# GeopolitiX

Bipeur

19 septembre 2024

Il fut un temps où on surnommait le Liban, la Suisse du Moyen-Orient. Eh bien ce temps est bien loin à présent. Tout a commencé à partir en houmous à partir de la guerre civile de 1975 puis cela a complètement dégénéré avec les différents conflits qui ont opposé ce petit pays grand comme une région française à Israël, c’est à dire l’une des forces armées les plus puissantes et sophistiquées au monde, grâce notamment au soutien sans faille des Etats-Unis.

Si le Mossad, les services secrets israéliens, et Tsahal, l’armée, ont été très critiqués pour ne pas avoir déjoué l’attaque terroriste du 7 octobre par le Hamas, ils viennent de redorer leur blason en réussissant contre le Hezbollah un coup digne des meilleurs romans d’espionnage, mieux que Le bureau des légendes, faire exploser des milliers de bipeurs dans les poches de membres de leur ennemis partout dans le pays, le même jour, en même temps, faisant quelques dizaines de morts mais surtout des milliers de blessés et symboliquement une démonstration de force sans précédent, signifiant au Hezbollah Nous pouvons vous toucher n’importe où n’importe quand. Un coup de génie, faut bien l’admettre, qui a supposé de mettre la main sur le stock de bipeurs avant qu’il ne soit livré au Liban pour y mettre l’explosif et le dispositif électronique adéquat. On ne peut pas, et on ne doit pas, se réjouir ou applaudir ce type d’action car cela s’appelle une tentative de meurtre à grande échelle, et les victimes collatérales sont nombreuses, mais on ne peut s’empêcher de penser que le coup est incroyablement bien porté, du jamais vu dans l’histoire contemporaine des services secrets à une telle échelle.

Cela prouve, s’il en était encore besoin, qu’Israël dispose d’un service de renseignement extrêmement puissant au moins équivalent à celui de la NSA, la fameuse agence de sécurité américaine qui a défrayé la chronique pour avoir espionné le monde entier, simples citoyens comme présidents de la république. Ce qui laisse d’autant plus perplexe sur leur incapacité à anticiper et contrer l’attaque du 7 octobre. D’autant que, les soldats du check point le plus proche leur avaient dit que quelque chose ne tournait pas rond dans la zone. Enfin soldat, je devrais dire soldate, car il se trouve que ce check point était exclusivement féminin car en Israël, les femmes aussi doivent faire le service militaire. Interrogées, celles-ci estiment que si elles avaient été des hommes, on les aurait prises davantage au sérieux. Ce qui devait arriver arriva, un Bataclan puissance 10 et Israël qui décide de raser Gaza de la carte.

En représailles, le Hezbollah, qui est justement né en 1982 au Liban suite à l’occupation de l’armée israélienne, a décidé de balancer quelques missiles et d’envoyer des drones pour chatouiller son voisin hébreu, histoire de voir s’il est capable de se défendre au nord pendant qu’il se défoule au sud. La réponse est claire à présent. Non seulement il le peut mais il le fait. En faisant exploser ces milliers de bipeurs, il marque son territoire et signifie à son ennemi libanais, et à tous ceux qui le soutiennent, Syriens, Iranniens, vous voulez jouer avec nous, alors on va jouer ! Le problème évidemment, c’est que ce n’est pas un jeu. On parle de dizaines de milliers de morts et de blessés depuis des décennies dans la région, des deux côtés, arabes et juifs. Et ce n’est pas terminé, Israël paiera encore de son sang le prix de cette répression aveugle sur des civils. Ils ont peut-être le service de renseignement le plus puissant au monde, ils ne pourront pas tout contrôler, à tout moment. Alors il y aura d’autres 7 octobre, c’est certain.

Quand je vois à cette guerre sans fin, je repense souvent au fabuleux roman de Columm McCann, Apeirogon, ou l’histoire de deux pères, l’un israélien l’autre palestinien, unis par la même douleur, le même chagrin, le même cri, celui d’avoir perdu leur fille dans un attentat, et qui pourtant militent ensemble pour la paix, vont à la rencontre de leurs concitoyens pour leur apporter un autre point de vue, plus nuancé. Malheureusement, les pacifistes ne sont pas les plus nombreux et quand il en sort un du lot, il se fait zigouiller par un partisan de l’autre camp, celui de la haine, de la vengeance, de la guerre, œil pour œil, dent pour dent.

Cette bande de terre, le Liban, jadis phénicienne, égyptienne, assyrienne, babylonienne, perse, grecque, romaine, omeyyade, abisside, druze, maronite, française puis tout simplement libanaise, est maudite. Les guerres successives, l’explosion du port de Beyrouth en 2020, l’année du Covid, l’inflation, la pauvreté, l’enfance sans école et donc sans avenir et demain quoi ? Demain Israël envahira de nouveau le Liban et rasera gratis coupe Gaza ? Le Hezbollah se repliera en Syrie, abandonnera la vallée de la Bekaa pour se cacher derrière Bachar, ou en Iran derrière les mollahs, quand ils en auront fini avec le mouvement Femme, Vie et Liberté. Quel futur pour les Libanais, quel avenir pour ces enfants, ces femmes et ces hommes qui n’ont rien demandé et qui ne sont que des fourmis écrasées par les éléphants de l’histoire, comme l’écrivait si justement Victor Hugo ? Oui le Liban, la Suisse du Moyen-Orient, est une terre maudite pour ceux qui y vivent et l’aiment à en mourir.


Sources / Références

Le dessous des cartes, Bipeurs piégés : le Hezbollah affaibli ? 18/09/2024, Arte.tv

Apeirogon, Columm McCann, Belfond éditeur, 2020

Vous souhaitez intéragir ? Écrivez un commentaire !

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Kamala & Taylor vs Donald & Elon
    # PolitiX

    Kamala & Taylor vs Donald & Elon

    16 septembre 2024
    Pendant que nous allons devoir nous contenter de Michel Barnier, qui est certes expérimenté mais aussi excitant qu'un rouleau de sopalin, les Américains vont vivre dans les semaines qui viennent l'une des campagnes les ...
    Lire la suite
  • Voter ou ne pas voter ?
    # PolitiX

    Voter ou ne pas voter ?

    8 avril 2022
    Voter ou ne pas voter, telle est la question comme dirait Hamlet. Mais nous n'allons pas ici feindre la folie shakespearienne, mais plutôt nous prendre la tête, tel le Penseur de Rodin, afin de savoir s'il faut voter, et ...
    Lire la suite