Femmes, vie et liberté

Alors que je me crêpe le chignon avec ma fille de 12 ans parce qu’elle veut faire une couleur pour retrouver ses cheveux blonds d’enfant, je ne peux m’empêcher de penser qu’à des milliers de kilomètres de là, des jeunes femmes se battent au péril de leur vie pour avoir le droit de s’habiller comme elles veulent. Le parallèle est troublant.

Elle s’appelait Mahsa, elle avait 22 ans et elle allait ouvrir son propre magasin dans sa ville natale de Saqqez au Kurdistan iranien. En visite à Téhéran, elle est arrêtée pour une misérable histoire de voile par les « Gasht-e-Ershad », une sorte de police des moeurs qui a surtout pour objectif de réprimer les femmes qui ne s’habillent comme le souhaite le régime en place, dirigé depuis 2021 par Ebrahim Raïssi qui a fait du hijab et de la chasteté ses fers de lance. La jeune femme est sans doute frappée violemment, suffisamment en tout cas pour la plonger dans le coma. Elle décèdera quelques jours plus tard. Crise cardiaque selon les autorités, ses parents affirment eux qu’elle n’a jamais eu de problèmes de santé particuliers.

Mais ce crime de plus du pouvoir en place est le crime de trop, cette jeunesse qu’on veut écraser n’en peut plus et sort dans la rue crier sa colère et son désespoir. La réponse des Pasdarans, les Gardiens de la révolution, est à la hauteur des manifestations. La police tire à balles réelles tous azimuts et envoie ses « Bassidjis », des miliciens habillés en civil qui s’infiltrent dans la foule et sortent leurs armes de guerre au moment opportun pour liquider celles qui les importunent. C’est le cas notamment de Hadis Najafi, qui il y a quelques mois encore diffusait des photos d’elle sur les réseaux sociaux façon pose de mode mais sans provocation ni tenue particulièrement dénudée, le genre de nana que ma fille suivrait sur Tiktok ou YouTube. Sauf que chez les mollahs, même une épaule nue est inacceptable. Elle a été tuée de 6 balles dans la nuit du 24 ou 25 septembre lors d’une manifestation à Karaj, à l’ouest de la capitale. Paris Match a choisi de montrer une photo d’elle morte et je le fais aussi car les mots ont peut-être du poids mais rien ne vaut le choc des photos pour réaliser le niveau de la répression en Iran.

J’avais terminé ma chronique sur l’arrêt Roe vs Wade en disant que je ne comprenais pas certaines femmes, celles qui assiégeaient avec rage les cliniques pratiquant l’IVG, rampant par terre et brandissant des croix, cela me désespérait même de la nature humaine, si influençable par toutes sortes de doctrines et d’idéologies.

Je constate avec tristesse que ce n’est pas mieux en Iran où le pouvoir a organisé des contre-manifestations de chauve-souris, ces femmes voilées en hijab noir de la tête aux pieds, bras tendu vers le ciel, pour défendre les oppresseurs. Une fois encore, je ne comprends pas. Enfin si je comprends tout à fait le mécanisme à l’oeuvre, celui du conditionnement sans parler de leur peur qui poussent certaines victimes à être pires que leurs bourreaux. Je comprends tout cela mais c’est difficile à encaisser. Une jeune iranienne était l’invité de France Inter cette semaine. Elle racontait la fois où en fin d’adolescence, elle a eu son premier rapport sexuel, quelque chose de très rapide et sans grand intérêt comme souvent pour les premières fois, l’émotion et le manque d’expérience certainement. Toujours est-il qu’elle s’en confie à sa mère et que ce sera une grossière erreur de sa part. La mère va prévenir son frère, l’oncle de la jeune femme donc, et les deux fanatiques la passent à tabac. Nez fracturé, arcades éclatées, contusions, entailles… elle manquera de peu d’y passer. Peu après elle s’enfuira d’Iran pour ne plus jamais y revenir. Ce genre d’histoire me sidère, penser qu’une mère puisse tabasser sa fille, pour moi ça dépasse l’entendement, les conséquences de l’endoctrinement sans aucun doute.

J’ignore si les jeunes iraniennes vont gagner leur combat pour avoir le droit d’être des êtres humains à part entière et de vivre libres. Franchement j’en doute car le combat est inégal. Il y a déjà plus d’une centaine de morts du côté des manifestants et le pouvoir ne désarmera pas, une question fondamentale de principe, ou plutôt de principe fondamentaliste.

Quant à ma fille de 12 ans et sa couleur blonde, que dire ? Ce qui m’inquiète, ce n’est pas le fait qu’elle fasse une couleur bien que je trouve que c’est un peu jeune, les coiffeurs par exemple n’acceptent pas de faire des couleurs ou des décolorations sur des jeunes femmes de moins de 18 ans par exemple. Ce dont j’ai peur, c’est de la voir prendre un chemin où on veut changer tout ce qu’on aime pas en soit au lieu de s’accepter telle qu’on est. Je lui souhaite tout le bonheur du monde et n’ai qu’une envie, c’est qu’elle soit bien dans ses baskets, des Jordan achetées à vil prix sur Vinted, mais je crains qu’après les cheveux, ce soit le nez, les seins, les fesses… les filles ont le don, ou la malédiction, de tout trouver moche chez elles, ce qui fait la fortune des psy et des chirurgiens esthétiques !

Que me conseillerait Masha sur ce point ? Sans doute de la laisser vivre, faire ses choix librement, quitte à faire des erreurs. La vie quoi !

Merci Masha pour ce conseil, repose en paix ma douce.

Sources / Références

Iran, La jeunesse se sacrifie, Paris Match, 29 septembre 2022.