Les femmes s’exposent
Je viens d’achever une année avec des collégiens dans le cadre d’un club consacré au street art. Ensemble, nous avons pu nous adonner à des activités aussi variées que le dessin, le graffiti, le pochoir, les collages, la personnalisation de baskets, on dit aussi « sneakers » chez les connoisseurs, dont une Nike Air Force One de deux mètres cinquante de long sur un mètre cinquante de haut que nous avons collée sur un mur. Nous avons aussi initié et participé à la réalisation d’une fresque de plus de cinquante mètres de long avec le street artiste Seb Toussaint, illustrant un mot choisi par les enfants eux-mêmes : A.M.I.T.I.É.S. What else ? Nous dirait sans doute George Clooney entre deux Nespresso. J’ai rassasié tout ce petit monde avec des chouquettes de la boulangerie du coin, qui répond au doux nom de La Mie Paulette, ce qui m’a coûté une petite fortune. Mais cela n’a aucune importance car je suis très fier de ce que nous avons accompli cette année avec les enfants du club Street Art.
La rue peut être le lieu d’exposition d’une autre forme d’art que j’affectionne tout particulièrement à titre personnel : la photographie. J’avais fait découvrir à cette joyeuse bande d’enthousiastes le travail de l’artiste JR, à qui l’on doit le collage d’immenses portraits sur le mur qui sépare Israël de la Palestine, des trompe-l’oeil vertigineux au pied de la Tour Eiffel ou au Louvre ou encore une tournée en photo truck aux côtés de la cinéaste aujourd’hui disparue Agnès Varda. J’aime la photo, je l’ai toujours aimée je crois, j’étais même parti en train à Paris avec deux copains quand j’avais une dizaine d’années, peut-être quinze je ne me souviens plus exactement, sur les traces d’un autre street artiste de renom : Mode 2. Si vous ne vous intéressez pas à cet art de rue, vous ne connaissez probablement pas Mode 2, ni JR, ni même Seb Toussaint, peut-être avez-vous entendu parlé de Banksy, qui a réussi lui à se faire connaître du grand public par ses provocations, je lui ai d’ailleurs déjà consacré un billet, d’assez mauvaise humeur d’ailleurs (Lire Banksable).
Houlgate, une petite station balnéaire nichée sur les côtes de ma chère Normandie a parfaitement compris que la photo pouvait s’exposer dans la rue et pas uniquement en galerie puisqu’elle organise chaque année depuis cinq ans maintenant un festival photo intitulé Les femmes s’exposent qui met à l’honneur les femmes photographes. Le thème de cette année : le Liban. J’ai particulièrement aimé les photos de Manu Ferneini et de Laura Menassa, exposées de part et d’autre de l’Eglise Saint-Aubin, juste à côté de la rue Saint-Philbert, notamment ces portraits de gens ordinaires dont on lit sur le visage tout le désarroi qui les envahit. Il faut réaliser à quoi ressemble la vie au Liban aujourd’hui, après des années de guerres, des vagues d’immigration et d’émigration incessantes, une pandémie et l’explosion du port de Beyrouth il y aura deux ans le 4 août prochain. Les prix ont été multiplié par six, la monnaie a perdu 95% de sa valeur, la moitié des bâtiments de la capitale ont été sévèrement endommagés et le port complètement détruit. Un gamin sur deux ne mange pas à sa faim et ne va plus à l’école, pour lui ce n’est pas le club street art au programme, c’est l’école de la rue. Ce pays qu’on appelait jadis « La Suisse du moyen-orient » est désormais ruiné et ses habitants désemparés. Voilà ce que nous disent ces visages.
Une photo m’a fait sourire néanmoins. On y voit une petite boîte avec une Sainte Vierge juste à côté d’un compteur électrique. Le commentaire en dessous nous indique qu’il y a au Liban dix-huit confessions religieuses officiellement reconnues par l’Etat (chiites, sunnites, alaouites, maronites, catholiques, druzes, etc.) mais seulement deux heures d’électricité par jour dans la plupart des villages excentrés. Comment peut-on, me dis-je avec un sourire espiègle, avoir autant de religions et si peu de lumière ?
Si des fois vous passez du côté de chez Swan, je vous invite amicalement à faire un détour à Houlgate et déambuler autour de l’église Saint-Aubin.
Notes / Sources :
Née dans une famille italo-libanaise installée en France, Laura Menassa, tout juste diplômée de l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Tours, s’installe à Beyrouth en 2018. Son travail questionne la perception de la réalité et du temps, les notions d’intimité et de territoire. La photographie lui permet d’immortaliser une apparition ou un instant qu’elle recrée en mettant en scène des ambiances mystérieuses. Elle révèle dans ses portraits sa vision des sentiments et des désirs enfouis dans le monde de l’inconscient. Ses séries « Rêveries et fantasmes » et « A Quest for Identity » ont été exposées à Arles, Rome, Londres, etc.
Manu Ferneini est une photographe libanaise de 23 ans, titulaire d’une licence en photojournalisme et photographie documentaire obtenue à l’Université des Arts de Londres. Après avoir obtenu son diplôme en 2019, elle est retournée dans son pays natal, le Liban, où elle couvre les événements sociaux et politiques, à la fois pour des organes de presse internationaux (« Der Spliegel », le « Washington Post »…) et dans le cadre de sa pratique photographique personnelle. Ses photographies s’articulent autour de notions d’identité sociale, qu’elle soit établie, construite ou imposée ; et autour du réel et des réalités alternatives.
A propos du festival Les femmes s’exposent :
Moins d’un quart des photographes des grandes agences sont des femmes. Elles gagnent moins bien leur vie que leurs confrères. Seulement 25% de la programmation des événements photographiques met en avant les travaux des femmes photographes. Ils sont donc insuffisamment présents dans la presse, les festivals, les expositions et les prix photo.
Le Festival LES FEMMES S’EXPOSENT a ainsi pour vocation de valoriser et récompenser les travaux des femmes photographes et, ainsi, de soutenir les nouvelles générations comme les anciennes.
Le Festival est également sensible à la question de la démocratisation de l’accès à la culture. Les expositions sont réalisées dans l’espace public : leur visibilité par tous et leur gratuité sont les principes de base de l’organisation de l’événement.
Plus d’informations sur www.lesfemmesexposent.com
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