The Mauritanian

Le petit prince du cinéma français est de retour ! Enfin Tahar Rahim n’est jamais vraiment parti mais il n’a pas la chance de jouer tous les ans des rôles aussi puissants que celui de Malik, dans Un Prophète de Jacques Audiard, un rôle qui lui vaudra d’ailleurs le César du meilleur espoir et celui du meilleur acteur, les deux la même année mon capitaine, une première dans l’histoire de cette cérémonie. Tahar interprète ici, dans The Mauritanian (sorti sous le nom Désigné coupable en France) celui de Mohamedou Ould Slahi, un mauritanien que son pays a livré aux Etats-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001. Pour sublimer un acteur, il faut certes un beau rôle, un bon scénario, mais il faut surtout quelqu’un d’aussi sublime que lui en face pour lui donner la réplique. Dans Un Prophète, c’était Niels Arestrup en parrain corse contrôlant la prison, dans Désigné Coupable, c’est Jodie Foster, toujours la grande classe internationale, dans le rôle de l’avocate militante des droits de l’homme et Benedict Cumberbatch dont la voix de stentor vous cloue sur place.

L’histoire nous renvoie donc aux lendemains du 11 septembre alors que les Etats-Unis, dirigés par le duo d’enfer Bush/Rumsfeld traquent dans le monde entier tous ceux qui ont pu avoir un lien direct ou indirect, si infime soit-il, avec Al Qaeda, Ben Laden et la préparation de ces attentats. Cette chasse extra-territoriale à grande échelle va les conduire à ex-filtrer des centaines de personnes à travers le monde pour les envoyer dans le camp spécial de Guantanamo, à Cuba. Spécial car situé en dehors des Etats-Unis, Guantanamo, ou Gitmo dans le jargon de l’armée américaine, échappe au droit américain, et donc à toute forme de droit ou presque.

Mohamedou fut de ceux-là. Mauritanien, fils d’un touareg qui n’était jamais monté dans une voiture, sauf une toute petite fois, mais après deux minutes il avait paniqué et repris son chemin à pied, emmenant à sa suite son troupeau de chameaux. Le père de Mohamedou mourut quand il avait 9 ans. Il fut donc élevé par sa mère, et même bien élevé puisqu’il put bénéficier d’une bourse pour aller étudier en Allemagne, une chance, une fierté pour lui mais également pour tout son village.

Mais Désigné Coupable ne s’attarde pas sur l’enfance du personnage principal. Inspiré du livre « Les carnets de Guantanamo », le film s’attache à décrire les conditions de détention, la torture, les privations, de sommeil, de lumière, d’eau, de nourriture, d’espoir, de tout. Tahar Rahim s’est mis en « condition » pour ce rôle, portant de vraies menottes pendant des jours, se privant de manger et de dormir, perdant 10 kilos, pour ressentir physiquement le calvaire de Mo. Un calvaire qui dura 14 ans. Lui a réussi à en sortir, tous n’ont pas eu ce courage.

Coupable ou non, Mo ? Ce n’est pas le sujet du film. Le sujet du film, c’est le droit à la justice, le droit d’être jugé, le droit d’être défendu, quel que soit le crime dont on est accusé, présumé innocent ou désigné coupable, réellement coupable parfois, je reviendrai d’ailleurs sur ce sujet dans un prochain billet. Comme le dit parfaitement Cumberbatch, alias Lieutenant Stuart Couch, quand son pote de la CIA lui dit qu’il faut absolument que quelqu’un paie pour le 11 septembre, « oui, quelqu’un, mais pas n’importe qui ! » répond-t-il avant de démissionner de son poste.

En toile de fond l’Amérique de Bush, qui a mis en place ce camp de concentration et celle d’Obama qui le ferma mais fit quand même appel au procès gagné par Mohamedou, ce qui l’obligea à rester sept années de plus à Gitmo. Mais aussi cette Amérique où des avocats défendent des mauritaniens accusés d’avoir organisé une attentat qui coûta la vie à près de 3000 de leurs concitoyens, où des militaires renoncent à poursuivre leur mission quand ils s’aperçoivent que les dés sont pipés, que les aveux ont été obtenus par la torture. Une Amérique paradoxale, toute en contrastes, capable de torturer d’une main et de défendre de l’autre.

Désigné Coupable est un film sur le droit à la Justice, un film majeur, indispensable, porté par une brochette d’acteurs remarquables. A voir sans attendre.