Anatomie d’un succès
Cette année, il y avait du lourd à la cérémonie des César. Quand je dis lourd, je ne parle pas de la notoriété des actrices et acteurs présents dans la salle, tirés à quatre épingles, tendus comme un string mais faisant de leur mieux pour qu’on ne voit pas qu’ils préféreraient tous être ailleurs. Je dis lourd, par opposition à léger, au vu des principaux films en lice : Anatomie d’une chute, l’histoire d’une autrice harcelée moralement par son mari, auteur également, qui le balance la fenêtre, ou pas, Je verrai toujours vos visages, sur la justice restaurative et en filigrane l’histoire d’une gamine de sept ans violée par son frère de treize, L’amour et les forets, une femme violentée par un mari toxique, un pervers narcissique comme on dit. Ajoutez à cela, la prise de parole de Judith Godrèche sur son histoire personnelle, celle du gamine de quinze ans en couple avec un réalisateur de quarante ans, qui la présente au monde entier comme sa muse, avec laquelle il s’amuse et dont il abuse. Judith a atteint le fond de la piscine, a donné un coup de pied pour remonter à la surface et venir lui en mettre un entre les couilles, pour elle bien sûr, pour sa santé mentale, pour réparer, restaurer, et pour toutes celles et ceux qui vivent la même chose sans pouvoir l’exprimer. Alors chapeau Judith ! La grande fête du cinéma ce soir a ressemblé à une séance de psychothérapie collective, de justice restaurative presque, justement.
Heureusement qu’il y avait tout de même quelques bouffons pour amuser la galerie et alléger l’ambiance, tel Paul Mirabel, ce jeune prince pince sans rire génial, doublure cheveux de Virginie Efira, qui malheureusement n’a pas été retenu pour jouer son propre rôle dans le biopic qui lui sera un jour consacré, ni d’ailleurs pour le prochain James Bond, maintenant que Daniel Craig est parti. Il ne faut pas oublier la présidente, Valérie Lemercier, inoxydable, impayable et capable de chanter Si j’étais président en regardant Rachida Dati droit dans les yeux :
Il était une fois, à l'entrée des artistes Un petit garçon blond au regard un peu triste Il attendait de moi, une phrase magique Je lui dis simplement, si j'étais Président Si j'étais Président de la République Jamais plus un enfant n'aurait de pensée triste Je nommerais, bien sur, Mickey premier ministre De mon gouvernement, si j'étais président Simplet à la culture me semble une évidence
Il n’y a qu’elle pour oser cela sans provoquer un scandale diplomatique. Merci aussi à Jean-Pascal Zadi pour sa bonne humeur en toute circonstance. Jamel Debbouze, quant à lui, était tout en émotion pour son hommage à Agnès Jaoui et à travers elle à Jean-Pierre Bacri.
Je remarque, avec une certaine fierté, fierté de pouvoir dire quand un acteur sort du lot, je ne suis pas le seul bien entendu mais tout de même, quand je vois un acteur pratiquement inconnu et que je me dis, tiens tiens, y a quelque chose chez lui qui me dit qu’on le reverra, je pense bien sûr à Raphaël Quenard, dont j’avait fait mon favori pour le César du meilleur acteur. Il n’a pas eu ce César, préférant le laisser à Arieh Worthalter, pour son rôle dans Le procès Goldman, mais celui de la révélation, comme quoi, et son discours une fois monté sur scène ne m’a pas déçu du personnage, au contraire, d’ailleurs ce n’était pas un discours, c’était du spontané pur sucre, du spontané de très haut niveau, exprimé avec le coeur et les tripes. Je continue donc à penser qu’on le reverra, pour notre plus grand plaisir.
J’ai aussi beaucoup aimé les propos de Goldshifteh Farani, l’actrice franco-iranienne, qui s’est exprimé ainsi avant de remettre le Cesar du meilleur film étranger : « C’est qui l’étranger, c’est moi ? Oui, je suis une étrangère. Vous ? Oui, vous aussi. Nous sommes tous étrangers à quelqu’un ou quelque chose. Mais à la maison ou ailleurs, notre monde a mal. L’Europe a mal, le Moyen-Orient a mal, les extrêmes arrivent à nous séparer de plus en plus et à nous faire croire que nous sommes les ennemis les uns des autres. Mais… est-ce qu’il faut un autre virus mortel ou un météorite, une météorite, destructrice, ou une catastrophe naturelle pour nous rappeler que nous sommes un, au-delà de notre nationalité, nos origines, notre religion, nos idéologies, nos couleurs, même notre genre… heureusement que l’art nous réunit. Ou les politiques déchirent, les artistes recousent. Au lieu de construire des murs, nous les artistes, on crée les ponts. Construire un pont, même une passerelle n’est pas un rêve. Si on rêve seul, ça reste un rêve, si on rêve ensemble, cela devient la réalité, comme disait John Lennon. Alors rêvons, rêvons de la paix et de la fraternité, de sororité surtout, rêvons de la liberté pour tous.
Imagine all the people Livin' life in peace You You may say I'm a dreamer But I'm not the only one I hope someday you'll join us And the world will be as one (1)
Si vous observez bien la salle à ce moment-là, vous verrez que Sandra Huller, Cesar de la meilleure actrice pour son rôle dans Anatomie d’une chute, est en pleurs. Moi aussi.
A propos d’Anatomie d’une chute justement, je suis toujours étonné de voir que les films encensés par la critique, quand on dit critique, il s’agit de la profession (journalistes, spécialistes du cinéma, etc.), sont rarement les mêmes que ceux qui sont plébiscités par le grand public. En 2023 par exemple, le film qui a réalisé le plus d’entrées, c’est Astérix et Obélix, l’empire du milieu, un film qui s’est d’ailleurs fait étriller et par le public et par la critique. Si le public avait aimé, il n’aurait pas fait 4,6 millions d’entrées mais 10, 12 ou 15, c’est certain. Derrière, on retrouve les comédies de la bande à Lacheaux, Alibi 2 et 3 jours max, et le film d’époque de Martin Bourboulon au casting de rêve, Les trois mousquetaires I et II. Or aucune trace de ces films dans les nominations aux César et c’est presque toujours comme ça. Comme si le monde de la critique et le grand public étaient deux mondes totalement différents, étanches, les intellectuels d’un côté, la masse populaire de l’autre, rarement réconciliables.
Avec 1,5 million d’entrées, Anatomie d’une chute est un succès, la frontière entre le succès et le non-succès étant en France d’un million d’entrées environ, tout dépend du genre, du budget, du casting, entre autres. Mais c’est surtout un succès critique, cela fait des mois qu’on nous bassine les oreilles avec Anatomie d’une chute par ci, Anatomie d’une chute par là et qu’on voit sa réalisatrice, Justine Triet, sur tous les plateaux média. Alors, contraint et forcé par tant d’insistance, je me suis résolu à le regarder bien que cela ne me disait rien, vraiment. Et après l’avoir vu, cela ne me dit toujours rien. Ce qui me fait dire une chose toute simple, c’est que le cinéma n’est pas une science exacte. Le cinéma est un art et donc en tant que tel fait appel à notre subjectivité. Il n’y a pas de règles, pas de nomenclature et celui qui dit que tel ou tel film est un chef d’oeuvre, ou à l’inverse un navet, n’engage que lui. Pour moi, Anatomie d’une chute est une histoire de fait divers et d’hiver, puisqu’il est tourné en montagne et sous la neige, somme toute assez basique, rien d’original en effet dans le scénario, ni dans la mise en scène. Les acteurs sont certes à la hauteur, Sandra Huller, Swan Arlaud, Antoine Reinartz et le jeune Milo, mais bon what else, comme dirait Clooney ?
Je ne rejoindrai donc pas la liste des gens qui encensent ce film mais je suis néanmoins content qu’un film Frenchy soit à mis en avant un peu partout dans le monde et fasse même figure de favori pour l’Oscar du meilleur film étranger. Car pour moi, j’ai souvent eu l’occasion de l’exprimer, le cinéma est un art majeur, indispensable, une fenêtre sur le monde et les gens, peu importe qu’on aime ou qu’on n’aime pas tel ou tel film, qu’on comprenne ou pas pourquoi tel film est un succès, critique ou populaire, et tel autre non. Quelle que soit son anatomie, je continuerai, tel Quentin Tarentino lors d’une précédente cérémonie des César, de crier haut et fort, haut et court : « Vive le cinéma ! »
Sources / Références
(1) Imagine, John Lennon, 1971
Anatomie d’une chute, film de Justine Triet, 2023
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