Les InroX
A la place de The Good Life, je vais jeter un coup d’œil lubrique dans le dernier numéro des Inrocks, le magazine racheté il y a quelques années par Matthieu Pigace, le banquier qui se croyait punk. Ils n’y vont pas par quatre chemins aux Inrocks, pour eux l’été c’est chaud et moite et donc place au Sexe avec un grand S, ou plutôt un grand X, Citizen oblige, quel que soit l’angle, l’orientation, la taille, la couleur, le goût, peu importe le nectar, pourvu qu’on ait l’ivresse.
Cela commence avec le sexe expliqué aux ados, sachant que d’après les dernières études en la matière, un enfant de moins de 12 ans sur trois, et deux sur trois pour les moins de 15 ans, ont accès à des contenus pornographiques. Ce qui n’est pas étonnant vu la facilité avec laquelle on peut y accéder, il leur suffit en effet d’aller sur Google, taper le nom d’un site X connu tel que YouPorn ou Pornhub, de dire qu’ils ont 18 ans et le tour est joué. Résultat, leur vision de la sexualité est pour le moins déformée car les séquences qu’on peut y voir n’ont rien à voir avec Emmanuelle assise sur son grand fauteuil en osier. Les femmes y sont (mal)traitées plus que jamais comme des objets sexuels que des hommes hyper testostéronés prennent et jettent comme de vieilles capotes usagées. C’est à croire que #MeToo n’a pas atteint la sphère pornographique car celle-ci n’a jamais été aussi dégradante pour les femmes. Donc si vous avez la possibilité de communiquer avec vos ados, ce qui n’est déjà pas gagné, au sujet du sexe, ce qui est encore moins gagné, il est important de faire dans la pédagogie, expliquer que tout ça n’est pas la réalité, ou alors une réalité augmentée pour les uns, et diminuée pour les autres. Le sexe n’a pas à être aussi barbare pour être bon. Moi qui suis papa de deux ados, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec mon fils à ce sujet (je laisse ma fille aux soins de sa mère) et je suis content qu’il m’ait dit qu’il n’était pas pressé bien que quelques-uns de ses copains de 14-15 ans l’ont déjà fait. Je lui ai répondu, tu as raison mon fils, ne te précipite pas, contrairement à ce que tu peux penser, ou non d’ailleurs, le sexe n’est pas une compétition. Le sexe, ou les sexes, car il n’existe pas de définition ni de pratique unique en la matière, ne regarde que toi et le, la ou les personnes avec qui tu le pratiqueras. Et j’essaie de ne pas y appliquer mon filtre personnel très hétéro centré car je sais que les normes évoluent et chacun, à chaque époque, doit faire ses expériences. Ce qui transcende néanmoins les époques, à mon sens, c’est le respect. Le respect de soi et le respect de l’autre, de son consentement. Une fois que ce point est acté et non négociable, eh bien, grand bien leur fasse. L’article précise cependant que la pratique sexuelle est en recul chez les jeunes majeurs, faut-il y voir un rapport avec la consommation de ce porno trash, je ne pourrais pas l’affirmer, mais cela ne me semble pas illogique.
Quoi d’autre à la Une de ce numéro spécial sexe ? Direction la Hollande, l’autre pays du fromage où la prostitution est légale et le tourisme sexuel encouragé, notamment à Amsterdam, les fameuses vitrines rouges, où vingt millions de touristes se rendent chaque année. Sauf que, derrière cette apparente tolérance de mœurs, les prostitués hommes, qui se prostituent quasi exclusivement pour d’autres hommes, se plaignent d’être stigmatisés et oubliés par les politique publiques les concernant. Ce que je trouve intéressant dans cet article, c’est justement de mettre en lumière que le monde la prostitution n’est ni tolérant, bien qu’on utilise parfois l’expression maison de tolérance, ni ouvert, d’où l’expression plus juste de maison close. Par ailleurs, la clientèle est quasi exclusivement masculine, que la personne qui se prostitue soit un homme ou une femme. Il n’existe a priori aucune « maison » à Amsterdam où des hommes se prostituent pour une clientèle de femmes, cela en dit long sur la sociologie du sexe tarifé. Non pas que certaines femmes n’aient pas envie de se payer un pute de temps à autre, mais il faut croire que le marché est trop petit pour en faire un business qui tourne. Ou peut-être préfèrent-elles se contenter de gogo dancers bodybuildés qui se dénudent et se frottent les parties sur la future mariée qui enterre ainsi sa vie de jeune fille, sans pour autant aller plus loin. En attendant, les hommes prostitués d’Amsterdam aimeraient bien être mieux considérés par les autorités publiques néerlandaises. Le message est passé.
Quoi d’autre ? Il y aussi question de misère sexuelle, cette insatisfaction, ou frustration, de ces hommes, ou femmes, qui ne pratiquent pas assez, ou pas de manière épanouie, et qui s’en plaignent. Rien de nouveau ici vous me direz, à ceci près, je vous répondrai, que MeToo est tout de même passé par là et un certain nombre de femmes ont décidé de reprendre le manche en main, pas celui de leur partenaire, mais celui de leur vie, notamment sexuelle, et les hommes doivent s’adapter sous peine de se faire éjecter du lit la queue entre les jambes. En réaction, certains gonflent les muscles et le reste, tiennent des propos machos à l’ancienne, réac en quelque sorte, sur les réseaux ou entre copains. Un conseil les gars, je ne pense pas que ce soit la solution, sauf à risquer de finir tout seul avec sa main droite, ou gauche si vous êtes gaucher. Il faut plutôt y voir une chance de rebattre les cartes et inventer une nouvelle sexualité plus respectueuse et peut-être plus imaginative.
De l’imagination, certains n’en manquent pas. Exemple avec les soirées bandées « radical love », bandé c’est pour les yeux hein, pas pour autre chose, enfin pas tout de suite. Chaque participant, homme ou femme, a les yeux bandés donc, et se trouve mis.e en contact avec une personne du sexe souhaité (chacun remplit d’abord un questionnaire pour exprimer ses préférences) et on commence par se caresser gentiment avant d’aller plus loin, ou non, si ça ne match pas. L’intérêt d’avoir les yeux bandés est de ne pas se contenter de la surface, à savoir la beauté de la personne en face. Il est alors question de toucher, d’odeur et d’alchimie pure. Il y a bien entendu quelques arbitres dans les parages pour faire en sorte que tout se passe bien, il ne faudrait pas qu’un participant trop enthousiaste force la main d’un autre qui ne le soit pas du tout. Il s’agit d’une variante moderne des bonnes vieilles partouzes à papa, que personnellement je ne connais pas. Mais cette idée de ne pas se baser sur l’esthétique pour faire des rencontres amoureuses et sexuelles, dans un monde de plus en plus narcissique et instagrammé, me paraît intéressante. L’organisatrice qui fait part de son initiative dans ce papier l’a importée d’un festival espagnol très « open » à la sauce du fameux Burning man américain. Sauf que, dit-elle, il n’y a pas d’alcool ni de drogue. Allez, on va la croire.
Il y a cependant une version que je qualifierai de plus hardcore, que l’on appelle chez les connaisseurs le « pegging » et qui consiste à se faire sodomiser par des femmes disposant d’un god ceinture, toujours les yeux bandés, autant dire qu’il faut un peu d’aide pour viser juste. Sachant que les personnes volontaires peuvent être aléatoirement des hommes ou des femmes, la plupart du temps cependant, ce sont des hommes, une sorte de monde sexuel à l’envers ou les hommes se font pénétrer par des femmes.
Il y a aussi le fameux « glory hole », c’est à dire un mur avec des trous dedans où les hommes peuvent y mettre ce qui dépasse et de l’autre côté du mur des inconnus viennent s’occuper d’eux. Bon, j’avoue ne pas voir ce qu’il y a de glorieux dans cette pratique, mais je ne suis encore une fois qu’un hétéro monogame chiant qui s’informe librement sur les pratiques de ses contemporains.
D’autres enfin se paient de vrais réalisateurs pour tourner leur sextape maison, une sorte de porno perso haute def à se revoir pour les vieux jours quand Monsieur ne bandera plus et Madame n’aura plus de dents. Pendant que quelques libertins old school fréquentent des boîtes de nuit nudistes qui ne sont pas des boîtes à partouzes non mais bel et bien des clubs où on danse nu. Il y a bien les plages nudistes, pourquoi pas les boîtes de nuit ?
J’ai bien aimé aussi le Japon où le commerce du sexe, bien qu’officiellement interdit depuis 1956, s’appelle le fuzoku. Génial non ? Vous connaissiez peut-être le sudoku mais pas le fuzoku, fuse-au-cul en phonétique. Les langues étrangères sont parfois l’objet de drôles de coïtcidence ! Parmi les derniers sujets traités, on trouve le sexe et la télé-réalité, le sexe sur le front ukrainien, l’utilisation de la « poire » pour se laver le derrière, ou plutôt l’intérieur du derrière, ce qui peut être utile pour certaines pratiques évoquées plus haut, des photos érotiques plus ou moins artistiques, bref tout un kaléidoscope de sexes, de gens, de genres, de pratiques et de vies qui donnent un peu le tournis. Si mon fils de quinze ans tombe sur ce magazine, je comprends qu’il soit paumé et se dise qu’il est peut-être plus sage d’attendre un peu avant de fonce tête baissée, ce qui ne manquera pas d’arriver tôt ou tard.
Source / Références
Les Inrocks, 3 juillet 2024
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