PsychédéliX
Alors que Beigbeder a fait ses adieux à la coke dans l’Obs juste avant l’été (1), moi j’ai décidé de ne pas commencer. J’ai une relation particulière avec Frédéric Beigbeder, rien de sexuel rassurez-vous. Il y a quelques années, j’avais décidé d’emmener Beigbeder dans mes valises comme d’autres passent l’été avec Proust ou Balzac, chacun sa came après tout. Quand je dis emmener Beigbeder dans mes valises, je veux parler de ses romans hein, pas de l’écrivain. Vous imaginez la tête du douanier en ouvrant mon bagage ? Bah c’est quoi ça, Monsieur ? Bah c’est Frédéric Beigbeder Monsieur le douanier ! C’est un écrivain français assez con et junky sur les bords, un peu au milieu également, fan de Salinger et surtout de Oona (2), j’ai décidé de l’emmener en vacances avec moi. Bon là, il est en morceaux c’est vrai mais avec quelques grammes de coke, vous allez voir, ça devrait s’arranger. J’avais bien démarré ma série de lectures avec 99F puis pour mieux m’imprégner de l’univers du livre suivant, Vacances dans le coma, j’ai décidé de chopper une pneumonie. Retour en France, hospitalisation et tout le toutim, merci Beigbeder, sympa les vacances avec toi ! En même temps, le titre était assez explicit, j’avoue.
Depuis, je me méfie. De lui comme de la coke. Jusqu’ici, c’était facile car personne ne m’en avait jamais proposé. Faut croire que je ne sors pas beaucoup, ou alors uniquement avec des gens sains ou fauchés, ce qui dans les deux cas est triste à mourir, convenons-en. Mais comme le fait justement remarquer FB dans l’Obs, la coke s’est démocratisée, notamment grâce à une baisse significative des prix, quitte à la couper avec du paracétamol ou un laxatif – bonjour la digestion ! Résultat, finis la ségrégation et le snobisme, tout le monde en prend : à la ville comme à la campagne, les bourgeois comme les plouks. Et donc ce qui devait arriver arriva, quelqu’un m’en a proposé dans le cadre d’une soirée entre amis, en guise d’apéritif juste avant que les pizzas ne soient chaudes. J’ai même appris dans la foulée que mon ami d’enfance avait un problème d’addiction à la coke, ce qu’il nie farouchement évidemment et que le député de ma circonscription, invité de la soirée, en prenait aussi.
Quant à moi, j’ai une sorte de barrage mental concernant toutes ces substances dont on ignore d’où elles viennent et surtout comment elles ont été fabriquées. J’ai encore à l’esprit la Une d’un tabloïd anglais quand je vivais à Londres avec la tête d’une jeune fille dont le volume crânien avait au moins doublé je dirais, sans faire mon Marseillais. L’article expliquait qu’elle avait pris de l’ecstasy dans une soirée, ecstasy qui a priori n’avait rien d’un ecstasy, avait fait une mauvaise réaction, une sorte d’allergie ultra-puissante et en était morte. Les parents avaient accepté que sa photo paresse dans la presse pour dissuader les jeunes de prendre ce genre de pilules, autant avaler une grenade dégoupillée, clamaient-ils avant de pleurer à tout jamais. L’objectif était atteint me concernant car je n’ai pas oublié cette histoire. Pauvre gosse !
J’ai donc gentiment refusé cette invitation à éprouver de nouvelles sensations subliminales mais je comprends l’intérêt que certains y trouvent. Comme l’explique Beigbeder, on ne comprend rien à la coke si l’on ne dit pas que c’est la drogue des timides. Vous inspirez cette poudre et soudain vous prenez confiance, alors tout semble devenir possible. Vu ainsi, c’est tentant en effet mais il ne faudrait pas non plus oublier le revers de la médaille : addiction, overdoses, dépression, infarctus, AVC, cancers de l’estomac ou du colon, chômage, violences conjugales, trafic, prison… ça devient tout de suite moins drôle vu comme ça.
J’ai l’air un peu réac, voire coincé du cul, ce qui est possible, mais j’essaie de garder l’esprit ouvert malgré tout. D’ailleurs, sans être consommateur moi-même, le sujet des psychotropes m’intéresse beaucoup. J’ai regardé par exemple une mini-série sur Netflix intitulée How to change your mind (X), que l’on pourrait traduire littéralement par « Comment changer votre état d’esprit » mais la plateforme a choisi elle de lui donner pour titre « Voyage aux confins de l’esprit ». Les deux titres sont intéressants car d’un côté, on a tous des idées stéréotypées sur les psychotropes, que la plupart des gens appellent « Drogues » avec un D majuscule comme si elles étaient toutes similaires et l’autre titre nous invite à faire un voyage mystérieux, ce que je vous invite à faire également, vous verrez, ça vaut vraiment le coup.
Le documentaire est basé sur le livre du même nom de l’américain Michael Pollan (2), professeur et auteur à succès. C’est également lui qui le présente. Pollan a choisi de mettre en lumière quatre psychotropes, les Américains eux disent « psychédélics » : le LSD, la psilocybine, la MDMA, plus connue sous le nom d’ecstasy et enfin la mescaline.
Le LSD est une molécule de synthèse trouvée par Albert Hofmann dans les années 50, un chercheur suisse travaillant pour le laboratoire Sandoz. Voulant éprouver lui-même les effets de sa trouvaille, il décida d’en ingurgiter quelques milligrammes, 25 pour être précis, d’où le nom original : LSD-25. Et ce qu’il découvrit fut un nouveau monde, enfin non, le même monde mais avec d’autres formes et beaucoup plus coloré, plus ouvert, une sensation extrêmement agréable, aussi celle d’ouvrir son esprit sur d’autres réalités, invisibles à l’oeil nu. Albert fit sans doute le premier voyage psychédélique de l’histoire. Sa découverte fut telle qu’elle se propagea rapidement au monde scientifique puis au monde entier et le LSD circula bientôt librement jusqu’à être un des déclencheurs du mouvement hippie des années 60. De nombreux inventeurs, dont le fameux Steve Jobs, fondateur d’Apple, ont publiquement reconnu et même fait la promotion du LSD dans leur processus créatif. Va savoir, j’écrirais peut-être encore sur une vieille machine à écrire et j’appellerai ma mère avec un téléphone à fil en bakélite s’il n’y avait pas eu le LSD et les années 60. Jusqu’à ce que le Gouvernement américain de Nixon, réaction puritaine poursuivie par Reagan, qui déclarèrent la guerre totale à toutes les formes de drogues et mirent fin à tous les programmes de recherche en rapport avec ces substances. Or, on sait aujourd’hui que le LSD, encadré et pris à microdoses, permet de lutter contre des maladies mentales telles que la schizophrénie ou la dépression. Le LSD ne doit donc pas être diabolisé mais étudié et utilisé de manière thérapeutique. Il en va de même pour le champignon.
Pas le champignon de Paris bien sûr, qui est bien meilleur cuisiné à la Normande avec de la crème et du Calvados que sniffé. Non, il s’agit ici de ce qu’on appelle nous les champignons hallucinogènes et les Américains « Magic mushrooms », champignons magiques. Une fois encore, les Yankees sont meilleurs en marketing que nous les vieux Européens. Ceci dit, ils n’ont rien inventé, les champignons magiques étaient déjà utilisés par les Mazatèques, peuple indigène situé au nord de l’Etat de Oaxaca au Mexique, pour leurs vertus médicinales. La substance active s’appelle en fait la psilocybine, qui n’est pas sans rappeler Le chant du psylo, la chanson du groupe Billy Ze Kick sur ce fameux champignons (X). Etonnant qu’il n’en est jamais été questions dans Les Schtroumpfs ! Aujourd’hui, la psilocybine est également étudiée par les médecins et les chercheurs, notamment en cancérologie, pour soulager le stress généré par la maladie. On voit d’ailleurs dans le documentaire une dame âgée qui a bénéficié d’un traitement thérapeutique à base de psilo et sa vie a été radicalement améliorée, en une seule prise. Le champignon n’a pas guéri son cancer évidemment, mais elle est sortie de la profonde dépression dans laquelle la maladie l’avait plongée. Ce qui n’est pas rien !
Il en va de même avec la MDMA, ou ecstazy, qui après avoir été interdite par la très puissante DEA, Drug Enforcement Administration, plus ou moins l’équivalente américaine de l’agence du médicament, vient d’être autorisée dans le traitement des troubles psychiatriques post-traumatiques, notamment des soldats américains revenant des zones de conflit. Ce fut un combat de plus de vingt du chercheur Rick Doblin. Dans cet épisode, c’est Lori, une femme d’une trentaine d’années pleine d’entrain qui témoigne. Pourtant, sa maison avait été balayée par l’ouragan Katerina et sa mère avait tué sa soeur et sa compagne (celle de la mère) à coup de fusil avant de retourner l’arme contre elle et c’est Lori qui avait découvert le carnage. Autant dire que son cas, c’était du lourd en matière de traumatisme, du très lourd même, suffisamment pour penser à se suicider plusieurs fois par jour. Et c’est la MDMA qui l’a sauvée. Tout comme ce policier que Rick Doblin a soigné à titre expérimental, une rencontre décisive qui a fait plier la DEA et permet aujourd’hui le traitement de centaines de soldats en souffrance.
Je n’évoquerais pas la mescaline, qui est issue d’un cactus du sud des Etats-Unis, car les amérindiens qui le cultivent et l’utilisent depuis des siècles ne souhaitent pas voir débarquer sur leurs terres des couillons comme vous et moi, surtout vous, en quête de sensations fortes.
Comme vous le voyez donc, je ne suis pas fermé aux psychotropes. Au contraire, surtout lorsque cela peut sauver des vies, ou la soulager. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. J’ai fait le test de parler de ce documentaire autour de moi et les réactions furent souvent caricaturales, épidermiques même. C’est n’importe quoi ton reportage, m’a-t-on balancé. La Drogue, c’est de la merde et puis c’est tout ! Encore des hallucinations de soixante-huitards sortis de je ne sais quel van Volkswagen !
Avec de tels raisonnements, accentués par la généralisation de la consommation de coke et de cannabis, dans un contexte de montée en puissance des nationalistes qui rêvent de passer les dealers et les cités au Karsher, je me dis qu’on n’est pas prêt d’avoir un débat apaisé sur le sujet et de voir nos médecins nous prescrire du LSD, des champignons magiques, de l’ecsta ou du cactus.
T’en penses quoi toi, Frédo ?
Sources / Notes
(1) Frédéric Beigbeder, Mes adieux à la coke, L’Obs n°3009, du 16 au 22 juin 2022
(2) How to change your mind, Michael Pollan, Penguin Books, 2018
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