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In god we Truss

8 septembre 2022

J’ignore si c’est grâce à Borgen (1), la série mettant en scène une Première ministre danoise, mais on voit de plus en plus de femmes prendre la tête de pays en Europe. En Finlande, où Sanna Marin démontre qu’on peut très bien diriger un gouvernement le jour et faire la fête le soir quand on a 36 ans, ou pas. En France avec Elisabeth Borne qui s’apprête à relever des défis significatifs tels que la réforme des retraites dans un contexte économique extrêmement instable. Sans oublier Ursulla Van der Leyen qui a pris la présidence de la Commission Européenne depuis 2019.C’est à présent au tour de nos amis britanniques de passer au féminin suite à la nomination d’une autre Elisabeth, Mary Elisabeth pour être précis, Liz pour les intimes, Truss. Liz Truss récupère le bazar de son prédécesseur Boris Johnson, alias Bojo le clown, à qui l’on doit entre autres le Brexit et les soirées bien arrosées du 10 Downing Street en plein confinement. Work hard, play hard, disent les Anglosaxons, travailler dur et s’amuser beaucoup, dont acte. Autant dire que les deux Elisabeth vont avoir fort à faire dans les mois et les années qui viennent.

S’agissant des Anglais toujours, ils n’en sont pas à leur coup d’essai en matière de femme Premier ministre. Tout le monde se souvient de Margareth Thatcher, difficile d’oublier « la dame de fer », qui fut la première femme à prendre la tête du Parti conservateur anglais en 1975 et fut la Première ministre qui dura le plus longtemps à cette fonction, de 1979 à 1990, soit onze ans. Pas mal, avouons-le, d’autant qu’il faut beaucoup de caractère et d’endurance pour exercer ce job quand on est une femme, mais je reviendrai sur ce point en fin de billet. Il est intéressant à ce titre de relever les quelques points communs entre Truss et Thatcher, outre le fait qu’elles soient toutes les deux de la gent féminine. La première similitude, c’est la conjoncture. Aujourd’hui comme au début des années 80, le Royaume-Uni fait face à des problématiques majeures : inflation, déficit public et croissance économique hasardeuse dans le contexte du Brexit. Sur ce point, les deux se rejoignent en effet car Thatcher était clairement eurosceptique. Truss n’était certes pas favorable au Brexit à l’origine mais elle doit maintenant le gérer et négocier ligne à ligne avec l’UE. Libérales d’un point de vue économique, elles ont également en commun sur le plan géopolitique d’être atlantistes, recherchant une rapprochement toujours plus fort avec les Etats-Unis et dénonçant les dérives autoritaires des pouvoirs russes et chinois. Aurons-nous affaire à une version moderne, au moins s’agissant de la coupe de cheveux, de la dame de fer, seul l’avenir nous le dira, un chemin politique qui sera sans aucun doute semé d’embûches. En tout cas, c’est à Liz Truss que les Anglais ont confié leur destin pour les prochaines années.

J’allais presque oublier qu’entre Thatcher et Truss, il y eut Theresa, Theresa May, qui fut Première ministre de 2016 à 2019. Theresa May est également issue du Parti conservateur mais dans une version soft power. Il est vrai que lorsqu’elle fut Ministre de l’intérieur du gouvernement de David Cameron, elle sut se montrer ferme sur les questions de drogue et d’immigration, les deux n’étant pas forcément lié je précise en passant, may en tant que Ministre des femmes et des égalités, elle fut plus progressiste, notamment vis à vis du mariage homosexuel. Finalement, on a dit d’elle qu’elle faisait partie de l’aile « pragmatique » du Parti. Un pragmatisme qui ne lui fut d’aucune utilité pour mener à bien le projet de retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne, puisque ne parvenant pas à un consensus, elle fut contrainte de démissionner de son poste à la tête du Parti conservateur abandonnant par conséquent en même temps sa fonction de Première ministre, laissant ainsi la place à l’affreux Bojo. On connaît la suite.

Etre une femme en politique n’est pas chose aisée, et encore moins quand vous êtes tout en haut, à la tête d’un gouvernement ou d’un pays par exemple. Sanna Marin, la Première ministre finlandaise a appris à ses dépens qu’on ne pouvait pas tout faire quand on occupe cette fonction, surtout à l’heure du mobile et des réseaux sociaux tout puissants. Une autre illustration de la difficulté de la mission nous est donnée par la série Borgen que j’évoquais en introduction. Il s’agit certes d’une fiction, mais on y voit bien toutes les épreuves que le personnage principal, Birgitt Nyborg, Première ministre d’un gouvernement danois de coalition, doit affronter pour pouvoir ne serait-ce qu’exercer son métier. L’engagement est tel, total, qu’elle finit par divorcer et se retrouver seule et déprimée. Clairement, si vous voulez exercer ce type de fonction extrême, il faut être prêt à mettre sa vie de famille de côté, l’idéal serait même de n’avoir aucune vie de famille tout court. C’est là un avantage majeur qu’avait Emmanuel Macron quand il s’est lancé à la conquête du pouvoir. Jeune, pas d’enfant, accompagné par une femme dont la carrière était derrière elle et qui n’attendait rien de lui, aucune vraie contrainte, rien à perdre, l’alignement des planètes. Pour une femme, cette question de la vie de famille est encore plus prégnante car toutes les études montrent qu’elles sont plus beaucoup impliquées que les hommes dans l’éducation des enfants et dans les tâches domestiques, n’en déplaise aux hommes pseudo modernes qui pensent aider leur femme en faisant une machine tous les trois mois. Autant dire que pour briguer un poste de Première ministre, soit vous n’avez pas encore 30 ans, vous n’avez pas encore d’enfant non plus et pas nécessairement de copain fixe, cela attendra, mais Première ministre à 30 ans, ce n’est pour le moment jamais arrivé. Soit vous avez passé les 50/55 ans, vos enfants sont grands et autonomes, et vous avez déjà eu le temps de divorcer une ou deux fois. Si vous êtes entre les deux, il vous faudra le mari et les enfants adéquates.

Liz Truss entre peut-être dans cette catégorie car son mari, Hugh O’Leary est considéré comme quelqu’un de discret et son poste de directeur financier dans le secteur de l’immobilier ne devrait pas a priori l’amener à faire la une des tabloïds, particulièrement friands de scandales et d’histoires situées entre le niveau de la ceinture et le ras des pâquerettes. Quant aux deux ados du couple, Frances (16 ans) et Liberty (13 ans), elles se déclarent particulièrement excitées d’aller s’installer au 10 Downing Street où Bojo a laissé quelques bouteilles et voir leurs comptes Instagram exploser.

Bon courage Liz, God soit avec toi et avec le Royaume-Uni.

Au moment où je finalise ce texte j’apprends le décès d’une autre Elisabeth, Elisabeth 2, mais la troisième citée dans ce billet, et en tant que citoyen Britannique de coeur (2), je suis triste et en deuil.


Sources / Notes

(1) Borgen, série danoise racontant la vie de la Première ministre Birgitte Nyborg, diffusée à partir de 2010.

(2) Je me déclare citoyen britannique de coeur car en digne représentant de la génération Erasmus, j’ai eu la chance de vivre près de deux ans en Angleterre, d’abord à Manchester puis à Londres. J’ai beaucoup de souvenirs en tête forcément mais surtout un en particulier. Un dimanche d’hiver, nous avions décidé avec deux copines stagiaires à Londres comme moi d’aller faire un tour à Windsor, petit village à quelques dizaines de kilomètres au nord de la capitale et résidence principale de la famille royale qui porte du reste le même nom. Nous n’avions pas prévu d’y faire quoique ce soit de spécial, si ce n’est de nous balader et découvrir le village. Mais en s’approchant de la chapelle attenante au château, nous apprenons qu’une messe y a lieu tous les dimanches à 17h et l’entrée est libre et gratuite. Je ne suis ni croyant ni pratiquant mais l’idée d’aller à la messe dans la chapelle d’Elisabeth 2 avait quelque chose de réjouissant. Le mot fut finalement faible car en fait de messe, il y avait surtout une chorale d’hommes uniquement qui y chantait pendant près d’une heure, dans une acoustique de dingue, sans parler du décorum. En sortant, les filles et moi avions les larmes aux yeux. Nous avions été littéralement scotché, ou plutôt l’inverse, transporté, même si je suis bien incapable de vous dire où. En tout cas, ce souvenir restera gravé à jamais dans ma mémoire et quand je pense à Elisabeth, je repense à cette messe. Rest in peace dear E.

Britain’s Queen Elizabeth II, left, welcomes Liz Truss during an audience at Balmoral, Scotland, where she invited the newly elected leader of the Conservative party to become Prime Minister and form a new government, Tuesday, Sept. 6, 2022. (Jane Barlow/Pool Photo via AP)

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