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God save the Queen

5 juin 2022

Jeudi, c’était le jubilé de platine de la reine Elisabeth II, cette vieille dame dont on trouve la tête sur des millions de mugs et d’assiettes à travers le monde, et pas seulement dans la cuisine de ma cousine, à côté de celles de Lady D et du Prince aux grandes oreilles, un évènement qu’un anglophile impénitent comme moi ne pouvait manquer malgré le récent Brexit.

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Quel sacrée bonne femme tout de même vous ne trouvez pas ? Lorsqu’elle accède au trône en 1952, au décès de son père le roi George VI, elle n’a que 25 ans et doit régner sur le Royaume-Uni bien entendu mais également l’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada, le Pakistan sans oublier tout un tas d’îles plus ou moins exotiques telles que les Bahamas, la Jamaïque, Grenade ou Sainte-Lucie, un paquet de problèmes en perpective pour cette jeune femme, dont tout le monde vente le caractère bien trempé, normal pour une Anglaise, me direz-vous. Il faut admettre néanmoins que le rôle et les responsabilités qui vont avec la couronne ont de quoi impressionner, voire faire peur, d’autres y ont renoncé avant elle. Mais pas Elisabeth !

Une vie de 96 ans et un règne de 70 ans, cela fait beaucoup d’histoires à raconter à ses petits-enfants au coin du feu, le soir au château de Windsor. Par où commencer ? Par son enfance royale, éduquée non pas à l’école évidemment mais par plusieurs gouvernantes triées sur le volet, son adolescence alors que débute la Seconde guerre mondiale et que le Royaume subira les bombardements et versera sang et larmes avant de parvenir à faire plier l’ennemi. Elle a 18 ans lorsque l’Allemagne capitule et demande alors la permission à ses parents de sortir avec sa cadette se mêler à la foule en liesse pour vivre au plus près ce moment de bonheur et de soulagement. Il est certain que ces bains de foule n’ont pas été si nombreux par la suite, une reine n’ayant pas vocation à aller se balader en ville faire du shopping avec ses copines. Ce qui me fait dire qu’une vie de reine n’a rien de royal en réalité, vu le nombre de contraintes et d’obligations que vous vous devez d’assumer. Ce qui n’empêche pas, ne dramatisons pas non plus, de s’amuser et de tomber amoureux. Pour Lilibet, c’est ainsi que la surnomme ses intimes, ce sera le prince Philippe de Grèce et du Danemark. Eh oui forcément, cela ne pouvait pas être un apprenti boulanger rencontré par hasard lors de ses vacances à Balmoral car primo il n’y a pas de boulangeries en Angleterre, des dignes de ce nom s’entend, et deuxio quand on a du sang royal qui coule dans ses veines, on doit se trouver quelqu’un de son rang. Même avec Philippe, ce n’était pas gagné car c’était un prince sans royaume ni fortune, une sorte de SDF aristocrate. Mais le coeur a ses nobles raisons que la noblesse ignore et ce sera Philippe Mountbatten (nom qu’il dût emprunter à sa mère pour faire plus anglais), illustre membre de la famille Schleswig-Holstein-Sondebourg-Glücksburg. Juste après un conflit avec l’Allemagne coûtant la vie à des millions de Britanniques, je ne vous dis pas l’ambiance houleuse à Buckingham. D’ailleurs, les soeurs de Philippe, proche du pouvoir Nazie, n’ont pas été invitées au mariage en 1947.

Des situations délicates comme celle-ci, des problèmes de famille et des crises majeures, elle a eu à en gérer un certain nombre en 70 ans de règne : crise gouvernementale en 1974, crise constitutionnelle en Australie en 1975, guerre des Malouines, abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, conflit avec l’Irlande du Nord, menace de sécession de l’Ecosse… d’un point de vue politique, les dossiers n’ont pas manqué. Sur le plan familial aussi, ils n’ont pas eu le temps de s’ennuyer chez les Windsor. Entre les premiers divorces royaux de 1992, annus horribilis, confiera elle-même sa majesté dans un discours officiel, les frasques de Charles et Camilia, le décès de Diana, les déclarations tonitruantes et les déguisements de mauvais goût d’Harry (sans doute empruntés dans la famille de son grand-père Philippe) et plus récemment l’implication d’Andrew dans l’affaire Epstein, il y a eu de quoi alimenter les chroniques des tabloïds et faire vendre du papier.

Malgré cela, les Britanniques restent attachés à la famille royale et à leur monarchie. Elisabeth est un monument national, et qu’elle s’habille de jaune, de bleu ou de vert, ses apparitions sont toujours un évènement, j’en veux pour preuve l’immense succès populaire de ce jubilé, comme tous les précédents d’ailleurs. Pour son jubilé d’argent par exemple, Londres avait même décidé de construire une ligne de métro de 36 kilomètres de long à cette occasion, de Stanmore à Strateford, en passant entre autres par Baker Street, Westminster et London Bridge, des noms qui résonnent forcément aux oreilles de tous les amoureux de Londres et de la perfide Albion (1).

Une question importante reste en suspend. Elisabeth sera-t-elle centenaire ? Rien n’est certain, le décès de Philippe, après soixante-treize ans de vie commune, la beaucoup diminuée. Elle n’a pas eu la force de terminer les festivités vendredi et durant le week-end. Elle se déplace même de plus en plus en fauteuil roulant mais il est apparemment interdit de le montrer ou d’en parler officiellement, protocole oblige. Mais la relève est là, sans doute pas Charles, mais plus probablement son fils William, qui s’y prépare depuis quelques années déjà. Avec Cate à ses côtés et leurs trois enfants, George, Charlotte et Louis, les magasins de mugs et de toutes sortes de babioles royales n’ont pas de souci à se faire, l’avenir s’annonce sous les meilleurs augures.

De mon côté, pour célébrer ce moment unique dans la vie du Royaume-Uni, je me suis offert une petite séance de ciné, avec au programme The Duke (2), le dernier film de Roger Michell, le réalisateur récemment disparu à qui l’on doit l’iconique Coup de foudre à Nottinghill. The Duke, c’est l’histoire improbable mais totalement vraie, les Anglais ont un certain savoir-faire en la matière, de Kempton Bunton, un chauffeur de taxi qui vole le portrait du Duc de Wellington de Francisco Goya à la National Gallery pour pouvoir, avec l’argent de la rançon, payer la redevance télé aux vétérans et aux retraités, estimant qu’on leur devait bien ça. Brillamment interprété par Jim Broadbent et Helen Mirren dans le rôle de son épouse – Helen Mirren a aussi incarné Elisabeth II dans The Queen de Stephan Frears (2) – en allant voir ce film, vous ferez un drôle de voyage dans l’Angleterre des années 60, entre misère et loufoqueries.

Pour en finir avec ce billet spécial jubilé, je voulais me poser la question de savoir, comme les médias français l’ont fait cette semaine, si Elisabeth II était une figure féministe. Je n’ai pas le sentiment qu’elle ait pris des positions véritablement féministes au cours de son règne, tout simplement parce que la reine d’Angleterre n’a pas vocation à prendre position sur le plan politique et laisse cet exercice aux premiers ministres, elle en a connu quinze. Mais elle est clairement le symbole d’une femme forte, qui a maintenu le cap contre vents et marrées pendant trois quarts de siècle sans jamais faillir. Bien sûr, elle incarne également une vision du monde un peu surannée diront les plus indulgents, complètement archaïque et dépassée pour les plus virulents. Il n’empêche, sa vie et son attitude forcent le respect et prouvent que, comme aux échecs, la reine est tout aussi puissante que le roi.

God save the Queen !


Sources / Notes

(1) Savez-vous pourquoi on appelle l’Angleterre « Perfide Albion ». Albion parce qu’avant, cette île s’appelait Albion, à l’image des falaises d’albâtre qui entourent une partie de ses côtes. Quant à perfide, c’est sans doute le résultat de siècles de guerres et d’opposition avec la France, que ce soit pendant la Guerre de cent ans ou durant La Révolution Française ou les guerres napoléoniennes. Nous autres Français considérons les Anglais comme des traitres, des gens indignes de confiance, et réciproquement. Demandez aux supporters de Liverpool ce qu’ils en pensent !

(1) The Duke, film de Roger Michell, 2021

(2) The Queen, Film de Stephan Frears, 2006

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