Courgette

Cette semaine, j’ai entendu une interview de Bambou, la dernière femme de serge Gainsbourg et la mère de Lulu, à l’occasion de la sortie de son autobiographie. On lui a souvent proposé de la faire, longtemps elle a refusé, ne voulant pas que sa vie se résume à celle de Serge. Alors elle a attendu et apparemment elle a bien fait, car son récit y a gagné en épaisseur et en personnalité, je dis apparemment car je ne l’ai pas lu, les livres sont devenus tellement hors de prix et puis spontanément comme ça, je ne suis pas certain que la bio de Bambou m’aurait intéressé. Et puis je l’ai écoutée et j’ai été touché. Touché par son enfance malheureuse, véritable Cosette du XXe siècle, fille d’un militaire français et d’une femme vietnamienne ou chinoise, je n’ai pas trop bien compris, en tout cas elle a été placée à l’assistance publique très tôt, quand Bambou reverra sa mère quelques années après, elle eut le sentiment de ne lui inspirer que du dégoût. Entre temps, elle fut placé en famille d’accueil, qui n’était ni familiale ni accueillante à son égard, c’est tout juste si on lui donnait à manger, alors de l’amour vous pensez bien que c’était hors de question. A l’école, ce n’était pas mieux, on la traitait de jaune, de Chinetoque, de pouilleuse. Alors elle fera au mieux avec cette vie misérable, deviendra pourtant mannequin, mannequin mais surtout junky, jusqu’à ce qu’elle croise son Jean Valjean à elle, Serge Valjean, un Jean Valjean un peu dépravé et à la gueule de chou, en proie à ses propres démons, mais gentil lui.

Cela n’est pas sans rappeler le procès de l’aide sociale à l’enfance (ASE) du Nord, un service public qui n’est pourtant pas sur le banc des accusés. Les accusés, ce sont ces familles, disons plutôt ces individus, ils ne méritent pas le nom de famille, qui ne disposaient pas de l’agrément nécessaire pour accueillir des enfants de l’ASE et qui leur ont fait subir les pires brimades et abus tout en encaissant des centaines de milliers d’euros de la part du département. Comment, pourquoi ? Comment les responsables de l’ASE ont-ils pu laisser ce crime contre l’humanité, car pour moi s’en prendre à des enfants est un crime contre l’humanité, se perpétrer pendant des années sans intervenir en aucune façon ? Le procès le déterminera. Pourquoi les responsables du département, président en tête, ont ignoré une telle situation, alors que des signalements avaient été faits, à l’aide sociale elle-même, à la police, partout. Le procès de l’ASE du Nord est un drame, sans mort, du moins pas encore. Car on a suffisamment de recul aujourd’hui, et les enquêtes sociologiques le montrent bien, pour savoir que ces enfants ont de grandes chances de se retrouver dans la rue ou en prison sitôt sortis du système. Et inversement, leurs chances de réussir à se construire une vie décente sont minces. Voilà comment on protège l’enfance en France en 2024. Hugo revient, tu as encore du pain sur la planche !

Cela m’a donné envie de voir Ma vie de courgette (1), le film d’animation un peu à la Tim Burton de Claude Barras et Céline Sciamma, que j’avais sur ma liste depuis longtemps. Il y est question d’un jeune garçon en papier mâché qui tue sa mère alcoolique par inadvertance et se trouve placé en foyer. Courgette est le petit nom que lui donnait sa mère, mais son vrai nom c’est Icare. Les autres gamins du foyer l’appellent Patate car il a une tête de patate, jusqu’à ce que Courgette en mette une de patate dans la tête du leader de la bande et que tout rentre dans l’ordre. Il deviendra même pote avec lui. Courgette y fera aussi la rencontre de Camille, dont le père a tué la mère parce qu’elle le trompait, avant de se suicider. Camille était sous la responsabilité de sa tante, une vraie Thénardière elle aussi, juste intéressée par l’argent qu’on lui verse pour s’occuper de sa nièce. Ce qui est bien au cinéma cependant, et tant pis si je divulgâche la fin du film, c’est qu’on peut décider que l’histoire se finit bien si on en a envie. Ce n’est pas toujours possible dans la vraie vie. Camille et Courgette seront finalement adoptés par le gentil flic Raymond.

Raymond sait lui que l’enfance est une terre sacrée, qu’on n’a pas le droit de la piétiner avec ses gros souliers, que les enfants sont comme du papier mâché en effet, ou de la pâte à modeler, qui garde les marques des coups qu’ils reçoivent. Il sait qu’on n’a pas le droit d’abandonner un enfant, même s’il est ultra moche…

Même s’il sent le caca.

Même s’il pleure tout le temps.

Même s’il fait pipi au lit.

Même s’il est nul à l’école.

Même s’il est bête.

Même s’il mange comme un cochon.

Même s’il pue des pieds.

Même s’il est complètement insupportable et qu’il fait que de crier tout le temps…

Et puis d’un coup, on voit les nuages et on entend la voix de Sophie Hunger reprendre Le vent nous portera, de Noir Désir, et moi je chiale comme un con en pensant aux gamins de l’ASE du Nord et de tous les départements de France et de Navarre, aux gamins de Gaza et d’ailleurs.

Je n'ai pas peur de la route
Faudrait voir, faut qu'on y goûte
Des méandres au creux des reins
Et tout ira bien là
Le vent nous portera (2)

Sources / Références

(1) Ma vie de courgette, film de Claude Barra, 2016

(2) Le vent nous portera, chanson de Noir Désir, 2001