. Pourquoi l’avait-on mis une deuxième fois sur ma route ? Il devait y avoir une raison. Il y avait une raison.

Je ne le comprendrais que progressivement, cours après cours. J’avais déjà observé l’intérêt, pour ne pas dire la fascination, qu’il exerçait sur mon voisin de droite qui remplissait des cahiers entiers quand moi je parvenais à peine à quelques feuillets. Si lui le binoclard trouvait ça intéressant, pourquoi pas moi ? Et c’est vrai que quand on prenait le temps de l’écouter, c’était pas mal son cours. Et il savait vachement bien le raconter en plus, ce con ! C’est comme ça que, petit à petit, je me suis intéressé à l’économie, à l’histoire économique, aux théories et aux penseurs : Smith, Ricardo… Je ne referais pas la blague que je fais d’habitude…, et puis si tiens ! Jusque là, je pensais que Smith et Ricardo étaient des footballeurs, il m’a appris que non en fait.

Avant lui, avant toi, avant cet accident de parcours, je m’étais toujours contenté du minimum et quand je dis minimum, tu n’imagines pas à quel point je n’en foutais pas une. Je ne travaillais pas les cours, je ne lisais jamais, mais j’avais pour moi d’avoir une bonne mémoire et d’aimer les maths. Je faisais des maths comme d’autres jouaient à la console, un gamin un peu bizarre n’est-ce pas. Il me suffisait de relire en diagonale un cours pour avoir dix ou douze, ce qui m’allait très bien. Jusqu’à cette session de rattrapage ou quelqu’un s’est dressé devant moi et m’a dit : “Mon ptit gars, pas avec moi, pas de ça Lisette, cette fois ça ne passera pas”. Recalé ! Rentre chez ta mère, ennemi du moindre effort !

C’est à ce moment que ma vie bifurque. Ce fut une claque. Ce fut une chance.

La suite on la connaît, du moins tu la connais. Mais je ne sais pas si je t’ai déjà dit merci. 

Alors voilà, merci Daniel, mon prof, mon ami.

Gildas, le 13 décembre 2020 (l’année qui craint !)

PS : Bon la parlotte c’est bien mais rien ne vaut un coup de jaja, alors je vous ai mis un petit remontant. Bises à BA, aux filles et aux petits enfants. Passez un joyeux Noël.

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