# HistoriX

Anatomie d’une démocratie

17 octobre 2024

Dans quelques semaines, les électeurs américains vont se rendre aux urnes pour choisir leur nouveau président ou leur nouvelle présidente, la première de l’histoire de ce pays continent, puisqu’ils auront le choix entre Donald Trump et Kamala Harris. L’occasion de revenir sur l’histoire politique des Etats-Unis, la plus grande démocratie du monde à ce qu’on dit, avec le podcast de Thomas Snegaroff et Romain Huret, Anatomie d’une démocratie, en six dates clés.

1776

La première date fondatrice est le 28 juin 1776, date de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis rédigé par le comité des cinq, Thomas Jefferson, John Adams, Benjamin Franklin, Roger Sherman et Robert R. Livingston, autrement appelés les Pères fondateurs de l’Amérique indépendante. Avant cela, elle était un ensemble de treize colonies sous domination de la couronne britannique et de son roi George III. C’est l’acte de naissance de la république étasunienne. Il convient d’ailleurs de distinguer république et démocratie, la démocratie étant un système politique dans lequel le peuple gouverne par l’intermédiaire de représentants élus et la république un régime plus restreint avec différentes institutions et différents pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire principalement. A leur déclaration d’indépendance, les treize états unis entendent être une république et pas nécessairement une démocratie, d’autant que plusieurs catégories des citoyens en sont exclus, les femmes, les noirs et les Amérindiens. La démocratie de 1776, ou plutôt la république donc, est blanche et masculine, composée principalement de grands propriétaires terriens, l’esclavage n’est pas encore aboli, puisque la question divise le nord et le sud. Le nord plaide pour une intégration progressive de tous les citoyens, et donc des esclaves afroaméricains, le sud refuse catégoriquement, ce qui emmènera le pays à la Guerre de Sécession un siècle plus tard opposant les Etats du Nord (Union) et les Etats du Sud (Confédérés) sur les questions de l’esclavage, des droits des Etats et de l’expansion vers l’ouest. La question de l’esclavage fait partie intégrante de l’Amérique et aujourd’hui encore, on en voit clairement les stigmates, la communauté noire se sentant toujours défavorisée par rapport à la communauté blanche dominante et victime de discriminations et de violences policières régulières, et la présidence d’Obama (2009-2017) n’aura rien changé à cet état de fait. Le Klu Klux Klan, groupe suprémaciste blanc ultra violent créé après la guerre de Sécession n’existe plus officiellement, mais il compte encore beaucoup d’adeptes, qui presque tous iront voter pour Trump.

1898

L’année 1898 est également clé car c’est la première fois que les Etats-Unis s’engagent dans une guerre en dehors de leur sol, c’est le début de l’empire américain. A cette époque, Cuba est une colonie espagnole et les indépendantistes sont durement réprimés par le général Valeriano Weyler, qui met en place des camps de concentration. L’histoire a de l’humour, noir mais humour tout de même, car quand les Américains auront à leur tour besoin de créer un camp de concentration, ils le créeront eux aussi à Cuba, dans la désormais célèbre baie de Guantanamo. Mais en 1898, les Américains sont du côté des indépendantistes et en trois mois seulement, l’affaire est pliée. Theodore Roosevelt, futur président, s’y illustrera sur la colline de San Juan avec les fameux Rough Riders, un régiment de la marine composé de cow-boys, chasseurs, rangers et autres volontaires, différentes nationalités, différentes origines sociales, un phénomène unique dans une Amérique ségrégationniste, bientôt des héros nationaux. Bien entendu, si l’Amérique s’est engagée dans ce conflit, ce n’est pas uniquement pour des raisons idéologiques, avec les Américains le business n’est jamais loin, et s’agissant de Cuba, le sucre avait pour eux un intérêt tout particulier.

A partir de 1898, les Etats-Unis seront engagés dans tous les grands conflits mondiaux pendant près d’un siècle, Première Guerre mondiale, Deuxième Guerre Mondiale, Vietnam, Irak, Afghanistan, sans compter les interventions chirurgicales de la CIA partout où cela était nécessaire pour défendre les intérêts de l’impériale Amérique, un empire qui commence à décliner à partir des années 1960, la population américaine considérant que les guerres menées ne sont pas aussi « justes » qu’on avait voulu leur faire croire. En 2021, les Etats-Unis se désengagent d’Afghanistan, laissant les Talibans revenir au pouvoir après vingt ans d’occupation de la région. Depuis les Américains ne sont plus présents sur aucun front dans le monde même s’ils gardent un rôle prépondérant en Ukraine, Israël et Taïwan.

1941

En 1941, les Etats-Unis ne sont pas encore engagés dans la Seconde Guerre mondiale et ne sont même pas certains de s’y engager car toute une partie de la population préfèrerait voir appliquée la doctrine Monroe, celle d’une Amérique qui reste à l’écart des problèmes du monde, bien au chaud en haut de sa colline. Par ailleurs, le fascisme et l’antisémitisme séduisent une certaine frange, dont l’aviateur Charles Lindberg qui considère les Britanniques, les Juifs et Roosevelt comme les principaux problèmes de l’Amérique à cette époque. L’immigration a été massive au début du XXe siècle, les pionniers ne sont pas certains de vouloir accueillir toute la misère du monde. Les problèmes raciaux ne sont pas résolus, bien au contraire, les membres du KKK pendent des noirs aux arbres s’ils ont le malheur de les toucher ou de les regarder de travers. Autant dire que les emmerdes des Français et des Anglais face aux Allemands d’Adolf Hitler, ne concerne pas tout le monde outre-atlantique, certains militent même pour une alliance avec l’Allemagne nazie. Ce qui va tout changer, c’est le bombardement de Pearl Harbour par les Japonais. Si les Japs n’avaient pas commis cette imprudence, nous parlerions peut-être tous allemands en France et la radioactivité résiduelle serait sans doute moindre à Hiroshima et Nagazaki. Car une fois que les Américains ont décidé d’y aller, ils n’y sont pas allés de main morte. Toute l’économie a été mise au service de la guerre, je dis bien toute l’économie, on appelle d’ailleurs cela économie de guerre. Le gouvernement Roosevelt, le Rough Rider de Cuba, est allé voir Dupont de Nemours, l’entreprise spécialisée dans le nylon, pour qu’ils engagent tous leurs ingénieurs sur le projet Manhattan, qui débouchera sur la bombe atomique et le bombardement à titre expérimental des deux villes japonaises précédemment citées. Ce fut le point final de la Seconde Guerre Mondiale sur le front pacifique. Côté atlantique, ce fut le débarquement le 6 juin 1944, une date qu’un Normand comme moi ne peut pas oublier, puis la reconquête du territoire et la capitulation des Allemands un an plus tard, le 8 mai 1945.

1968

A partir de 1968, la politique impérialiste américaine est de plus en plus contestée à l’intérieur du pays, la guerre du Vietnam est très mal vécue, des manifestations éclatent un peu partout. Deux Amériques s’affrontent, une Amérique conservatrice et rigide, celle de Nixon, et une Amérique progressiste, qui veut arrêter la guerre et surtout plus de liberté, notamment sexuelle, faites l’amour pas la guerre, c’est la beat generation, flower power, le pouvoir des fleurs (lol), plus de droits aussi, en particulier pour les minorités. JFK, la figure de l’Amérique démocrate et réformatrice est élu en 1960 et assassiné en 1963, année où Martin Luther King prononce son discours le plus connu (I have a dream), il est assassiné en 1968, année où Bobby Kennedy, le frère de John, est également assassiné. Les années 1960 sont en effet des années de grande violence, la violence faisant partie de l’histoire de ce territoire conquis dans le sang, une Amérique née du génocide des Amérindiens où le Deuxième Amendement de la Constitution prévoit le droit de porter une arme, un droit qui n’a pas été remis en cause depuis, bien au contraire puisque la Cour Suprême l’a confirmé dans un arrêt de 2008, affaire District of Columbia vs Heller. En Amérique, on porte une arme à feu et on s’en sert si besoin, In God we trust, en Dieu on croît, en son arme et conscience.

En 1972 éclate l’affaire du Watergate, le pont de l’eau en français, Nixon est mouillé jusqu’au coup et doit démissionner. Les Américains perdent confiance dans leurs institutions, le moral général est au plus bas, crise pétrolière, crise économique, désindustrialisation, chômage, pauvreté, l’Amérique sombre, elle a besoin que quelqu’un vienne lui raconter une belle histoire sur son passé, son présent et surtout sur son futur, make America great again, refaire la grande Amérique et elle se choisira un petit acteur de seconde zone pour cela, Ronald Reagan, avant Donald, il y a eu Ronald. Avec Reagan, l’Etat fédéral cesse d’être la solution et devient le problème, il faut plus de dérégulation, moins de contrôle, plus de libertés pour les entreprises, moins de public, plus de privé, c’est le début de l’Amérique libérale des années 1980, en Europe ce mouvement sera porté par la britannique Margaret Thatcher. La croissance, l’espoir et l’esprit de conquête revient dans les années 1990 avec Bush Père et surtout Clinton, Bill de son prénom. Jusqu’au choc !

2011

Si Pearl Harbour a été un choc pour une Amérique qui se croyait invincible dans les années 1940, le 11 septembre 2001 et l’attentat du World Trade Center va être un nouveau tournant dans l’histoire de l’Amérique au début de ce nouveau siècle. Mêmes causes, mêmes effets, ceux qui ont fait ça le paieront de leur vie, prévient G.W. Bush, plus connu sous le sobriquet double you, fils de Bush Père, et même ceux qui n’ont rien fait paieront quand même l’addition. Ce sera d’abord l’Irak, puis l’Afghanistan, une guerre perdue d’avance diront certains, Biden dira quant à lui, nous avons dépensé des centaines de milliards de dollars et perdu des milliers de soldats pour remplacer des Talibans par des Talibans, quand il actera le retrait des troupes en 2021. Tout ça pour ça ! Tout le monde n’a pas été perdant cependant, Dick Cheney (Dick signifie bite en français), vice-président de Bush fils au moment d’engager l’Amérique en Irak, et aussi le PDG d’Halliburton, une société de logistique militaire, qui a remporté le marché et gagné des milliards dans ce conflit. Je le disais plus haut, avec les Américains, le business n’est jamais loin, cela pourrait d’ailleurs faire un bon slogan. L’Irak, parce que le pétrole, la guerre, parce que ça rapporte, n’allons pas chercher beaucoup plus loin les raisons de l’impérialisme américain, aujourd’hui plus qu’en déclin, incapable par exemple d’empêcher Israël de raser Gaza, au contraire même, puisqu’ils leur fournissent les armes pour cela. Leur soutien à l’Ukraine est soumis aux aléas du Parlement, quand à Taïwan, iront-ils au front si les Chinois décident d’envahir l’île ? Je ne crois pas, la dissuasion nucléaire suffira. Trump a dit qu’il mettrait fin à la guerre en Ukraine en trois jours, que fera Kamala.

2021

Dernière date clé de cette brève histoire de la démocratie américaine, 2021 avec la prise du Capitole par les partisans de Trump, que celui-ci avait appelés à marcher sur mais pas à rentrer dedans. Seulement, les Trumpistes n’ont pas tous tous leurs neurones, plus facile de les lancer que de les arrêter, alors ce qui devait arriver arriva, quelques centaines de fous furieux pénétrèrent dans le Capitole à Washington le 6 janvier 2021 pour récupérer par la force ce qui avait été volé par les démocrates dans les urnes, un évènement unique dans l’histoire politique du pays. Un évènement plus symbolique que problématique, quelques morts tout au plus, une broutille dans ce pays où chaque jour cent personnes meurent par arme à feu. Mais il en dit long sur l’état de la démocratie en Amérique aujourd’hui, qui se situe quelque part au milieu de nulle part, à mi chemin entre Washington et Hollywood, Trump et Musk d’un côté, Harris et Swift de l’autre, entre politique et show biz, le cœur des Américains balance. Pas que, le reste du monde aussi regarde cette élection avec attention, ne sachant à quelle sauce nous allons être mangés. Car si l’Amérique a perdu de se superbe sur le terrain, ses paroles comptent tout de même et ils restent encore aujourd’hui la première puissance économique et militaire mondiale, difficile de se passer d’eux ou de faire comme s’ils n’existaient pas.

Pour ma part, j’ai confiance dans l’Amérique. Elle a toujours su rebondir et si une partie de la population soutient ce clown de Trump qui lorsqu’il a épuisé son stock de connerie se met à en inventer d’autres, jamais à court d’arguments et de fake news celui-ci, il y a aussi une autre Amérique progressive portée par la jeunesse et qui portent d’autres revendications, d’égalité, d’identité, plus méritocratique, plus écolo aussi, il n’y a pas que des 4X4 chez l’Oncle Sam, Uncle Sam comme United States, il y a aussi des voitures électriques, son principal promoteur soutient d’ailleurs Trump, allez comprendre.

Je pense que Kamala Harris l’emportera et on pourra enfin tourner la page Trump, même si celui-ci décide de marche une nouvelle fois sur le Capitole.


Sources / Références

Etats-Unis : Anatomie d’une démocratie, podcast de Thomas Snegaroff et de Romain Huret, disponible sur France Inter ou Radio France.

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