L’enveloppe

J-1 avant le premier tour des élections législatives, je prends mon enveloppe électorale, je la décachette, roulement de tambour, il y a un petit côté soirée des Césars, suspens, et là, c’est la caca, c’est la cata, c’est la catastrophe !

Je les prends dans l’ordre d’apparition à l’ouverture de l’enveloppe, sans tricher, je le promets.

Choix n°1, Pierre, et Brigitte sa suppléante, de Lutte Ouvrière, avec le soutien de Nathalie Arthaud, est-il écrit dans la manchette. Pierre est enseignant chercheur et Brigitte, aide soignante, pas vraiment des ouvriers, première remarque. Ceci dit, il n’y en a pratiquement jamais à l’Assemblée, des ouvriers, il n’y a pas de raison que cela commence en 2022, d’autant que l’espèce est en voie d’extinction, le réchauffement climatique, que voulez-vous ? En regardant Pierre de plus près, avec son visage aussi rouge que son polo, on se dit qu’il ne doit pas y avoir que de la Badoit dans les pots à la fac. Après, quand on s’engage dans le camp des travailleurs, un mouvement historiquement affilié au communisme, il est logique que l’on mise sur le rouge, mais à ce point là ! Quant à Brigitte, on dirait un oiseau tombé du nid. Elle doit peser 40kg toute mouillée. Si on file à bouffer aux personnels soignants la même chose qu’aux malades, il est certain qu’ils ne vont pas prendre beaucoup de poids. Sur le fonds, toujours la même rengaine, c’est la faute aux capitalistes qui s’en mettent plein les poches et laissent des miettes aux travailleurs et nia nia nia. Le problème avec les communistes et cette dialectique manichéenne, les méchants patrons d’un côté, les gentils ouvriers de l’autre, c’est que ça manque de nuance. Moi je connais des patrons très sympas et plutôt bienveillants et des travailleurs pas sympas du tout et assez malveillants. Mais l’inverse est certainement vrai aussi. Ce genre de vision du monde n’aboutit à rien, si ce n’est à un ressentiment général des uns envers les autres. Je ne nie pas qu’il faut une meilleure répartition des richesses, mais il faut aborder cette question avec beaucoup de précision et pas avec des généralités que n’importe quel alcoolique du bar du coin est capable de faire. Pierre, Brigitte, en ce qui me concerne, ce sera non. Suivant.

Bon, je passe de l’extrême gauche à l’extrême droite avec Josseline. Telle que le tract est fait, on dirait que sa suppléante n’est autre que Marine elle-même puisqu’elle est juste derrière elle, sans oublier l’avenir du RN incarné par Jordan Bardella tout en bas. En fait, le nom du suppléant est écrit en tout petit, il s’agit de Djessy. Mon dieu au secours, qu’est-ce que c’est que ce prénom phonétique : D.J.E.S.S.Y. L’Etat civil ne peut pas leur dire à ces pauvres gens qu’on ne met pas de D à Jessy, c’est juste qu’en anglais ça se prononce comme ça. J’ai parfois envie de pleurer. Comme cette fois où un livreur express, stationné rue Pierre Mendès-France, avait dit à son interlocuteur : « Eh je trouve pas le destinataire là putain, pourtant je suis bien rue Pierre Menez  » Non mais dites-moi que je rêve, le type confond Pierre Mendès-France, un des Présidents de la République qui ont vraiment compté et Pierre Menez, un commentateur de foot aussi bête que ses pieds. Là, on touche le fond de la piscine municipale, et sans burkini. Revenons à Josseline, dont on ne nous dit absolument rien, profession, parcours, histoire, rien de chez rien. Si ça se trouve, elle n’existe même pas, au RN ils mettent juste des photos. Car les idées qui figurent au dos sont celles du programme de Marine Le Pen à la Présidentielle, point barre. On renvoie les immigrés chez eux ou à Cayenne (pas en Porsche Cayenne hein, faudrait pas confondre), retraite à 60 ans pour que des actifs de moins en moins nombreux continuent de se faire siphonner par des retraités toujours plus nombreux et dont les retraites sont de plus en plus longues. Je m’arrête ici car je n’ai en aucun cas l’intention de voter pour un ou une candidate d’un parti extrémiste, qu’il s’agisse de gauche ou de droite. Suivant !

Ah !!! Le député sortant, macroniste de la première vague, Le Vigoureux qu’il s’appelle. Avec pareil patronyme, faut pas débander en milieu de partouze à l’Assemblée, sinon tu passes vraiment pour une ptite bite. Lui nous propose 10 bonnes raisons de lui faire confiance. Raison n°1, « pour plus de pouvoir d’achat », c’est écrit en toute lettre. Franchement, on se bidonne, Macron le président du pouvoir d’achat ? Non mais il plaisante ou quoi le mec, jamais le pouvoir d’achat n’avait chuté aussi vite que sous l’ère Macron. Je ne dis pas qu’il en est le premier responsable, de là à en faire un argument de campagne, faut oser. Il croît peut-être que les quelques primes qui ont été distribuées aux ménages les plus modestes vont suffire alors qu’un plein coûte maintenant plus de 100 euros et je ne parle pas du plein de la chaudière. Raison n°2, « pour mieux vivre l’écologie » avec un voiture électrique à moins de 100 euros par mois. Déjà, je t’arrête tout de suite le macroniste, avec 100 balles par mois, c’est pas une voiture électrique tu te paies, mais un vélo électrique mec. Dis, tu sais combien ça coûte une voiture électrique ? Donc tu me soignes cette vilaine peau et tu refais tes calculs, vieux ! Raison n°3, « pour lutter contre la pauvreté »… bon je ne vais pas pouvoir aller plus loin. Le gars commence par se prendre pour Mélanchon avec le pouvoir d’achat, puis pour Jadot avec l’écobobologie et pour finir pour l’abbé Pierre avec la pauvreté. Les macronistes bouffent à tous les rateliers, c’est insupportable. Inutile de passer en revue les sept raisons suivantes, j’en ai assez. Next !

Sophie se présente au nom de l’union de la droite et du centre. C’est quoi ça, l’union de la droite et du centre ? Le centre, c’est le Modem et le Modem fait alliance avec la République en marche, devenue Renaissance – quelle créativité dans les noms, n’est-ce pas ? Nupesse, Renaissance… Quant à la droite, ça s’appelle Les Républicains mais avec moins de 5% à la Présidentielle, on comprend qu’elle souhaite prendre ses distances. En fait, Sophie est la candidate soutenue par le maire du coin. Avec elle pas de programme, peu d’idéologie, de la proximité que soulignent des mots en gras dans un gros pavé de texte : « présente sur le terrain », « avec les habitants », permanences, mairie, région… du local, du local et encore du local. C’est très bien le local, après tout c’est avec les locaux que l’on vit, mais elle ne nous dit rien de ce qu’elle veut faire concrètement. Votez pour moi parce que je suis votre voisine. Ok, mais moi ma voisine, c’est une connasse et je préfèrerais passer sous un camion poubelle rempli de déchets gris, jaunes ou verts plutôt que de voter pour elle. Je fais quoi alors ? Dis-moi quelles sont tes idées que je puisse au moins savoir où tu veux nous emmener, et peut-être alors, je voterai pour toi. Tout ce que je sais, c’est que tu es prof d’histoire géo et adjointe au maire et ta suppléante, prof aussi et maire d’un petit bled. Y a trop de profs en politique je trouve, dire qu’ils se plaignent d’avoir trop de boulot, je ne sais pas comment certains trouvent en plus le temps de faire campagne. L’astuce, c’est que dans certaines conditions, ils sont dispensés d’enseigner. CQFD. Je crois que je vais avoir du mal à voter pour une prof car ils donnent trop de devoirs le soir. Désolé Sophie, je ne vais pas voter pour vous bien que j’approuve votre sens de la proximité, plus que celui de Mélanchon, le député de Marseille qui habite Paris.

Passons à la représentante de la Nupesse justement, Emma, qui a l’air d’avoir 18 ans, c’est frais ! En bas de page, un slogan choc, martelé depuis le début de la campagne : « En votant pour des candidats de la Nouvelle Union Populaire, vous pouvez m’élire Premier ministre ! » Il est sérieux Méluch’, il croit qu’on n’a pas assez d’un Jupiter sur le trône et qu’on va en installer un second ? A quoi va ressembler cet attelage Macron-Mélanchon ? A une joute oratoire permanente, un bordel sans nom, la France quoi ! Par contre, il est vrai qu’on va se marrer et que les punchlines vont pleuvoir. Sauf si lui aussi se met à faire dans la caricature comme cette semaine avec son « LA POLICE TUE ! ». On apprécie là encore le sens de la nuance. Je l’enverrai bien faire un stage d’un mois dans un commissariat bien chaud histoire de voir comment il s’y prend lui, qu’on connait pour sa patience limitée. Je ne lui donne pas quinze jours pour commettre une bavure. Ces gars-là, les policiers, encaissent parfois des charges de stress monumentales, alors forcément il arrive que ça dérape. Personnellement, britannique dans l’âme comme je l’ai si souvent répété, je milite pour une police sans pistolet. Comparez les stats, il n’y a pas plus de policiers agressés en Angleterre qu’en France. On n’est pas plus en sécurité avec un pistolet que sans, regardez l’Amérique où l’importe quel débile mental peut se payer une pétoire digne de Rambo, est-ce qu’on n’y est en sécurité ? Mais passons, l’objet de ce billet n’a rien à voir avec le 2ème amendement américain mais avec les législatives françaises. Emma est la candidate de la Nupesse donc, elle est jeune et séduisante. Les idées sont exprimées clairement même si certaines paraissent utopiques. Est-il interdit de rêver ? Certainement pas, au contraire. Ce qui me dérange en revanche, c’est la grosse tête de Mélanchon, une tête d’ailleurs plus grosse que celle de la candidate, c’est un comble mais est-on surpris ? Non bien sûr ! Mélanchon, c’est Macron avec une cravate rouge. Je n’aime pas Mélanchon. Cet homme politique est là depuis des décennies, il a occupé tous les postes, encaissé tous les chèques et il vient nous expliquer qu’il est l’homme nouveau, providentiel, présidentiel. Une Nupesse sans Mélanchon, pourquoi pas. Avec, certainement pas.

Deux tracts étaient restés au fond de l’enveloppe. Celui de Marlène, la candidate soutenue par Florian Philippot, ex RN et surtout ex petit ami de sa présidente Marine Le Pen, et Nicolas Dupont-Aignan. Le trac a pour titre Liberté ! Il y a des idées que je défends dans ce programme, par exemple le RIC, Référendum d’Initiative Citoyenne, la reconnaissance du vote blanc, l’interdiction du pantouflage pour la haute fonction publique… mais il y a aussi et surtout beaucoup de paranoia : « Un procès et la vérité sur les effets secondaires des vaccins anti-covid », « L’interdiction du vote par correspondance et du vote électronique, contre la fraude », « Le maintien de l’argent liquide », « Le refus de l’identité numérique et des projets de surveillance des populations », « Refus de l’obligation vaccinale Covid », Frexit, etc. etc. Heureusement qu’ils ne veulent pas créer une commission d’enquête pour savoir si la terre est réellement ronde ou bien plate comme tout le monde le sait, et ce depuis toujours. Cette liberté a une drôle d’odeur, si si, la liberté peut avoir une odeur, comme la peur, une odeur de souffre, la couleur de ce tract qui part du bleu et va vers le jaune orangé rappelle d’ailleurs un peu celle du souffre. Je ne voterai pas pour Marlène. Mais pour qui vais-je voter enfin ?

Dernier tract, last but not least, comme disent les Britons, le Parti Pirate ! Kesako le parti pirate, première fois que j’entends ce nom ? « Ne votez pas pour nous, votez pour nos idées », annoncent-ils ! Intéressant. Pas de tête de gondole donc, ils s’en expliquent au verso : « Nous préférons que vous votiez pour nos idées plutôt que pour nos portraits, c’est pourquoi vous ne verrez pas nos noms, ni sur les affiches, ni sur cette circulaire ». Impossible pour moi par conséquent de me foutre d’une gueule de poivrot ni d’une tête trop petite ou trop grosse. Sachez néanmoins, chers pirates, que les gens aiment bien que les idées soient incarnées par une personnalité, une histoire, car les gens sont de grands enfants et les enfants aiment les histoires. C’est peut-être regrettable mais les gens sont ainsi faits. Pas sûr donc que cette position non incarnée mais audacieuse plaise au plus grand nombre. Mais poursuivons. « Notre société fait face à de plus en plus de défis : climatique, démocratique, social, économique. Les gouvernements successifs ont toujours annoncé vouloir y répondre, mais les choix politiques des ces vingt dernières années n’ont pas conduit aux changements escomptés et nécessaires. Cet attentisme ne fait qu’aggraver le problème. » Ils nous proposent quatre défis : démocratique, économique, social et environnemental. Je me suis rendu sur leur site pour en savoir davantage, sur leur origine, leur programme, leur financement. J’appris que cette initiative avait démarré en Suède au milieu des années 2000 et essaime aujourd’hui un petit peu partout dans le monde, partout certes mais surtout un petit peu, pas plus, puisqu’il n’y a que quatre euro-députés qui se revendiquent du parti pirate. Leur programme est un trop long et technique (plusieurs dizaines de propositions) pour être résumé ici, il justifiera sans doute un autre billet. Quant au financement, constitué exclusivement de dons, s’agissant des législatives françaises, il est de 63149 euros très précisément à cette heure tardive, ce qui leur permet d’après ce qui est écrit sur la ligne du dessous, de présenter 50 candidats. Si mon calcul est exact, cela représente un budget de 1263 euros par candidat, ce qui est en effet un vrai défi économique, au moins sur ce point, on ne peut pas les contredire. Vous connaissez mon affection pour les causes perdues, je rappelle que j’ai voté Idalgo et dans un match, je suis toujours pour l’outsider, je n’y peux rien, je suis comme ça, je préfère David à Goliath. Je suis donc bien tenté de voter pour ce petit parti pirate, véritable innovation démocratique passée complètement inaperçue, même dans cette enveloppe.

J’ignore le contenu de votre enveloppe à vous mais j’espère en tout cas que vous irez voter, ne serait-ce que pour vous bouger un peu les fesses. Tas de fainéants !