Georgia et ses frères

Dans l’Italie d’après-guerre, Rosaria et ses quatre derniers fils (Rocco, Simone, Ciro et Luca) fuient la Basilicate, le sud et sa misère pour émigrer vers le nord, à Milan, où le frère aîné de la famille s’est installé…

Il y a un peu de Rocco et ses frères, le chef d’oeuvre de Visconti tourné en 1960 avec Delon dans le rôle de Rocco, dans l’ascension de Georgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia, frères d’Italie en français. On retrouve de la même façon dans ce mouvement politique des Italiens qui n’en peuvent plus de la misère, de la corruption, de la mafia, de Lampedusa et de ses centres d’accueil de migrants, des services publics en voie de disparition, de l’Europe lointaine et de ses fonctionnaires aussi bien payés qu’inutiles. Voilà ce que dit la partie audible des Italiens en 2022, dont un quart des votants vient de porter pour la première fois une femme à la tête d’un Conseil de coalition à droite toute, une femme de plus à exercer le pouvoir au plus haut niveau en Europe. Pour ceux qui ne l’ont pas encore compris ni vu venir, la femme est l’avenir de l’homme politique, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, et la droite voire l’extrême droite est l’avenir de la démocratie, et ça c’est clairement une moins bonne nouvelle.

On peut s’offusquer, condamner, regretter, craindre ce type d’expression politique populaire, certains disent populiste avec condescendance, mais on peut aussi comprendre. Quand on voyage en Italie, un pays dont on ne peut que tout aimer, sa langue si vivante, ses paysages si variés de Venise à la Sicile en passant par la Toscane, le Basilicate ou la Sardaigne, son histoire et sa culture si riches, sa cuisine si gourmande et si raffinée à la fois – tous les parents du monde savent ce qu’ils doivent à la cuisine italienne quand ils se grattent la tête pour savoir quoi donner à manger à leurs enfants, pasta, pizza, mozza vous avez l’embarras du choix. Perso j’ai grandi en mangeant du Nutella qui n’est certes pas une recette gastronomique mais quand même une invention italienne des frères Ferrero mondialement reconnue et sans égale. Comment ne pas aimer également son cinéma, ses actrices, ses voitures de sport, ses motos… bref tout quoi et pourtant quand on voyage en Italie donc, on a l’impression d’assister à l’éternel déclin de l’empire romain. Que vous alliez au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest, vous y trouverez des bâtiments abandonnés, des routes en piètre état, des villes aux murs noircis entre des monuments historiques que l’Etat peine à entretenir voire n’entretient plus du tout, vous ne trouverez pas que ça bien sûr mais beaucoup tout de même, beaucoup trop en tout cas pour un pays riche. Car l’Italie est encore le 8ème pays le plus riche du monde avec près de 2300 milliards de PIB, mais seulement le 25ème si on ramène ce produit intérieur brut au nombre d’habitants (à titre de comparaison, la France est 7ème au niveau PIB, mais 28ème en PIB par habitant). Ces chiffres traduisent une réalité simple que le citoyen ordinaire comprend parfaitement : l’Italie, comme la France, sont des pays riches collectivement, mais modestes et en déclin individuellement car la richesse est de moins en moins bien répartie et les Etats de plus en plus à l’agonie, asphyxiés sous le poids de la dette et des déficits publics. Alors les Italiens en ont ras le bol de spaghetti et ils le disent. Ou pas. Car à l’image de ce qui se passe en France, une fois de plus, ces deux pays sont pratiquement jumeaux comme Romulus et Remus en fin de compte, les plus nombreux à s’exprimer sont ceux qui ne s’expriment pas justement, les abstentionnistes, qui représentent près de 40% des électeurs dans le cadre de ce dernier scrutin. Le fait majeur, c’est en réalité le désintérêt de la population vis à vis de la politique, et ce phénomène touche tous les pays occidentaux, dont les démocraties sont à bout de souffle.

Alors Georgia et ses frères d’Italie vont tenter de gouverner ce conseil ressemblant fort au radeau de la méduse pour redonner espoir aux gens et un avenir à ce pays millénaire, promesse de croissance et de lutte contre l’immigration. Mais la marge de manoeuvre est mince tant le poids de la dette est massif et la pression migratoire si forte qu’elle est pratiquement impossible à endiguer, sauf à laisser couler toutes les embarcations en mer et à bombarder les ports libyens. Quant à la position de l’Italie concernant la guerre en Ukraine, Georgia Meloni se rapprochera-t-elle du côté des Byzantins ou de celui des Carolingiens, seule l’Histoire, comme par le passé, nous l’enseignera.