# PolitiX

Veni, Vedi, MoscoVici

24 mars 2024

C’est réellement insupportable, ce côté donneur de leçons qu’ont certains responsables publics, surtout lorsqu’ils exercent le pouvoir, ou qu’ils l’ont exercé dans le passé et que dans un cas comme dans l’autre, ils font davantage parti du problème que de la solution.

En ce moment, Pierre Moscovici fait le tour des popotes radiophoniques et télévisées avec sous le bras son rapport de la Cour des Comptes, dont il est le président, un pavé d’un bon millier de pages, pour nous expliquer que nous dépensons trop, ou que nous ne gagnons pas assez, c’est au choix, nous les Français. C’est du moins l’impression qu’il donne quand on l’écoute, que c’est nous les coupables alors qu’il parle ici de l’Etat, sachant que ni vous ni moi, contrairement à lui, ne pouvons rien sur les dépenses de l’Etat. Nous avons déjà du mal à boucler nos fins de mois, nous n’allons pas en plus assumer celles d’un Etat central qu’il qualifie lui-même d’obèse. L’homme qui est payé par nos impôts depuis trente ans, que ce soit en tant que conseiller général, conseiller régional, député européen, président d’agglo, député, ministre, commissaire européen et donc, pour terminer, président de la bien nommée Cour des Comptes, un homme qui a occupé pratiquement tous les postes politiques possibles et imaginables, hormis premier ministre et président de la République, vient nous dire que nous sommes trop dépensiers et veut nous faire culpabiliser. Il faut, nous dit-il, trouver 50 milliards d’économies rapidement, sinon nous creuserons davantage encore le poids de la dette, une dette dont les intérêts sont devenus l’un de nos principaux postes de dépenses, c’est le cercle vicieux, le serpent qui se mort la queue.

Et comme si cela ne suffisait pas, Pierre Moscovici a été rejoint cette semaine par Bruno Lemaire, ministre de l’économie à mi-temps, romancier le reste de la journée, qui lui aussi y va de son ouvrage où il préconise davantage d’austérité budgétaire afin de respecter nos engagements vis à vis de Bruxelles, par exemple celui de ne pas dépasser 3% de déficit.

Ces deux-là me rappellent François Fillon qui lorsqu’il fut nommé premier ministre par Nicolas Sarkozy déclara qu’il arrivait à la tête d’un Etat ruiné et qu’il allait falloir se serrer la ceinture. Plus tard, on apprendrait que l’Etat avait été plus que généreux envers lui et sa famille, femme, enfants, tous payés à ne pas faire grand chose, même pas le job qu’ils étaient censés occuper.

C’est donc insupportable, disais-je en introduction, de se faire donner des leçons de morale budgétaire par des gens qui profitent aussi largement du système et que s’il faut faire des économies, ce qui est bien possible après tout, on pourrait commencer par économiser sur le salaire de ceux qui parlent beaucoup et finalement font peu. Mais raisonner ainsi, c’est être populiste nous dit-on, et faire le jeu des extrêmes. Pourquoi ? Je ne vois pas ce qu’il y a de populiste à demander à ce que les responsables politiques montrent l’exemple. S’ils veulent des économies, qu’ils commencent par les appliquer à eux mêmes, à leurs salaires, avantages, régimes spéciaux, plutôt que de stigmatiser toujours les mêmes, les chômeurs évidemment, les allocataires du RSA et des diverses allocations familiales, les migrants qui sont soignés gratuitement, etc. Les citoyens ordinaires attendent des responsables politiques exemplaires, ce n’est pas bien compliqué à comprendre comme idée, c’est tout bête même.

Cependant, quand on parle de finances publiques, il convient d’être précis pour éviter les raccourcis. Côté recettes, que constate-t-on ?

Recettes de l'État - La finance pour tous

Le premier élément qui saute aux yeux, c’est que les particuliers sont ceux qui contribuent le plus aux recettes, avec près de 100 milliards de TVA et presque autant d’impôt sur le revenu. Les entreprises quant à elles, qui ne paient pas de TVA, contribuent assez peu avec 13% d’impôt sur les sociétés et il n’est un secret pour personne que plus les entreprises sont grandes moins elles paient d’impôt en valeur relative car elles peuvent pratiquer ce qu’on appelle poliment l’optimisation fiscale, c’est à dire déplacer ses revenus là où l’impôt est le moins élevé, dans les paradis fiscaux quoi ! Le meilleur exemple, celui qui est souvent repris puisque c’est une des plus grosses capitalisations du CAC 40, c’est Total qui fait n’énormes profits et paie très peu d’impôt en France. Quand on dit cela, les gens de droite nous taxent encore une fois de gauchistes, de populistes, car il ne faut pas toucher aux entreprises, nous disent-ils, sinon elles iront investir ailleurs. L’Etat doit donc rester le dindon de la farce et faire des cadeaux fiscaux aux sociétés pour mieux taxer les particuliers. S’agissant des particuliers justement, le problème est le même, plus vous avez d’argent, moins vous payez d’impôt en pourcentage car vous pouvez payer un conseiller en patrimoine qui vous aidera à réaliser des optimisations. C’est la même mécanique injuste que pour les entreprises, en France les PME et les classes moyennes paient plein pot pendant que les grandes boîtes et les classes supérieures échappent partiellement à l’impôt. S’il faut augmenter les recettes, c’est là qu’il faut aller chercher et non toujours prélever sur les mêmes. Il y a aussi une catégorie « Autres recettes fiscales » assez floue mais assez significative quand même (17,5% du total), sur laquelle la Cour des Comptes devrait se pencher tout comme elle le fait sur nos dépenses.

L’autre aspect à prendre en compte avec les rentrées fiscales, c’est l’Europe. Car nous ne sommes pas seuls au monde, ni en Europe il va sans dire. La fiscalité, c’est le sujet tabou de la construction européenne, un trou noir légal dans lequel s’engouffrent tous ceux qui peuvent en profiter, particuliers fortunés, entreprises, Etats également. Prenez le Luxembourg, la Belgique, la Suisse, le Portugal, l’Irlande, les îles anglo-normandes, que seraient-ils tous sans l’optimisation fiscale ? Moscovici ne parle pas de ça dans ses interviews, de la même manière qu’il ne dit pas que pendant toutes les années où il a été commissaire européen, il n’a pas payé un euro d’impôt sur le revenu car ses revenus n’ont pas été gagnés en France mais en Europe, or l’Europe n’a pas de fiscalité, donc pas d’impôt, CQFD. Quand je parlais de trou noir, vous comprenez mieux de quoi il s’agit à l’aune de la rémunération des fonctionnaires européens. Je pense que la France devrait mettre les pieds dans le plat fiscal et se mettre à négocier avec les plus riches comme le fait la Belgique ou la Suisse pour qu’ils rapatrient leurs revenus en France. S’ils le font, pourquoi pas nous ? Pourquoi accepter de se faire sans cesse manger la laine sur le dos sans jamais rien dire, nous ne sommes pas des moutons. Devenons nous aussi des loups.

Côté recettes, il y a donc de vraies questions sur la table, qui pourraient, avec un peu d’audace, faire croître les entrées fiscales. Côté sorties, il y a aussi beaucoup à dire.

Dépenses de l'État - La finance pour tous

La première source de dépenses, les engagements financiers de l’Etat, n’est pas très explicite et devrait être détaillée pour qu’on y voit plus clair. Il y a dans cette catégorie notamment les investissements de court, moyen et long terme mais il y a aussi les dépenses courantes, notamment le fonctionnement de bon nombres d’institutions dont le gouvernement, les ministères, les diverses commissions X, Y, Z, etc. Toute une nébuleuse de dépenses que seule la Cour des Comptes est en mesure de comprendre et d’analyser, et encore ce n’est pas certain, tant la comptabilité est parfois une discipline sibylline. Il y a aussi toutes les dépenses de conseil auprès de cabinets extérieurs, la plupart anglo-saxons, qui coûtent des milliards chaque année sans qu’on puisse en mesurer ni l’intérêt initial ni le résultat final. Par contre, on mesure assez bien l’influence qu’ils ont auprès des décideurs politiques, quand il s’agit de libéraliser tel ou tel service public, de vendre tel ou tel actif, telle ou telle participation, telle ou telle entreprise. J’ai déjà dénoncé cette dérive dans de précédents billets, certains députés aussi, et pourtant rien ne change, on continue d’acheter leurs conseils à coup de milliards et bien entendu il n’y a rien sur le sujet dans le rapport de la Cour des Comptes, personne n’y voit apparemment une source d’économies potentielle.

On voit aussi que l’enseignement au sens large coûte plus de 100 milliards, si on additionne enseignement scolaire et supérieur et vu les résultats catastrophiques que nous obtenons régulièrement dans les classements internationaux, on est en droit de se demander si l’argent est bien utilisé. Doit-on faire des économies sur l’éducation ? Clairement non. Les profs français sont d’ailleurs déjà parmi les plus mal payés en Europe. Il faudrait même augmenter significativement les dépenses dans ce domaine, mais surtout dépenser plus intelligemment car l’argent ne résoudra pas les problèmes de fond, mais ceci est un autre débat, un débat sans fin.

La défense coûte cher également, près de 60 milliards, nous venons d’ailleurs de voter une augmentation massive de ce budget car la guerre est en Europe voyez-vous. Emmanuel Macron a même annoncé être prêt à envoyer des troupes en Ukraine alors que la France est parmi les pays qui donnent le moins pour le moment. Soyons réalistes, que nous dépensions 60, 80 ou 100 milliards dans la défense ne changera rien à l’affaire, nous sommes des nains sur la scène internationale où les seuls qui comptent vraiment sont la Chine, les Etats-Unis et la Russie. Sans compter que tout le monde dispose de l’arme nucléaire, le premier qui appuie sur le bouton signe la fin de la partie pour tous, game over ! Alors à quoi bon dépenser sans compter pour avoir plus de missiles, de chars ou des systèmes très sophistiqués qui n’ont pratiquement aucune chance de service un jour sur le terrain ? Investir dans la cybersécurité pourquoi pas, car les Russes passent leur temps à essayer de mettre à terre tous nos systèmes informatiques, ministères, hôpitaux, municipalités, entreprises, particuliers… Là oui, il faut investir pour mieux se défendre, la guerre d’aujourd’hui se joue davantage sur internet que sur les champs de bataille.

De manière générale, il y a évidemment un vrai travail de fourmi à faire pour réduire les dépenses de façon intelligente et surtout il convient, encore une fois, que les décideurs montrent l’exemple s’ils veulent faire accepter les réformes. S’il faut réduire les dépenses, qu’ils commencent par réduire leurs rémunérations, c’est une question d’équité.

Tout ceci est sans compter les dépenses de santé qui avoisinent elles aussi les 300 milliards et ne vont certainement pas baisser dans les années qui viennent compte tenu du vieillissement de la population. Nous avons beau serrer les dépenses de santé de toutes parts, du moins en apparence, celles-ci augmentent inéluctablement et pourtant là encore, ce n’est pas assez. En fait, ce n’est pas que ce n’est pas assez, c’est que les dépenses de santé sont mal réparties. Nous dépensons trop dans le système privé, faisant des spécialistes les nouveaux riches du XXIème siècle, Olivier Veran, notre ancien ministre de la santé, ne s’y trompe pas puisqu’il vient d’investir dans une chaîne de cliniques spécialisée en chirurgie esthétique. Les chirurgiens esthétiques ne sont pas les seuls à faire fortune de nos jours, prenez les orthodontistes, les dentistes, les ophtalmologistes, les radiologues… les spécialistes se gavent littéralement pendant que l’hôpital public crève et qu’il n’a jamais été aussi difficile de trouver où se soigner côté patient. Il y a un vrai sujet concernant les dépenses de santé et la qualité du système de soin en France, si son usage n’était pas aussi dévoyé et politique, un grand débat ne serait pas inutile. Des économies peuvent être réalisées, mais certainement pas au niveau du service public.

Bref, j’ai bien conscience de faire avec ce billet de la comptabilité de comptoir, que le sujet des finances publiques est extrêmement complexe, qu’il ne faut ni simplifier, ni stigmatiser les ou les autres. Ok d’accord, cependant je ne peux pas à m’empêcher de trouver insupportable de voir des responsables politiques donner des leçons de morale et culpabiliser le monde entier sauf eux, alors qu’on les paie depuis des décennies pour bien gérer l’argent public justement. On ne peut pas, me semble-t-il, être juge et partie. Quand on est partie, on fait son boulot honorablement et on la ferme, voilà tout.

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