Anna X
Anna X est le nom d’une pièce de théâtre qui se joue en ce moment au London Theatre. Ou peut-être devrait-on dire Anna D, pour Anna Delvey, ou encore Anna S, puisque dans la vraie vie, elle s’appelle Anna Sorokin.
Anna Sorokin, alias Anna Delvey donc, est également au coeur de la nouvelle fiction de Netflix Inventing Anna (1). On y découvre l’histoire d’une jeune femme russe, immigrée en Allemagne pendant sa jeunesse, fille d’un chauffeur routier et d’une femme de ménage, qui s’est rêvée très tôt en fashionista jet setteuse, courant les défilés et les fashion weeks à Paris, Londres, New York ou Milan.
Un temps influenceuse pour le magazine français Purple, on la retrouve rapidement à New York où elle développe son carnet d’adresses et envisage – l’envisage-t-elle vraiment, nul ne le sait à part elle, et encore – de créer une fondation d’art contemporain, plus qu’une fondation, un lieu unique, un club où se croiseraient artistes et happy few de la grosse pomme (2), un projet fou pour lequel il lui faut trouver pas moins de 60 millions de dollars alors qu’elle est sans le sou. Mais la grosse pomme ici, ou plutôt les grosses pommes, ce n’est pas la ville, mais les différents interlocuteurs (architectes, artistes, avocats, banquiers, hommes et femmes d’affaires en vue) qui vont lui permettre de rendre ce projet crédible.
Mais ce genre de château de carte, fusse-t-il à NY ou en Espagne, finit toujours par s’écrouler et Anna elle, finit en prison. La fondation Anna Delvey ne verra jamais le jour, bien entendu dirais-je, mais Anna Sorokin a atteint son objectif, être une star internationale, quelqu’un dont tout le monde parle, y compris moi, citoyen ordinaire français.
Ce type d’histoire rocambolesque ne nous est pas inconnue, à nous les Français justement. Car nous avons notre Anna Sorokin à nous et elle s’appelle Christophe Rocancourt, on parle même d’histoire « rocancouresque » dans le cas d’espèce. Après, cela n’a rien de nouveau, des riches se faisant arnaquer par des petits malins maniant avec aisance l’art de mentir et de convaincre des interlocuteurs naïfs, ou cupides, ou les deux. J’avais d’ailleurs déjà consacré un billet à Charles Ponzi, le plus illustre d’entre eux, puisqu’on lui doit le nom de la pyramide éponyme (3).
Christophe Rocancourt est né en Normandie comme moi, mais lui s’est vite échappé de cette lande très verte car très pluvieuse pour mener la « grande vie » dont il rêvait, lui qui se présente comme le fruit pourri d’un boxeur raté et alcoolique, et d’une prostituée. Il fréquente d’abord le milieu gay parisien où il commet ses premières escroqueries qui le conduisent rapidement derrière les barreaux. Une fois sorti, il s’envole pour Los Angeles, se fait passer pour tout ce qui peut arranger ses affaires et lui ouvrir des portes, boxeur professionnel, producteur de cinéma (il doit d’ailleurs produire le prochain Van Damme lui a-t-il promis, cochon qui s’en dédit), héritier (je sais, héritier n’est pas un métier, mais à Los Angeles si) etc. etc. Une fois cramé à LA, Christopher Roc…feller, telle est sa nouvelle couverture, débarque à New York, où il envisage d’acheter, ou plutôt de vendre un immeuble, dont il n’est pas propriétaire, cela va sans dire. Mais qu’à cela ne tienne, lui aussi est introduit dans les bons endroits, les bons milieux, développe son réseau et se paie même le luxe d’organiser son 40ème anniversaire dans une splendide demeure des Hamptons, lieu de villégiature des millionnaires newyorkais. Le traiteur attend toujours qu’on lui règle la note qui se monte à plusieurs dizaines de milliers de dollars tout de même.
Ce qu’il y a de jouissif dans l’histoire d’Anna Sorokin comme dans celle de Christophe Rocancourt, c’est cette capacité extraordinaire, à s’introduire parmi les riches, je dis riche pour simplifier mais bien entendu tout le monde n’est pas véritablement riche parmi les « riches », se faire passer pour l’un d’entre eux, et sur cette base, une fois reconnu, accrédité en quelque sorte, à abuser de la naïveté, ou de la cupidité disais-je, des uns et des autres pour en tirer profit. Cupidité car il est évident que tous ces gens s’intéressent à eux parce qu’ils pensent qu’ils sont réellement millionnaires, milliardaires, héritiers ou que sais-je. Bien qu’ayant des doutes, ils jouent le jeu car ils sont aveuglés par la recherche de leur intérêt. Chacun les siens ! Quand Anna convainc un avocat reconnu de s’occuper de son dossier de fondation, c’est parce qu’il pense pouvoir facturer de gros honoraires à cette jeune héritière allemande, comment s’appelle t-elle déjà ? Del…what ? Del…vey, okay, whatever ! Je vais la plumer la petite poule germano-russe, pense-t-il en son for intérieur.
Mais tel est pris qui croyait prendre, voilà ce que pourrait être la morale de cette histoire, de ces histoires, et c’est pour ça que c’est jouissif. Morale n’est peut-être pas le bon mot car il n’y a ici rien de très moral, d’un côté ou de l’autre, argent et morale ne font pas bon ménage. Seulement, ces histoires en disent tellement long sur les relations dans ces milieux d’argent, de pouvoir et d’influence, qu’elles en constituent de petites études sociologiques, leurs héros, ou héroïnes, de vrais personnages de romans, des Gatsby en puissance, magnifique non ?
If I can make it there
I’ll make it anywhere
It’s up to you
New York, New York
New York, New York
I want to wake up in a city
That doesn’t sleep
And find that I’m number one
Top of the list
Head of the heap
King of the hill (4)
Sources / Notes :
(1) Inventing Anna, est une mini-série américaine produite par Shonda Rhimes et diffusée sur Netflix à partir de février 2022.
(2) On appelle souvent New York « Big Apple », la grosse pomme en français, une expression utilisée pour la première fois par le journaliste John J Fitz Gerald. « Ce journaliste sportif pour le New York Morning Telegraph dans les années 1920 couvrait les courses hippiques, très populaires à l’époque. Il a utilisé l’expression « Big Apple » après avoir entendu deux jeunes garçons d’écurie, lors de leur arrivée dans la ville, dire être très heureux de se trouver là où « the big money was ». Ils trouvaient la ville tellement immense et remplie d’opportunités qu’ils commencèrent à l’appeler « Big Apple ». Fitz Gerald se mit donc à appeler sa rubrique Around the Big Apple. Dans son introduction, on pouvait lire : « There’s only one Big Apple. That’s New York ». Source : French morning.
(3) Bit con, Citizen X, 1er mai 2021
(4) Extrait de New York, New York, Franck Sinatra, 1977
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