Rio loco
Ce week-end de second tour des législatives, je ne suis pas allé voter. Ce n’est pas bien je sais mais il n’y avait pas d’enjeu majeur dans ma circonscription, cela se jouait entre le député sortant, candidat renaissant, et une très jeune nupesse sortie de nulle-part, le talent n’attendant pas le nombre des années semble-t-il. A l’arrivée pourtant, c’est le sortant qui a gagné, cet ex républicain en marche aujourd’hui en pleine renaissance donc, quel lyrisme électoral ! Ce manque d’intérêt évident n’est pas la raison majeure pour laquelle je ne suis pas allé voter. J’étais invité au festival Rio Loco à Toulouse par mon ami de toujours, Jacques. Jacques est ivoirien et me présente à tous comme son premier copain blanc car lorsqu’il est arrivé dans notre petite ville de province en provenance d’Abidjan, à l’âge de sept ans, la seule place disponible à l’école ce jour-là était à côté de moi. C’était il y a quarante ans. De l’eau a coulé sous les ponts de la Garonne depuis et nous voici réunis le long du fleuve fou, Rio loco en espagnol, pour un festival de musiques du monde.
Et du monde, il y en a eu. Beaucoup de monde, festival oblige, et des quatre coins du monde, musiques du monde oblige. Afrique, Caraïbes, Amérique du Sud, Portugal, qui était à l’honneur cette année, nova onda. Même le Danemark était représenté avec la présence d’Agnès Obel, pianiste et interprète qui vous hypnotise de sa voix douce et envoutante, telle une fée nordique sortie d’un conte d’Andersen pour vous endormir le soir. J’ai découvert Agnès Obel au tout début de sa carrière il y a une quinzaine d’année. Nous avions trouvé des places au dernier moment pour son concert et forcément nous étions arrivés très en retard au point d’atterrir sur des strapontins. Des strapontins de première classe cela dit puisque c’était au premier rang. Quelques mètres à peine nous séparaient de son piano. Pas de grand show à l’américaine, façon Orelsan ou feu Johnny national au stade de France, alluuummeeez le feuuuu !, non rien de tout ça, juste une scène, une violoncelliste, un piano, une voix. Quelques notes sur le clavier et je prends une des plus grandes claques musicales de ma vie. Claque n’est pas le bon mot en réalité, comment décrire cette sensation ? Décollage, planage, nuage, à quel étage, j’erre ? Je l’ignore encore mais le temps d’un concert, j’ai quitté ce monde terrestre pour m’embarquer dans l’univers musical d’Agnès Obel. La proximité physique a dû y jouer, à cette distance, j’aurais été assis à côté d’elle au piano, cela aurait été pareil. Bon elle aurait sans doute trouvé ça bizarre, forcément, pour qui il se prend ce drôle de spectateur ? Pour personne, faites comme si je n’étais pas là chère Agnès, continuez je vous en prie.
Moi en tout cas, j’ai continué à l’écouter après et à la faire écouter à mes enfants, en particulier quand nous partions en vacances. Je mettais par exemple Riverside (1) et je pouvais compter les secondes avant que mes deux petits, eux aussi, rejoignent ce monde onirique en compagnie de Morphée. Avec les années, ils avaient compris le stratagème et me disaient, ah ah tu mets Agnès Obel mais ça ne va pas marcher, on est grands maintenant, ils avaient sept ou huit ans. On verra, je leur répondais, et quelques minutes après, plus personne ne la ramenait à l’arrière de la voiture, tout le monde s’était endormi. Quand votre esprit atteint ce niveau de relâchement, votre corps suit, et vous vous éteignez doucement comme une bougie en fin de nuit. Vous l’aurez compris, je suis agnesobelophile au premier degré et j’étais heureux de la retrouver sur scène.
J’étais également heureux de voir tout ces gens, heureux également, excités, de venir écouter ces artistes du monde entier, une petite tour de Babel réunie le temps d’un festival, au bord du fleuve fou.
Dur retour à la réalité le lendemain, les Français avaient, pour une partie non négligeable d’entre eux, plébiscité les députés nationalistes, passant de 8 fauteuils en 2017 à 90 cinq ans plus tard. Pour eux, le monde et ses habitants n’avait rien de musical, il leur était étranger et représentait un danger duquel il fallait se méfier.
Fin du festival, la fête est finie !
Sources / Notes
(1) Riverside, chanson d’Agnès Obel, Philarmonics, 2010
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