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En attendant le Messi

26 septembre 2021

Jamais je ne me suis autant gratté la tête pour savoir comment j’allais démarrer un billet. Celui-ci concerne Lionel Messi, le footballeur, au cas où vous ne le sauriez pas. Non pas que je n’en ai aucune idée, au contraire, j’en ai trop. Vais-je attaquer par le gamin de Rosario, ce bled argentin qui a vu pas mal de stars du ballon rond y naître, par ses statistiques footballistiques stratosphériques, par le business et les centaines de millions d’euros qu’il a coûté au Barça en salaires et primes diverses et variées depuis quelques années et les centaines d’autres qu’il a rapporté au club, par l’homme simple ou le phénomène planétaire qu’il est, les deux à la fois, on n’est pas à un paradoxe près, par ses problèmes avec le fisc espagnol. Je pourrais attaquer par Jorge, son père et agent, ancien ouvrier de la métallurgie qui prenait sa 504 Peugeot pour emmener son fils, souvent en retard, aux matchs du week-end ou par Dani, son garde du corps des années 2000 à qui l’on attribut près de cinq cents braquages de banques. Ou encore par l’aspect politique du personnage ou plutôt de ce qu’il représente car son arrivée au PSG ne laisse personne indifférent, à droite comme à gauche. A droite, on se félicite sur ce coup de projecteur sur le championnat français en oubliant un petit détail, c’est que ne ce sont pas les Français qui paient Messi, mais les Qataris pour que tout le monde connaisse et si possible aime ce petit bout de terre du golfe persique. Personne à droite ne semble être gêné par l’aberration écologique que représente le mondial dans ce pays ni par les conditions d’exploitation des ouvriers qui construisent les stades. A droite, business is business. A gauche, on est plus gêné, surtout quand on aime le foot. D’un côté, il faut condamner cette montagne de fric sans scrupule qu’est devenu le football moderne, de l’autre on est tout de même content qu’un joueur de cette envergure atterrisse à Paris. Dilemme compliqué à résoudre. Problème que ne se posent pas les écolos, pour qui Messi est le symbole de la globalisation et de l’hyper consommation, deux maux qui nous emmènent tous autant que nous sommes vers le désastre.

Voilà, je n’ai que l’embarras du choix, un vrai embarras toutefois. Je voudrais un angle original, quelque chose qui n’a pas encore été dit sur Messi alors que je sais bien que c’est impossible car tout a été dit et écrit.

Et puis, en fouillant dans le numéro de septembre de So foot (1), un numéro entièrement consacré à La Pulga, la puce, j’ai trouvé mon sujet. Il se nomme Leandro Depetris, mon sujet. Vous ne le connaissez pas et c’est normal car ce jeune homme, contrairement à son copain Lionel, de Rosario lui aussi – je pense qu’ils n’ont en réalité jamais été copains mais bel et bien rivaux puisqu’ils n’ont qu’un an d’écart et on grandi dans le même quartier, le même pays, la même ferveur sud-américaine du foutchball – n’a pas eu la vie qu’il aurait pu ou dû avoir. Leandro était également une des pépites argentines quand il n’avait que dix ou onze ans, une future star promise aux plus grands clubs de la planète football. Il dit même qu’il surclassait Messi à cette époque, quel fanfaron ! J’aime cette histoire car elle illustre parfaitement à quel point la vie se joue à un tout petit rien, ou un tout petit tout, en fait un ensemble de petits riens qui font toute la différence : le bon entourage, parents, frères, soeurs, cousins, le bon club, la prudence et la modestie nécessaires à celui qui débute, quel que soit son talent. Car le chemin vers le succès est long et semé d’embuches.

Alors que Messi est repéré par le Barça, une vraie école de football, une école de vie, une école de la rigueur, Depetris attira lui l’attention des recruteurs de l’AC Milan de Berlusconi, une école de… euh, une école de… et de… euh, sans commentaire. Mais la bifurcation de vie n’a pas lieu à ce moment précis mais plutôt quand Depetris et son clan, son agent et son père, se retrouvent à Milan pour négocier les conditions d’intégration du jeune prodige, discussion qui n’aboutira pas, sans doute parce que les prétentions des Argentins n’étaient pas recevables. Retour à la case départ pour le jeune Leandro, qui sera aussi la case terminus. Aujourd’hui, celui qui aurait pu faire la une des magazines, entraîne les gamins du club de San Vincente, un petit village de la pampa argentine. Car au football, si on a une chance, on en a rarement deux.

Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que des Messi, des gamins surdoués du ballon rond, il y en a des dizaines, des centaines, peut-être même des milliers partout dans le monde, en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie ou dans les banlieues des grandes villes européennes. Mais tous ne deviennent pas Messi. Car il faut la conjonction d’ingrédients particuliers et surtout beaucoup de chance. Il faut un environnement propice, un père ancien footballeur amateur et entraîneur à ses heures, une mère supporter de tous les instants, deux grands frères footballeurs et castagneurs et un quartier où on joue dans la rue du matin au soir. Un pays où le foot est une religion (l’Argentine), un club de jeunesse formateur (les Newells Old Boys), un club pro connu pour le sérieux de sa formation (le Barça), de jeunes coéquipiers aussi prometteurs que lui (Xavi, Iniesta), un entraîneur, ancien joueur, comme on en fait pas beaucoup (Pep Guardiola)… il faut tout ça et beaucoup d’autres facteurs encore pour faire un Messi.

Ce qui est presque triste cependant, c’est que tout génie du foot qu’il est, il lui manque, malgré ses larmes sans doute sincères versées en conférence de presse pour annoncer son départ du Barça, cette dimension émotionnelle et même sociale pour devenir une véritable légende, une icône, quelque chose de plus qu’un joueur de foot, quelqu’un de la trempe de Maradona à qui on le compare souvent, à tort. Et son choix de quitter Barcelone pour rejoindre le PSG et les dollars du Qatar le confirme. Avec la fortune qu’il a accumulé depuis qu’il est professionnel, et qu’il aurait de toute façon continué à faire fructifier en monnayant son image, il aurait très bien pu baisser ses prétentions salariales et rester au club qui l’a formé et à qui il doit le footballeur incroyable qu’il est devenu. Il aurait même pu commencer à imaginer, à 34 ans, une transition vers une autre fonction au sein du club, façon Zidane, Deschamps ou Guardiola. Seulement Messi n’a pas ce supplément d’âme, Messi est une machine à produire du football de très haut niveau, un football de génie même, et c’est déjà pas mal.

Le PSG s’est donc offert une belle tête de gondole, sans doute la plus belle qui soit en ce moment, pour nous vendre du Qatar à toutes les sauces, une opération marketing menée de main de maître, c’est certain. Seulement le football n’est pas aussi prévisible que ça. Ce ne sont pas les onze meilleurs joueurs qui font le meilleur onze et ce n’est pas parce que vous avez le meilleur joueur du monde, le meilleur joueur de tous les temps selon certains – sauf qu’au temps des hommes préhistoriques, on ne jouait pas au football, ou alors avec des pierres, ce qui est moins précis et plus douloureux vous en conviendrez, que Jésus lui même ne jouait pas non plus au football, du moins, rien dans l’Evangile ne l’évoque, donc difficile de comparer avec les autres périodes de l’histoire – comment ça vous trouvez mes comparaisons non pertinentes ?

Le Qatar a investi des milliards dans le PSG pour gagner au moins une fois la Ligue des Champions, ils se sont même offert le Messi, personne n’avait pensé qu’il était à vendre, et pour le premier match de la saison 2021-2022 de cette fameuse Ligue des Champions tant convoitée, ils n’ont fait qu’un petit match nul contre le modeste club belge de Bruges.

Ainsi, du côté de Paris, on attend encore le Messi.


Références

So Foot, édition du 9 septembre 2021, consacré à Lionel Messi

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