# Monsieur X

Foutre le bordel

21 octobre 2024

J’aime ces histoire de self made man, en français on a tendance à dire autodidacte, dans les deux cas l’expression ne convient pas je trouve, self made man, un homme qui s’est fait tout seul, autodidacte, celui qui apprend seul, or dans la création d’entreprise, on est jamais seul et surtout on ne réussit pas seul, l’idée sous-jacente est surtout de dire que le gars est parti de zéro ou pas grand chose, comparativement par exemple aux héritiers. Xavier Niel fait partie de la première catégorie. J’aime ces histoires, c’est sans doute mon côté américain, car elles donnent de l’espoir, on se dit si lui peut le faire, pourquoi pas moi. En vérité, il y a mille raisons qui font que lui est devenu milliardaire et pas moi, pas toi, pas nous et la principale raison nous est donnée tout à la fin du livre entretien avec Jean-Louis Missika qui vient de sortir dans toutes les bonnes librairies (1), et cette raison c’est : la chance ! Putain, c’est indécent comme j’ai eu de la chance, dit-il en substance. La chance, c’est le seul paramètre que tu ne peux pas manipuler, tu peux certes la provoquer, dit-on, jamais la dominer, l’appeler à la rescousse quand tu en as besoin. La chance, tu l’as ou tu l’as pas, c’est elle qui décide. Xavier Niel a eu la chance d’être là au bon endroit au bon moment.

Pas self made man mais parti de rien oui, encore que rien n’est pas le bon mot. Il a d’ailleurs souvent dit qu’il était issu d’un milieu modeste et sa mère lui a reproché en lui disant qu’il n’avait jamais manqué de rien et c’était vrai, alors il a arrêté de le dire. Sa mère était comptable, son père éternel étudiant qui a finit par bosser dans un labo pharmaceutique, la famille Niel a longtemps vécu à Créteil dans un pavillon accolé à celui des grands-parents, le grand-père avait une boucherie en gros aux Halles du temps où elles étaient encore au centre de Paris, il a arrêté quand on déménagé à Rungis. Xavier a grandi avec une sœur et son enfance a été heureuse, il n’a manqué de rien en effet. Etre heureux, c’est déjà beaucoup et c’est sans doute pour cela que tout le monde lui reconnaît un optimisme à toute épreuve, le bonheur de l’enfance a cette vertu parfois. Mais pas de quoi se dire que le type va devenir l’une des premières fortunes de France. L’évènement qui change le cours de cette histoire banale, c’est lorsque son père lui offre son premier ordinateur à l’adolescence. Xavier n’est pas passionné par l’école, pas nul non plus, bon dans rien, nul dans rien, confie-t-il, par contre il va tomber dingue du codage, ces lignes de commande qui vous permettent de faire faire n’importe quoi à votre ordinateur. Il devient bon, voire même excellent dans le domaine, puisque la DST, la Direction de la Surveillance du Territoire, ex renseignements généraux, le contactent suite à un de ses piratages, dont celui de la ligne de Mitterrand, le Président de la République tout de même. Quand tu penses que Mitterrand lui-même ordonnera la mise sur écoute des personnes qui l’intéressent, on se dit que Niel avait un don pour sentir l’air du temps, c’est certain. Toujours est-il que le gars n’a pas 18 ans, pas le bac et il bosse déjà pour la DST. Il passe finalement le bac, démarre une prépa mais comprend très vite que cela ne lui servira à rien. Entre temps, il a commencé à se faire rémunérer pour créer des services sur Minitel, cette invention française qui va occuper le terrain numérique pendant près de deux décennies avant l’arrivée d’internet. A 20 ans, il a monté sa boîte et se verse un premier salaire de 200000 francs, 30 000 euros de salaire à 20 ans seulement, c’est digne d’un footballeur. La fusée Niel est lancée, après le Minitel classique, ce sera le Minitel rose, qui fera sa première fortune et lui permettra plus tard de prétendre acquérir une licence pour devenir opérateur télécom face au géant Orange, anciennement PTT, service public des postes et télécommunications, un géant qui n’entend pas se faire piquer des parts de marché par un moustique. C’est sans compter sur l’obstination du jeune entrepreneur. La suite on la connaît, ils obtiendront la quatrième licence avec Free (avant d’être le nom de sa boîte de télécoms, Free était le nom d’un service de Minitel rose qu’il éditait avec Nice Matin, marrant non) en face de Orange donc, mais également Bouygues et SFR, trois Golgoths du capitalisme français. Après la téléphonie fixe, ce sera le mobile, Free deviendra un énorme entreprise internationale et Niel milliardaire. Mais ce n’est pas ça qui est intéressant dans ce bouquin, sinon il ne s’intitulerait pas Une sacrée envie de foutre le bordel.

Il y a l’autre Xavier Niel, celui qui investit dans des peep shows, dont certains de diversifient dans le proxénétisme, il y passait d’ailleurs de temps en temps récupérer des enveloppes de liquides, enfin de cash je veux dire, il dira à Van Ruynbeck, le juge en charge de son affaire, qu’il aimait la liberté que lui procurait cette rémunération au black, une liberté qui lui vaudra d’en être privé pendant trois mois, condamné à deux ans de prison avec sursis et 250 000 euros d’amende, une paille pour lui. Il y a Xavier Niel investisseur et philanthrope, qui a investi des centaines de millions, des milliards bientôt, de son argent perso, dans des projets tels que Station F, le plus gros incubateur de start-up au monde, en lieu et place de l’ancienne Halle Freyssinet à Paris, Ecole 42, une école de codage gratuite pour futurs développeurs en informatique et Hectar, à la fois ferme, campus et centre de recherche sur l’agriculture de demain. A côté de ça, son fonds d’investissement a pris des participations dans 1500 sociétés en dix ans, ce qui en fait le plus gros fonds au monde en nombre de participation. Ici, il n’est pas question de philanthropie, contrairement aux projets précédents, mais bien de capitalisme classique. J’ai un copain qui est associé avec lui, il me dit, ne te fit pas aux apparences, le gars a l’air sympa comme ça, rigolo, décontracté, mais en vrai c’est un tueur. C’est peut-être une autre raison, avec la chance, qui fait qu’il ait réussi comme il a fait, derrière une apparence de béni oui oui un peu con con, il aime dire qu’il n’a pas fait d’études supérieures, ce qui est vrai, se cache un chef d’entreprise redoutable à qui tu ne la fais pas à l’envers. S’il investit dans ta start-up, c’est pour que ça marche, pas pour que tu te la coules douce. Faut juste être prévenu et encore une fois ne pas se fier aux apparences, en affaires, Niel n’est pas un mec sympa, mais pas un salaud non plus. C’est juste un investisseur comme les autres, pas ton pote.

Il y a enfin Xavier Niel le cataphile, celui qui aime aller déambuler dans les catacombes la nuit, un loisir particulier qu’il a découvert à la sortie de l’adolescence et qui ne l’a pas quitté depuis. Il y emmène même femme et enfant parfois, vous imaginez le tableau, Xaviel Niel, Delphine Arnaud, la fille de Bernard, l’un des personnages les plus riches de la planète et leur fille, lumière sur le front se faufiler dans les égouts entre les rats et les ossements des anciens cataphiles qui se sont perdus dans le sous-sol de la capitale. Alors Bernard, on n’a plus de nouvelles de votre milliardaire de genre, de votre fille et de votre petite fille, on les a vus entrait par une bouche sur l’avenue des Champs Elysées, depuis silence radio, normal y a pas de réseaux en dessous, juste des câbles, même quand on bosse dans les télécoms. Le gars ne fait pas partie du Medeff ni d’aucun club de dirigeants snobinard genre Le Siècle ou autre francs maçons à la mords-moi le Niel. Nan, Xavier Niel est réellement un entrepreneur très particulier, une sorte de Musk à la française, la folie et la mégalomanie en moins, Jean-Louis Mississika le verrait bien Maire de Paris ou Président de la République. Lui pas, ou pas vraiment, pas encore, faut voir, quand il en aura fini avec les télécoms, lui qui ambitionne de devenir le premier opérateur de téléphonie mondial, d’ici une vingtaine d’année quoi. Il aura près de 80 ans.

A la fin du livre, XN a l’audace, dit-il, de croire qu’il a une sorte de « destin ». Ecoute Xavier, je ne sais pas si tu as un destin, mais jusque là, ça me paraît pas trop mal ton bout de chemin, sur ou sous terre. Alors continue comme ça, fais-nous rêver qu’un type ordinaire peut devenir milliardaire, même si c’est faux, et surtout reste optimiste, on en a besoin.


Sources / Référence

Une sacrée envie de foutre le bordel, entretien de Xavier Niel avec Jean-Louis Missika, Flammarion, 2024

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