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Ascenseur social

24 octobre 2024

L’un des combats les plus importants de Xavier Niel, c’est celui de remettre en marche l’ascenseur social en France, un ascenseur que l’on dit en panne. On se moque facilement des velléités philanthropes des riches, arguant qu’ils bénéficient pour cela d’un abattement fiscal significatif, abattement sans lequel leur générosité serait largement moindre, si ce n’est nulle. Cela ne s’applique pas à Xavier Niel il me semble, car d’une il ne le fait pas en tant que « riche » mais en tant qu’entrepreneur et de deux il n’attend pas nécessairement un abattement fiscal quand il investit dans l’Ecole 42, Station F ou Hectar, des investissements qui se montent à plusieurs centaines de millions d’euros.

Ascenseur social, une expression qui caractérise les moyens qui vous permettent de gravir l’échelle sociale. Pendant longtemps, on a considéré que l’école était le principal ascenseur social, et c’était vrai d’une certaine manière, un gamin de milieu modeste ou pauvre qui se démerdait bien à l’école pouvait viser n’importe quel métier à condition qu’il ne décroche pas, par exemple pour bosser et ramener de l’argent à la maison, il pouvait devenir ingénieur, médecin, avocat, magistrat, directeur, bref tous ces métiers synonymes de réussite sociale pour le plus grand nombre. Aujourd’hui, ce n’est pas que c’est devenu impossible de gravir les échelons de la société grâce à l’école mais c’est plus difficile car le niveau général a baissé et ceux qui en font le plus les frais, ce sont sans aucun doute les classes populaires , les classes aisées et informées ayant toujours les moyens de compenser avec des cours à domicile, des séjours à l’étranger, des conseils avisés, du réseau, tout ce qu’on ne peut pas se payer ou s’inventer quand on est d’un milieu défavorisé. Plus le niveau baisse et moins l’école représente un ascenseur social, d’où l’idée que celui-ci est en panne. Dont acte ! Appelez le réparateur.

Après, il n’y a pas que l’école comme ascenseur social, heureusement d’ailleurs, il y a également, et peut-être plus que l’école, le travail. Quelqu’un qui travaille dur et intelligemment réussira forcément à casser les plafonds de verre même s’il vient d’un milieu modeste et n’a pas fait de brillantes études supérieures. Même si les entreprises sont également beaucoup décriées par une certaine partie de la gauche, elles savent reconnaître, valoriser et faire monter les gens qui bossent, et ce quelle que soit leur origine sociale, car c’est dans leur intérêt. Pour les entreprisses, ce n’est pas de la philanthropie, c’est du bon sens économique. Garder et faire progresser les meilleurs, se séparer des moins bons, et au milieu gérer au mieux ceux qui n’ont pas ambition à faire « carrière » comme on dit mais qui bossent quand même pas mal. Certes, elles ont eu tendance ces dernières décennies à aller chercher leurs cadres dans les grandes écoles, qui sont le socle pour la plupart d’entre elles d’une reproduction sociale stricte et peu ouverte, mais il y a aussi bon nombre d’exemples de salariés entrés à la base qui ont gravi si ce n’est tous, au moins une bonne partie des échelons de l’entreprise grâce à leur bon sens, plutôt qu’à leurs diplômes, et à leur travail. A l’heure où le travail n’a plus la même signification pour la génération Z que pour les précédentes, surtout les plus anciennes qui considéraient le travail comme une priorité, les nouvelles voulant elles un équilibre entre travail et loisirs, entre boulot et vie de famille, il convient tout de même de dire que le travail peut payer et qu’il constitue à ce titre un ascenseur social possible. Pas certain que ce soit la même chose avec les loisirs.

Il reste un dernier ascenseur dans l’immeuble, je mettrais de côté celui du talent artistique ou sportif qui est un peu difficile à appréhender mais constitue il est vrai dans certains cas un incroyable moyen de réussir, le seul à pouvoir transformer une petite chanteuse de country en chef d’entreprise milliardaire capable d’influencer des millions d’électeurs, un petit dealer du bas de l’immeuble en producteur de rap propriétaire de l’immeuble ou un joueur de foot en star planétaire, je mettrais donc de côté cet ascenseur qui alimente à foison les réseaux sociaux et laissent penser aux jeunes que c’est facile de devenir riche par ce biais, pour me concentrer sur celui de l’entreprenariat, un ascenseur plus risqué, celui de Niel et de tant d’autres, la création d’entreprise et la réussite dans les affaires étant sans conteste depuis toujours le moyen le plus excitant de gravir quatre à quatre l’échelle sociale. Mais là encore, la situation s’est compliquée, notamment à cause de l’inflation et du prix de l’immobilier, commercial en l’occurence. Quand Richard Branson, la fondateur de Virgin, ouvre son premier magasin de disques avec ses potes hippies dans les années 70/80, il s’installe sur Oxford Street alors qu’ils n’ont pratiquement pas de ronds. Aujourd’hui, il lui faudrait des dizaines de millions de livres sterling pour s’y installer, autant dire que cela n’arriverait jamais. A plus petite échelle, si vous avez une idée de restaurant, pour l’ouvrir, il vous faudra un emplacement, un agencement, du matériel et de la trésorerie pour payer vos approvisionnements, vos charges et votre équipe. L’investissement initial se compte en centaines de milliers d’euros et aucune banque ne vous prêtera cette somme si vous n’avez aucun apport et aucune expérience, autrement dit vous appuyez sur le bouton de l’ascenseur et les portes ne s’ouvrent même pas. Pour prendre un autre exemple que je connais bien, celui de la pharmacie, une pharmacie moyenne coûte aujourd’hui entre 1,5 et 2 millions d’euros et la banque vous demande environ 30% d’apport, soit environ 500 000 euros. Qui peut se targuer d’avoir 500 000 euros d’apport pour lancer son activité ? A part un héritier, je ne vois pas. Voilà comment un secteur d’activité parmi d’autres, qui il n’y a pas si longtemps était encore ouvert à beaucoup, à condition d’avoir le diplôme adéquate évidemment, est devenu réservé à une élite qui seule peut mettre l’argent sur la table. Et un secteur de moins pour le tout un chacun !

Voilà entre autres pourquoi Xavier Niel a ouvert une école de codage informatique et non de pharmacie. Parce qu’il sait qu’un codeur n’a pas besoin de grand chose pour démarrer un projet, à part d’inspiration et d’huile de co(u)de, pour développer un prototype et mettre en œuvre son idée. Après il lui faudra sans doute des financements, mais ça Niel il sait faire aussi, c’est pour ça qu’il a créé un fonds d’investissement. Mais il est vrai qu’à part le numérique, les barrières à l’entrée de l’entreprenariat se sont multipliées ces dernières années et c’est dommage car l’entreprenariat est sans doute l’une des aventures les plus extraordinaires qui soit, quel que soit le domaine dans lequel vous entreprenez, c’est pas le choix qui manque.

En cherchant le livre de Xavier Niel à la Fnac, j’ai trouvé celui d’Eric Larchevêque (1), un entrepreneur que vous connaissez peut-être si vous suivez l’émission Qui veut être mon associé sur M6, moi je ne le connaissais pas. Ce qui m’a intéressé cependant dans son livre, ce n’est pas tant le parcours, assez classique, celui d’un geek un peu comme Niel qui bidouillait des décodeurs canal dans sa jeunesse et qui a fini par faire fortune dans le Bitcoin, que les enseignements qu’il a réussi à tirer de ses trente années d’entreprenariat. Il donne en effet à la fin de son ouvrage dix conseils assez intéressants, en tout cas vu de ma propre expérience, celle de quelqu’un qui a déjà monté, et foiré, une boîte, et surtout rencontré et échangé avec un tas d’entrepreneurs de tous horizons.

Conseil n°1 : Soyez un disciple de l’ennui.

J’aime bien ce premier principe car il va à rebours de l’époque où on fuit l’ennui à tout prix, souvent en enfouissant son cerveau dans son mobile, sa tablette ou son ordi. Or la créativité, et la création, les idées quoi, viennent souvent de l’ennui, de la simple observation, de la réflexion au calme sans un million de signaux qui viennent vous parasiter le cerveau. L’ennui, c’est bien, et surtout pour les gamins.

Conseil n°2 : Une idée n’a aucune valeur, seule son exécution compte.

C’est une des erreurs fréquentes chez les entrepreneurs, à savoir vouloir garder son idée pour soi de peur que quelqu’un ne vous la pique. La réalité est que personne ne vous la piquera, ou alors faut vraiment manquer de bol, et surtout peu importe, car le succès ne dépendra pas de l’idée de base mais de ce que vous allez en faire, c’est à dire l’exécution. On dit souvent qu’une bonne idée mise en oeuvre par une mauvaise équipe ne produira rien tandis qu’une idée médiocre exécutée par une bonne équipe produira toujours quelque chose car la bonne équipe saura faire évoluer l’idée. En outre, le fait de parler de son idée dès le départ à un maximum de gens vous permettra de la confronter à la réalité et de la sortir de la seule tête de son géniteur, crucial !

Conseil n°3 : Ne perdez pas de temps avec un business plan.

Un business plan, c’est ce qu’on apprend dans les école de commerce mais les écoles de commerce n’ont pas vocation à former des entrepreneurs, tout simplement car il n’y a pas vraiment d’école pour former des entrepreneurs. Un vrai entrepreneur agira et ne perdra pas son temps à aligner des chiffres qui ne veulent rien dire car personne n’a aucune idée des ventes futures d’un produit ou d’un service qu’on n’a même pas encore finalisé. Quand vous souhaiterez lever de l’argent auprès d’un proche, d’une banque ou d’un fonds d’investissement, il sera toujours temps d’en faire un et pour cela vous vous ferez aider par un comptable ou autre spécialiste des tableaux Excel, mais entre temps, vous aurez avancé sans perdre de temps et vous aurez déjà une idée plus précise du potentiel de votre idée.

Conseil n°4 : Soyez humble et restez toujours à l’écoute.

C’est une autre erreur classique, celle de croire qu’on a la science infuse, qu’on a toujours raison, sauf une fois où on pensait avoir tort et on avait en fait raison. En humour, ça passe, en entreprenariat, ça tue. Car aucun entrepreneur n’a la solution parfaite dès le départ, l’entreprenariat est un parcours d’obstacle et pour les contourner, il faut être à l’écoute, du marché, des clients, des collaborateurs, des concurrents, bref se transformer en éponge avec des oreilles. Savez-vous par exemple que le premier Starbucks à Seatlle a été un flop. Howard Schultz, son fondateur, a alors su prendre acte de son erreur, analysé les flux autour, a changé d’emplacement et la suite a été le formidable succès que l’on connaît. S’il s’était borné à penser que son concept était bon et que cela marcherait tôt ou tard à l’endroit où ils s’étaient implantés initialement, il n’y aurait pas eu de deuxième Starbucks ni aucun autre. Ecouter pour améliorer !

Conseil n°5 : Donnez votre confiance, en commençant par vous même.

Avoir confiance en soi est sans doute le plus difficile, et pas seulement en matière d’entreprenariat. Il me faudrait sans doute lire un paquet de bouquins de psy pour savoir pourquoi l’être humain est ainsi fait, enfin pas tous, certains sont dotés d’une confiance en eux innée mais pour la vaste majorité d’entre nous, cela ne va pas de soi. On a plutôt tendance à penser qu’on est nul et qu’on y arrivera pas, que ça ne marchera jamais, surtout en France, les Américains sont peut-être différents de nous à cet égard, culturellement. Toujours est-il qu’il est pratiquement impossible de réussir quoi que ce soit si on n’est pas convaincu qu’on y arrivera, sinon à la première difficulté, tout s’écroulera, la confiance, le moral, tout. Alors il faut forcer sa nature, se faire confiance et y aller. Se faire confiance et faire confiance aux autres, car l’entreprise est toujours un projet collectif, il vous faudra une bonne équipe, une équipe de gens en qui vous avez confiance pour gravir l’Everest ensemble. A l’inverse, la défiance ne vous mènera nulle part sauf chez le psy, encore lui.

Conseil n°6 : Cultivez votre inconscience, ne réfléchissez pas trop.

Continuons de tirer sur le fil psy, autre principe essentiel, puisqu’à trop réfléchir, on ne fait rien, arrêtez de réfléchir et allez-y, yallah. On trouve toujours les bonnes raisons de ne pas y aller, le risque évidemment, car il n’y a pas d’entreprise sans prise de risque. Plus on réfléchit, plus on intellectualise, plus on intellectualise, plus on a peur et plus on a peur, moins on agit, CQFD. L’entrepreneur a donc forcément une part d’inconscience sans laquelle il serait encore sur la case départ avec tous les autres, c’est même peut-être sa différence principale. Inconscience ne veut pas dire prendre des risques complètement dingues non plus, entreprendre n’est pas une partie de roulette russe avec cinq balles dans le barillet. Cultiver son inconscience, dans la limite du raisonnable évidemment.

Conseil n°7 : Entourez-vous de personnes saines, et éloignez-vous des toxiques.

Plus facile à dire qu’à faire, pensez-vous peut-être. Certes, ce conseil semble frappé au coin du bon sens, sauf que, sauf que, bien souvent, comme dans un mariage, on fait semblant de ne pas voir que l’autre n’est pas la personne qu’il vous faut, en l’occurence pour réussir ce projet. Il y a alors deux attitudes, celle de l’autruche, foutre sa tête dans un trou et attendant que ça passe et que tout aille mieux. Mais rien n’ira mieux, d’où la deuxième attitude, la seule finalement qui vaille, qui consiste à se séparer des personnes qui vous tirent vers le bas. Il n’y a pas d’autre solution. Sinon, votre projet est foutu d’avance, et vous avec.

Conseil n°8 : Soyez authentique, forgez vos propres principes.

Les conseils et les principes des autres c’est bien, mais rien ne vaut ses propres principes issus de ses propres expériences. Donc arrêtez tout de suite la lecture de ce billet qui n’a aucun intérêt et passez à la suite de votre journée. Je plaisante, restez svp. L’idée ici est surtout de dire, évitez d’imiter Pierre, Paul ou Jacques et leurs idées, car cela ne fonctionnera probablement pas. Il faut être soi, juste soi, avec ses qualités, ses défauts et surtout ses propres projets, pas ceux des autres. Ne soyez pas une pâle copie de quelqu’un d’autre. Ne lancez pas un projet qui soit juste une imitation d’un autre projet qui marche, car le vôtre ne marchera pas. Soyez vous, juste vous.

Conseil n°9 : Créez vos opportunités : la chance se provoque.

Xavier Niel termine son livre en se félicitant de la chance indécente qu’il a eu et on aura du mal à lui dire le contraire. La chance ne s’apprivoise pas, on en a ou en n’a pas, on l’a parfois et pas d’autres, ça c’est la chance en général. Et puis il y a la chance que l’on provoque en prenant son téléphone pour appeler le copain d’un copain d’un copain qui connaît quelqu’un qui pourrait peut-être m’aider sur tel ou tel point de mon projet. Et finalement, ce copain du copain du copain sera la personne clé qui fera de mon projet un succès. Que se serait-il passé si je m’étais dit, laisse tomber je ne le connais pas, il va me jeter. La chance se provoque à coup d’audace, en combattant sa timidité, personne ne vous passera par la fenêtre pour avoir demandé un conseil, un avis, un coup de main, le pire que l’on risque c’est un refus, un vent. Ne pas avoir peur des portes qui se ferment voire se claquent, la mauvaise idée serait de ne pas avoir essayé de l’ouvrir.

Conseil n°10 : Entreprenez pour être libre.

Il y a beaucoup de bonnes raisons de vouloir entreprendre, la mauvaise, c’est l’argent. Si votre principale motivation c’est l’argent, il est presque sûr que vous n’en ferez pas. L’entreprenariat est un truc d’idées, de projection, d’inspiration, de passion et tout un tas d’autres trucs en ion, dont l’argent ne fait pas partie. L’argent, la réussite financière, est le résultat d’un projet devenu entreprise qui se déroule bien et qui va au bout, pas son carburant.

Le moteur d’Eric Larchevêque a toujours été d’être libre, sans patron au-dessus de lui pour lui dire quoi faire, quand, où et comment, même si vous avez des comptes à rendre à votre banquier, vos clients, vos éventuels associés, vous êtes maître à bord de votre destin, vous avez la barre entre les mains, à vous de voguer vers le large en évitant les récifs.

Je pense que c’est un trait assez commun chez les entrepreneurs, ce goût de la liberté. Je pense même que c’est le trait commun de tous les humains, à ceci près que nous ne pouvons pas tous être patron. Il n’y a finalement pas tant d’entrepreneurs que ça au fond, et ce pour une raison simple, il faut aussi une énorme capacité à résister au stress, une capacité qui n’est pas la portée du premier venu. L’entreprenariat, beaucoup ont essayé, dont moi, peu réussissent finalement.

J’espère ne pas vous avoir trop gonflés avec Xavier Niel et Eric Larchevêque, deux entrepreneurs parmi d’autres, il m’a semblé que ces conseils étaient le fruit d’une expérience riche et que cela valait le coup de les partager avec le plus grand nombre. Voilà qui est fait.


Références / Sources

Entreprendre pour être libre, mon histoire et mes conseils pour passer à l’action, Eric Larchevêque, M6 édition, 2024.

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