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Let’s Food

1 juin 2022

Let’s food est une association qui s’active pour changer les pratiques alimentaires au sein des territoires, en France et dans le monde, afin de tendre vers un modèle d’agriculture et de consommation durable et plus sain.

Anna Faucher, la directrice et co-fondatrice de l’association a gentiment accepté de répondre à mes questions.

CTZ : Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a amené à créer Let’s Food ?

AF : Suite à un master en coopération internationale et en gestion des risques de l’IEP de Bordeaux, j’ai identifié l’alimentation comme un des sujets prioritaires du XXIe siècle. J’ai eu quelques expériences en organisations internationales (FAO, UNESCO) et j’ai fait le choix de me spécialiser en politiques alimentaires à Montpellier SupAgro (mastère Innovations et Politiques pour une alimentation durable). La thématique était encore balbutiante mais passionnante car il y avait tout à créer ! J’ai ensuite travaillé pendant 3 ans dans une petite association afin d’accompagner des territoires dans la mise en place de systèmes alimentaires territoriaux. En 2017, avec Louison Lançon, qui est agronome et possède un parcours très complémentaire du mien, nous avons construit l’association Let’s Food dans l’objectif de diffuser l’approche territoriale de l’alimentaire sur tous les continents afin que les villes, mais pas que, anticipent d’ores et déjà la limite des ressources et réduisent leur dépendance en imports, eau ou encore énergie face à la multiplication des crises climatiques et géopolitiques. Nous souhaitons accompagner les territoires à renforcer leur capacité à produire une partie de leur alimentation et nous croyons pour cela à la coopération et à l’échange de pratiques pour accélérer la transition.

CTZ :Pouvez-vous nous dire ce qu’est le Pacte de Milan ?

AF : Le pacte de Milan pour des politiques alimentaires urbaines est une déclaration volontaire lancée par 144 villes du monde en 2015 à l’occasion de l’Exposition Universelle de Milan, “Nourrir la planète, énergie pour la vie”. En signant ce Pacte, ces villes s’engagent à construire des systèmes alimentaires plus durables pour leurs habitants. En 2022, elles sont désormais 211 villes signataires issues de 49 pays différents. 

Le Pacte de Milan participe à faire reconnaître la place et rôle des territoires pour atteindre les Objectifs du Développement Durable et sur une scène internationale dominée par des instances intergouvernementales dont les décisions sont souvent bien moins radicales que celles prises par les territoires dans la lutte contre le réchauffement climatique. 

11 villes et métropoles françaises sont aujourd’hui signataires : Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Grenoble en 2015, Rennes en 2017, Mouans-Sartoux en 2018, Toulouse en 2019 et Montreuil en 2020. La France se situe en 3ème position en termes de nombre de villes signataires en Europe, derrière l’Italie et l’Espagne. 

Le Pacte de Milan propose un cadre stimulant et une légitimité dans la mise en œuvre d’actions locales, mais permet aussi la création d’un réseau de villes enclines au partage d’expériences et à la coopération.

  • Les engagements pris au travers du Pacte illustrent le rôle des villes dans la transformation des systèmes alimentaires urbains pour une meilleure durabilité. Il comprend également un plan d’actions de 37 actions recommandées, organisées en six axes opérationnels: 1. Gouvernance alimentaire 2. Régimes durables et nutrition 3. Équité sociale et économique 4. Production alimentaire 5. Approvisionnement et distribution 6. Lutte contre le gaspillage alimentaire
  • Chaque année est organisé le Sommet des Maires, réunissant toutes les villes signataires afin de partager des bonnes pratiques et de favoriser les coopérations. L’édition 2019 a été accueillie par Montpellier Méditerranée Métropole.
  • Le Pacte de Milan a mis en place un système de récompenses financières pour les collectivités. Ces dernières doivent soumettre leurs bonnes pratiques et choisir une des 6 catégories. 370 bonnes pratiques ont été récoltées à ce jour. Par exemple Bordeaux Métropole a présenté le Conseil Consultatif de Gouvernance Alimentaire Durable pour la catégorie gouvernance ou encore Nantes son programme de défrichage pour l’axe production. Montpellier a été lauréate en 2019 pour son programme “Ma Cantine Autrement” dans la catégorie distribution alimentaire.
  • La ville de Mexico, lauréate des Milan Pact Awards 2016 (récompense pour les villes ayant mené des actions à impact), a décidé d’investir le prix monétaire pour collaborer avec Tegucigalpa au Honduras. Le projet d’assistance technique entre Mexico et Tegucigalpa vise à fournir des lignes directrices pour la conception d’un modèle complet d’éducation nutritionnelle et alimentaire pour les garderies et les écoles de la capitale du Honduras. Le projet est basé sur l’expérience des Cantines communautaires de Mexico. L’objectif à long terme de cette collaboration est d’améliorer la sécurité alimentaire des enfants à Tegucigalpa.

CTZ : Quelles sont les initiatives qui vous ont le plus marqué ?

AF : L’approche la plus systémique et la plus complète : 

Le projet des Agri-Hubs est porté par la métropole de Durban. Il répond à la difficulté pour les petits producteurs d’accéder au marché de gros ou encore aux supermarchés. La municipalité a souhaité accompagner techniquement les agriculteurs (et lutter ainsi contre un taux de chômage très élevé) en leur proposant une parcelle, en les formant vers des pratiques agricoles plus durables et en leur offrant une diversité de marchés via des hubs (les “Agri-Hubs”). Situés tout autour de la ville, ils centralisent la production et leur permettent de vendre leur production à bon prix, avant qu’elle soit distribuée aux cantines scolaires, soupes populaires, etc.)

Sur la mise en place d’une production agricole de qualité à l’échelle du pays, pourvoyeuse d’emplois :

L’association construit des partenariats avec les institutions de l’État, notamment dans le cadre de la formation agricole avec le Ministère de l’Agriculture et l’Agence de vulgarisation de la formation, en vue de former des formateurs agricoles à l’agroécologie. L’Association Tunisienne de permaculture porte également un projet d’accompagnement de 50 micros-fermes en permaculture pour les sans-emplois de 18-25 ans dans toutes les régions du pays. C’est un dispositif de 4 ans, adossé à la création d’une AMAP et d’un réseau de paysans semenciers, d’agriculteurs et de consommateurs. 

Sur la régulation de la consommation de produits trop salés, trop gras, etc. au Chili : 

En 2019, 74% de la population adulte du Chili était en surpoids ou obèse. Le Chili est ainsi le pays de l’OCDE avec le taux d’obésité et de surpoids le plus élevé, devant le Mexique (72,5%) et les États-Unis (71%). On estime qu’une personne meurt toutes les heures à cause d’un excès de poids et des maladies associées (diabète, maladies cardio vasculaires, etc.). 

Depuis juin 2016, l’étiquetage de toute denrée alimentaire contenant des calories, du sodium, des sucres et des graisses saturées dans des proportions supérieures à certaines limites établies par la réglementation chilienne, doit comporter une mention spécifique. Certains étudiants de l’enseignement supérieur bénéficient d’une aide financière pour leur permettre d’acheter les produits de première nécessité. Depuis l’application de la loi sur l’étiquetage des produits alimentaires, cette subvention ne donne accès qu’à des produits sans label, donc respectant une certaine composition nutritionnelle. Par ailleurs, toute publicité contenant entre autres des personnages infantiles, animations, dessins animés, jouets, etc. ont dû être retirées lorsqu’elles encourageaient la commercialisation de produits riches en sucres, graisses saturées, sel et calories.

La France foisonne d’initiatives intéressantes. Dernièrement nous soutenons l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation qui nous semble pouvoir porter une réelle transformation des consommateurs et des producteurs.

Pensée comme une 6e branche de la sécurité sociale, la SSA est une politique publique systémique, reposant sur le principe d’universalité et sur un système de cotisations pour assurer le droit à l’alimentation durable pour tous. Les différents partenaires s’accordent sur le format de la SSA via une carte vitale de l’alimentation donnant accès à des produits conventionnés pour un montant de 150€ par mois et par personne. Le conventionnement reposerait sur des caisses primaires gérées démocratiquement à l’échelon local et articulées via une instance nationale. Les acteurs pourraient ainsi par exemple être conventionnés sur la base de leurs pratiques en accord avec le cahier des charges proposé (produits locaux, issus de l’agriculture biologique, revenu minimum pour les producteurs, etc.) (Sécurité Sociale de l’Alimentation, 2022).

Quels sont les principaux freins que vous rencontrez au niveau local dans la mise en place d’initiatives qui ont fait leurs preuves ailleurs ?

  • à l’étranger : le manque de moyens au sein des collectivités, de compétences, de volonté politique mais aussi un plus faible développement des acteurs associatifs, une moindre sensibilisation des consommateurs : tout cet écosystème est indispensable pour une transition à l’échelle territoriale afin de ne pas embarquer seulement une minorité aisée. Les logiques économiques et court-termistes dominent encore – ce qui parfois nous fait douter d’une réelle transition enclenchée à l’échelle mondiale même si cela s’accélère en France. Les propositions d’un retour à la sobriété, à l’agriculture, etc. ne séduisent pas tout le monde alors même que l’on sait qu’elles apportent des solutions à de nombreux problèmes auxquels font face les territoires (qualité des sols, création d’emplois, qualité des régimes alimentaires, gestion des déchets, etc.). Il faut parler emploi, développement économique ou encore création de richesses pour se faire entendre.
  • En France les collectivités territoriales disposent de plus en plus de moyens sur ces thématiques – bien plus que dans n’importe quel autre pays européen – et depuis 5/10 ans les politiques se multiplient. Maintenant il faut tout de même changer certaines mentalités : travailler en transversalité au sein des collectivités, avec des moyens restreints, des visions un peu dépassées.. de même avec certains acteurs territoriaux, notamment dans le milieu agricole, qui sont dans des postures qui ne sont pas toujours constructives : contre la viande, contre la bio, contre les bobos urbains, contre contre contre. Nous sommes face à des taux de sécheresse inégalés, des conséquences du réchauffement climatiques visibles quotidiennement et c’est encore nous les alternatifs, les radicaux : il faut se justifier de tout, jusqu’aux chiffres du GIEC (!), face à des acteurs qui n’acceptent pas que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier et que nous n’avons plus le choix dans les changements de pratiques.

C’est un challenge, il faut trouver les intérêts et leviers de chacun, les dénominateurs communs pour convaincre un élu, un éleveur, un consommateur, un restaurateur, un supermarché… et petit à petit.. le territoire se met en mouvement ! 

Comment fonctionne l’association ? Quelles sont les missions les plus courantes ? Comment est-elle financée ?

L’association Let’s Food (Loi 1901) s’est construite sur le projet initial Let’s Food Cities qui visait à faire coopérer et échanger 7 territoires français avec 7 territoires étrangers. Désormais nous intervenons de 3 façons : l’accompagnement de collectivités en France (ce sont donc des marchés publics) et à l’étranger (via des subventions pour faire de la coopération internationale) par la suite nous réalisons des études sur des sujets innovants qui nous semblent peu traités (la précarité alimentaire étudiante par exemple) et pouvons être financés par des Fondations ou des mécènes sur ces thématiques – ce qui nous permet d’explorer et construire de nouveaux partenariats. Enfin nous formons des élus locaux en France et à l’étranger à l’approche territoriale de l’alimentation ainsi que de nombreux étudiants, professionnels de demain. Nous fonctionnons avec de nombreux bénévoles sur la base d’une cotisation à prix libre : ce financement nous permet de passer du temps à accompagner les étudiants dans leur recherche de stages, de postes, de les orienter et d’animer une entraide professionnelle.

CTZ : Vous avez une approche territoriale mais dans un pays jacobin comme la France, ne faudrait-il pas une impulsion gouvernementale majeure ? Par exemple, comme à Montpellier, obliger les cantines scolaires à tendre vers une majorité d’approvisionnements local, bio et avec un système de réduction du gaspillage à un horizon raisonnable ? Et ensuite les cantines d’entreprises.

AF : Nous ne sommes pas d’accord avec la majorité des décisions écologiques, sociales et économiques du gouvernement actuel : cependant force est de constater que de nombreux efforts et des lois indispensables ont été votées ces dernières années pour impulser/imposer des changements sur les territoires. L’impulsion est venue des acteurs locaux, des collectivités, acteurs associatifs et privés qui s’activent depuis des années à proposer une alimentation plus durable, saine et équitable sur les territoires. On peut se féliciter du fait que ces efforts ont été suivis à l’échelle nationale afin d’assurer une couverture plus large/ un équilibre des territoires et que la France dispose de certains cadres réglementaires et dispositifs de financement/appels à projets dont nous n’avons pas vu d’équivalent dans d’autres pays européens : 

  • Loi de modernisation de l’agriculture de la pêche, 2010 – Programme National pour l’Alimentation qui intègre l’idée de défendre le modèle alimentaire français/
  • Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, 2014 – Programme National pour l’Alimentation et Projet Alimentaire Territorial – qui ajoute la dimension territoriale de l’alimentation et l’implication primordiale des collectivités → un appel à projet est proposé depuis 2016 pour construire des projets alimentaires territoriaux (PAT) avec des financements toujours plus importants
  • Loi Egalim et mesures imposées à la restauration collective : 50% de produits de qualité dont 20% de produits bio, sensibilisation des convives et lutte contre le gaspillage alimentaire (financements dédiés)

CTZ : Pour terminer, quel message souhaitez-vous adresser aux plus jeunes, aux moins jeunes et à ceux qui sont entre les deux ?

AF : Les enfants sont peut-être les mieux sensibilisés aujourd’hui, notamment grâce au travail réalisé dans les écoles. Les enfants peuvent avoir un impact extrêmement puissant sur leurs parents quand il s’agit de transformer les régimes alimentaires, les pratiques d’achat, etc.

Les moins jeunes… remercier ceux qui se sont battus toute leur vie pour essayer de construire un autre paradigme politique, économique, social en faveur de l’environnement. Pour les autres et particulièrement ceux qui votent et décident pour des idées qui n’ont plus de sens dans le monde vers lequel on se dirige, merci de laisser la place car ce n’est pas leur futur qui est en jeu. Certes chaque époque a connu ses difficultés mais c’est désormais un risque d’extinction aussi bien des animaux que des humains auquel nous devons faire face. S’ils ne sont pas à la hauteur des enjeux, qu’ils laissent leur place aux nouvelles générations qui devront vivre avec. 

C’est dur mais on fatigue parfois à se battre contre l’ancien monde… !  

Pour ceux qui sont entre deux je pense que nous avons plus de facilité à leur parler d’autant que nous intervenons dans de nombreuses universités pour sensibiliser aux enjeux de l’alimentation durable : nous comptons toujours plus d’étudiants et de jeunes professionnels parmi nos bénévoles et sympathisants qui souhaitent mettre leurs compétences et expertises au service de projets qui ont du sens, qui voient dans l’agriculture et l’alimentation durable des enjeux cruciaux et passionnants et c’est particulièrement encourageant. Le réseau s’agrandit et le nombre de structures sur ces sujets se multiplie : il faut continuer et coopérer pour espérer construire des territoires résilients. 

Pour plus d’informations sur l’association Let’s Food, cliquez sur ce lien : https://www.letsfood.fr/

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