# SportiX

A corps perdus

21 août 2024

A propos de personnes handicapées, j’ai regardé hier un documentaire sur France 2 concernant six athlètes qui disputeront les JO paralympiques de Paris qui se tiendront d’ici une petite semaine. Je disais que la cérémonie d’ouverture et les épreuves avaient été des dingueries, eh bien laissez-moi vous dire que ce n’est rien à côté de ce que vous allez voir et entendre et ressentir si vous regardez ce reportage. Parce que si nous encensons nos athlètes valides, et c’est bien normal vu les exploits qu’ils réalisent, nous devrions faire de même, et même davantage, pour ces athlètes handicapés vu la montagne d’efforts, et d’abnégation, et de résilience, l’Everest par la face nord en short et en claquettes chaussettes, que c’est d’arriver tout en haut en partant de si bas, après un accident de vie ou un handicap à la naissance. Et quand je dis bas, vous verrez qu’on peut faire plus bas que bas, on peut aller chercher quelqu’un au fond de l’enfer, le royaume d’Adès, et le monter sur le mont Olympe. Ce n’est pas une exagération, vous verrez.

Gabriel Araujo est brésilien et atteint de phocomélie depuis la naissance, une malformation qui le prive de bras et ses jambes sont réduites à des pieds qui dépassent de son buste. Autant dire que la vie ne s’annonçait pas des plus simples pour lui. Sauf que sa mère a décidé qu’il n’en serait pas ainsi. Elle a décidé que son fils serait unique et que cette maladie serait sa chance et non sa malédiction. Il s’adaptera, il contournera les obstacles, il ne se laissera pas abattre, il se battra au contraire pour vivre, exister et gagner. Vingt ans après, Gabriel est recordman du monde de para-natation, multiple médaillé aux championnats du monde et vise l’or à Paris, visiter Paris, un rêve, dit-il !

Alexis Hanquinquant a toujours été dingue de sport, des sports de combat surtout pour lesquels il se donnait à fond, taper de toutes ses forces, toujours, à fond ou rien du tout. Un jour maudit, sa jambe est écrasée par une machine au travail, jamais dit-il, je n’ai imaginé qu’une telle douleur pouvait exister, la mort doit être douce à côté de ce que j’ai ressenti. Les chirurgiens ont tenté de lui sauver la jambe, une chance déjà que l’artère ait été écrasée par la machine et le sang ait coagulé sinon en quatre minutes, il était vidé de son sang, laissé pour mort dans une flaque rouge et visqueuse. Après avoir tout tenté, il faut se rendre à l’évidence, faut amputer. Qu’à cela ne tienne, Alexis ne sera pas champion de Taekwondo, il se lancera dans le triathlon, nage, vélo, course. A le voir courir aujourd’hui, on se demande qui est handicapé et qui ne l’est pas, vu la vitesse à laquelle il file sur sa prothèse en titane.

La championne de Taekwondo, c’est plutôt Zakia Khudadadi, une jeune afghane qui devait participer aux JO de Tokyo. Puis les Américains ont fui le pays en deux temps trois mouvements, laissant les Talibans entrer dans Kaboul, Kalach en l’air, l’air triomphant, et pour cause. Le coach de Zakia l’appelle et lui dit, c’est fini ! Qu’est-ce qu’est fini ? elle répond. Tout Zakia, tout, les JO, le Taekwondo, tout. On ne se connaît plus, efface mon numéro. En tant que femme émancipée, handicapée, issue de la minorité chiite hazara, pas de hasard ici, ses jours sont comptés, elle doit fuir si elle ne veut pas mourir, exécutée, épurée. Mais comment ? Elle poste alors une vidéo sur Facebook, un cri, un SOS. Une femme franco iranienne la voit, contacte l’ambassade, réussit à lui obtenir une place dans le prochain avion pour la France. Mais comment entrer dans l’aéroport alors que tout le monde se bouscule, se marche dessus, s’écrase, panique. Le GPS de son téléphone la sauvera. Si ma batterie m’avait lâchée, confie-t-elle, je serais restée à Kaboul et Allah seul sait ce que je serais devenu. Elle sera aux JO de Paris et représentera les couleurs… des réfugiés !!! Car l’administration française n’a pas eu assez de quatre ans pour régulariser ses papiers. Chapeau les gars, nous sommes définitivement les champions olympiques de la paperasse.

Anne-Sophie Centis est aveugle depuis l’âge de vingt ans, auparavant elle ne voyait plus que d’un oeil et mal, cul de bouteille on l’appelait à l’école, en référence à ses lunettes épaisses. Puis le deuxième œil a fini par dire merde au premier, merde à la vue, trou noir, du jour au lendemain. Elle ne verra pas le visage des enfants qu’elle mettra au monde quelques années après. Pourtant, elle deviendra kiné hospitalière au service des enfants malades. La maladie, elle en connaît justement un rayon depuis qu’elle est gamine, alors elle peut apporter son expérience et son humanité. Et son tempérament aussi, car c’est une battante et une mordue de cyclisme sur piste. A Paris elle donnera tout ce qu’elle a, et aussi ce qu’elle n’a pas, pour décrocher une médaille.

Cédric Nankin est comme Gabriel, né avec des jambes et des bras atrophiés. Il ira pourtant à l’école « normale » jusqu’en CP, jusqu’à ce qu’on lui dise que la classe de CP se situe au premier étage et que c’est trop compliqué de le garder. Alors il ira en centre spécialisé loin de sa famille, il se souvient encore des lundis matins quand il allait au centre en ambulance et en pleurs, il avait six ans. Sa mère en pleure encore devant la caméra alors que c’était il y a plus de 50 ans. Mais Cédric ne s’est pas laissé démonter, déjà qu’il lui manquait des pièces, ce qui ne te tue pas te rend plus fort, et fort clairement il l’est. Il est considéré comme le meilleur défenseur au monde en rugby fauteuil et quand ces gars-là vous foncent dessus avec leurs chars d’assault, mieux vaut dégager fissa si vous voulez faire de vieux os. L’équipe de rugby tricolore, tout comme celle emmenée par Antoine Dupont, est une des meilleures chances de médaille d’or aux JO.

Je terminerai par Oksana Masters et je vous avertis, accrochez-vous, si vous n’avez jamais visité l’enfer, prenez des photos. Oksana naît non loin de Tchernobyl en Ukraine. Quand on dit Tchernobyl, pas besoin d’en rajouter. Einstein et les physiciens n’avaient sans doute pas prévu les effets de bord désastreux de leur Invention. Par exemple le fait qu’en cas d’accident d’une centrale, des bébés naîtraient avec des membres déformés et seraient abandonnés par leurs parents dans des orphelinats, sortes de dépotoirs pour déchets humains, loin des yeux, loin du cœur. Oksana y restera jusqu’à l’âge de 7 ans et comme si ces malformations n’étaient pas suffisantes, elle sera violée et scarifiée au couteau. Je n’invente rien. Il y a des gens, des hommes, soyons précis, qui se servaient des gamins des orphelinats de la région de Tchernobyl pour assouvir leurs pulsions sexuelles et sadiques, un coup de couteau pour te montrer ce qui se passera si tu résistes ou parles. Pour Oksana, l’enfer s’est arrêté le jour où une orthophoniste américaine l’a adoptée et ramenée au pays de l’oncle Sam, là où il y a suffisamment de dollars pour qu’on puisse s’occuper de sa santé. Elle sera amputée d’une première jambe à son arrivée, puis de la deuxième à 13 ans, une période difficile, avoue-t-elle, on appréciera l’euphémisme. Dans la foulée, Oksana s’initie au cyclisme et deviendra une des meilleures dans ce domaine quelques années après. Pourtant la rage ne l’a pas quittée. Elle se considère comme une athlète à part entière et non comme une handicapée.

Dans quelques jours, les jeux paralympiques de Paris vont débuter. Ils font de la pub partout pour remplir les stades. Alors je vais poser une question toute simple. Vous qui clamez haut et fort que vous êtes pour l’inclusion, quand je dis vous je m’adresse aux organisateurs, au CIO, aux instances sportives internationales, alors pourquoi organiser des jeux à part, quand tout le monde aura repris le boulot et sera passé à autre chose. Pourquoi n’ont-ils pas été intégrés à la grande fête et doivent se contenter de la petite, de l’after ? Votre réponse m’intéresse et je crois qu’elle intéressera aussi Oksana.


Source / Référence

A corps perdus, documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai, France TV, 2024

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