# Monsieur X

Invalidé

17 octobre 2021

J’avais raté la première saison de Validé, la série sur l’univers du rap réalisée par Franck Gastambide et produite par Canal+.

Pourtant, cela aurait dû attirer mon attention. J’ai grandi dans un quartier un peu similaire à celui de la série, entouré de potes de toutes origines, des Marocains, des Tunisiens, des Algériens, des Ivoiriens, des Cambodgiens, des Italiens… un vrai melting pot, comme disent les Américains sauf que chez nous tout le monde vivait dans le même quartier, c’était pas chacun sa communauté, chacun son quartier. Nous écoutions les premiers groupes de rap français (NTM, Assassin, Iam…), écrivions nos propres textes qu’on posait sur des beats approximatifs, c’était nul mais on aimait ça. Nous étions fans de La Haine de Kasso et de tous les films de gangs américains (Boyz in the hood, Newjack city). Nous fumions un peu avant de partir faire des graffitis sur les murs de la ville la nuit. Nous jouions au basket dans la rue, participions à des tournois playground. La rue était notre terrain de jeu, notre culture commune.

Dans Validé, on retrouve cette même culture « street » avec en plus une bonne couche de réseaux sociaux, élément central du scénario et de l’époque actuelle. J’y ai donc pris un certain plaisir, pour ne pas dire un plaisir certain, la nostalgie quand tu nous tient, d’autant qu’on y voit quelques apparitions sympathiques tel Bruno Lopez, alias Koolshen, du groupe NTM ou la chanteuse Camille Lelouche, trop drôle dans le rôle de la meuf clashée. On y voit surtout des petits jeunes à mon avis plein d’avenir, notamment le trio Clément Penhoat, aka Hatik ou ici Apash, Saïdou Camara, le manager, et Brahim Bouhlel, le pote gaffeur qu’on appelle aussi « le Chinois » tant il semble être le fruit du mariage étrange et hautement improbable entre un Algérien et une Vietnamienne.

En bref, une bonne petite série, mais sans doute pas de quoi en faire un billet d’humeur. Jusqu’à ce que je vois sur la plateforme Canal+, une petite vignette intitulée « En Aparté avec Franck Gastambide ». En Aparté, c’était une émission que j’adorais quand elle était présentée par Pascale Clark, cette voix off grave et suave qui savait détendre les invités pour les faire accoucher d’anecdotes très intimes. Je clique.

Je ne connaissais pas plus que ça Franck Gastambide. Je connaissais son nom, j’avais vu Les Kaïras et Pataya, et je m’étais bien marré. Je n’avais pas vu Taxi 5 car je m’étais arrêté au 2 en tombant amoureux de Marion Cotillard, cela me suffisait – What else ?. Autant dire que je ne connaissais pratiquement rien de lui avant de regarder cette émission.

Le gars arrive, intimidé on dirait, mange une ou deux crêpes que l’émission a préparé pour lui en souvenir des fois où il venait de Melun pour passer la journée à Bastille et manger des crêpes en rêvant qu’un jour peut-être, il vivrait dans un quartier comme celui-ci. Il s’assoit sur le canap, commence à se détendre un peu. Pascale Clark est partie depuis longtemps, c’est aujourd’hui Nathalie Levy la voix off. Deux ou trois banalités d’usage et la journaliste attaque sur l’enfance du réalisateur. Et c’est là que l’histoire devient intéressante car on apprend que Franck Gastambide est dyslexique et a passé son enfance au fond de la classe abonné à la dernière place du classement, une enfance qui rime avec souffrance. La souffrance du gamin à qui on dit qu’il est bon à rien, qu’il est nul, qu’il ne fera jamais rien de sa vie. Lui est bien conscient de ses difficultés scolaires, sans toutefois pouvoir en comprendre la cause, mais tout au fond de lui, il sait qu’il n’est pas plus idiot que les autres. Mais comment le montrer, comment sortir de cet enfer scolaire ?

Lui, ce sont les chiens qui vont le sauver. Vers 13 ans, il se prend de passion pour les chiens, en particulier tous ces chiens malaimés à la réputation sulfureuse que sont les pitbulls, les Rottweilers et autres chiens de combat, en vogue dans les cités à cette époque, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Franck se met à lire des bouquins sur les chiens alors qu’il n’avait jamais rien lu de sa vie ou presque, et devient rapidement la référence du quartier, et ensuite de la ville, dans le domaine du dressage de chiens, puis dans le dressage des animaux au sens large.

C’est cette passion, cette compétence, ce talent, cet élément, son élément, dans lequel il s’est trouvé, qui va le mener au cinéma. Mathieu Kassovitz recherche un dresseur pour son prochain film Les Rivières Pourpres, avec son compère de toujours Vincent Cassel. Franck Gastambide entre dans le cinéma par cette porte là, il n’en ressortira pas. De rencontre en rencontre, il passera devant la caméra en tant qu’acteur, puis derrière en tant que réalisateur, producteur, enchaînant les succès populaires et les millions d’entrées. Et l’histoire n’est pas terminée puisqu’il n’a que 40 ans.

Franck Gastambide et Mathieu Kassovitz sur le tournage du film Les Rivières Pourpres, 2000

Mais ce qui est intéressant dans cette histoire, ce n’est pas tant le côté Guy Degrenne, vous savez ce gamin dans la pub qui dessinait des couteaux et des fourchettes, un gamin à qui ses instituteurs martelaient, « Vous ne feraient jamais rien dans la vie Guy Degrenne » et qui devint plus tard un grand fabricant de couverts. Ce n’est pas ça qui est intéressant ! Ce qui intéressant, c’est de voir Franck Gastambide s’exprimer sur son handicap et comprendre qu’il ne faut pas le pousser beaucoup plus pour que les larmes lui reviennent du fond de l’enfance alors que depuis il a connu tous les succès et réalisé la plupart de ses rêves, dont celui d’habiter Bastille. Et vu le prix du mètre carré, clairement ce n’est pas donné au premier crétin venu. L’émission va même jusqu’à – les salauds – interviewer sa mère à son sujet et elle dit qu’elle a l’impression que ce n’est pas son fils tant il semble aujourd’hui à l’aise et heureux, lui qui semblait n’être bon à rien – elle ne le dit pas comme ça bien entendu mais c’est l’idée.

Mais pour un Franck Gastambide ou un Guy Degrenne, combien d’enfants détruits par l’institution scolaire qui ne voit trop souvent que les compétences académiques et ne peut s’empêcher de noter et niveler les enfants, ce qui peut motiver les meilleurs, mais démotive à coup sûr les moins bons. Alors que tous ont une place à prendre, un univers dans lequel s’épanouir, qu’il s’agisse du dressage de chien ou de dessiner des couverts.

Je suis content d’avoir vu Validé car cela m’a permis de découvrir un super mec. Bravo à toi mon gars, profite bien de Bastille gros !

A présent, à moi la saison 2 !

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