Kaizen
Sur les conseils de notre fils de 15 ans, nous avons regardé, sa mère et moi, le documentaire Kaizen sur YouTube. Kaizen, c’est donc l’histoire d’un YouTubeur qui fait des vidéos de lui commentant des jeux vidéo depuis un paquet d’années puisqu’il a commencé vers dix ou douze ans et qu’il en a aujourd’hui une vingtaine. Il est même l’un des YouTubeurs français les plus connus et les plus vus, pseudo Inoxtag. Regarder un gamin qui commente les parties de jeux vidéo qu’il fait, pour un adulte de 47 ans comme moi qui a commencé sur Gameboy, cela n’a pas beaucoup d’intérêt ni de sens. Par contre, la nouvelle génération adore, au point que ses vidéos font des millions de vues et qu’il peut en vivre. Il est donc un YouTubeur professionnel en quelque sorte, si tant est que cela veuille dire quelque chose. Seulement, au bout d’un moment, le public se lasse et il faut lui proposer d’autres idées, défis, challenges, trucs drôles, des trucs qu’on n’a pas vu ailleurs, ce qui n’est pas si évident compte tenu qu’avec les milliards de vidéos déjà déversées sur les réseaux sociaux, on a déjà tout vu.
C’est dans ce cadre, cette recherche perpétuelle du toujours plus pour faire toujours plus de vues qu’Inoxtag a eu l’idée extravagante d’aller escalader l’Everest. Lui le geek qui passe les trois quarts de son temps derrière son écran dans la salle de bains de ses parents qu’il a réaménagée en squatte numérique veut gravir la montagne la plus haute du monde. L’idée peut paraître complètement débile, le défi impossible pour un p’tit gars de la ville plus habitué à manier la manette de jeu que le piolet. Mais le p’tit gars en question est aussi un fan de manga qui a certainement lu Le Sommet des Dieux, une histoire de défis entre alpinistes justement. Alors il ne dit pas ça pour faire genre, il est déterminé à aller au bout de cette histoire et à s’entraîner dur pour réussir. Cela commence avec du coaching sportif intensif pour perdre les kilos accumulés à cause de milliers de hamburgers et de parts de pizzas avalés à la va-vite entre deux parties. Ensuite le test d’effort en hypoxie, c’est à dire en diminuant l’oxygène pour simuler les conditions de la haute altitude, un test qui vous dit si oui ou non vous pouvez y aller, si votre corps peut supporter le manque d’oxygène et si ce n’est pas le cas, aucun entraînement au monde ne vous permettra d’y arriver. Résultat positif, l’aventure peut continuer. Pour cela, il faut bien s’entourer, trouver un alpiniste qui a envie de vous accompagner, plus tard il faudra aussi des sherpas, les fameux guides népalais, les seuls en mesure de vous mener au sommet des dieux. Avant l’Everest, il faudra cependant se faire les dents sur d’autres ascensions, le Mont-Blanc, le Cervin, le GR20 en Corse pour l’endurance. Le YouTubeur s’accroche, les bourrelets disparaissent pour laisser apparaitre des tablettes de chocolat, le gamin devient feat et après une petite année de préparation, il est enfin prêt, direction le Népal, Katmandou puis le camp de base n°1. Ultime étape préalable avant d’attaquer l’Everest, un test grandeur nature sur l’Ama Dablam, une montagne de « seulement » 6812 mètres, surnommée la perle de l’Himalaya tellement elle impressionne par sa verticalité et sa blancheur, une dent de loup qui griffe le ciel bleu. Et là, cata, à 800 mètres du sommet, toute l’équipe est épuisée, même l’alpiniste n’en peut plus, il veut abandonner. Inox lui est inoxydable, il essuie ses larmes et se dit qu’il n’a pas fait tout ça pour abandonner sur l’Ama Dablam, au pied de l’Everest, pas moyen d’abandonner, on continue et on plante ce fiche drapeau. Test réussi.
Le retour au camp de base s’avère moins réjouissant, mal des montagnes, covid, une partie de l’équipe, dont notre jeune héros moderne, est mal, très mal, nausée, vomissements, toux, fièvre… ça va passer, ça va passer, faut que ça passe ! Et après quelques jours, ça finit par passer. Alors, c’est parti pour l’ascension vers l’Everest, le sommet des dieux, qui culmine à 8848 mètres. S’ils n’étaient pas très nombreux sur l’Ama Dablam, l’Everest en comparaison ressemble à une autoroute pendant les vacances scolaires et les camps de base à des stations services, avec des centaines de tentes jaunes un peu partout et une queue interminable pour monter là-haut. Le plus haut sommet du monde n’est pas épargné par le sur-tourisme et le Népal qui en vit, n’est pas encore prêt à limiter l’accès à son trésor naturel. Résultat, bon nombre d’alpinistes de pacotille qui ne savent même pas lacer leurs chaussures se présentent au pied de l’escalator et une fois arrivés en haut, abandonne tous leurs déchets sur place, trop lourd à redescendre ! L’Everest est ainsi devenu un vrai dépotoir, une allégorie du monde moderne dans ce qu’il a de plus dégueulasse, ces petits humains avec leurs combinaisons de toutes les couleurs qui salissent tout, même pas foutus de redescendre leurs morts, car contrairement aux apparences, l’ascension n’est pas si facile et si vous êtes mal préparé, vous pouvez y rester, dans tous les sens du terme car encore une fois, personne ne fera l’effort de vous ramener en bas si vous camez là-haut, trop lourd, trop dur. Et la sur-fréquentation pose aussi problème, trop de gens qui poireautent sur le même sérac, risque de faire tomber le bloc de glace entraînant dans sa chute toute la cordée. C’est d’ailleurs arrivé juste après qu’Inoxtag et son équipe soient passés au sommet. A peu de choses près, c’était eux qui dévalaient trois mille mètres en quelques secondes. L’Everest n’est pas un jeu d’enfant et devrait être déconseillé aux baltringues en combi multicolores.
Je ne dis pas ça pour Inoxtag même si je pense que l’Everest se passerait bien d’accueillir les YouTubeurs du monde entier en mal de sensations. La morale de son histoire est intéressante néanmoins, il incite les jeunes qui le suivent à sortir de leurs écrans et à aller voir le vrai monde autour d’eux. De ce point de vue, on ne peut que le féliciter de cette initiative, mais on peut voir des paysages extraordinaires juste à quelques kilomètres de chez soi, pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour cela. Le week-end dernier par exemple, je me suis fait une randonnée à vélo de 120 km jusqu’à la Roche D’Oëtre, le point culminant de l’Orne, juste au dessus de Flers, en plein cœur de la Suisse Normande, rien à voir avec l’Everest donc, cela dit en terme de dénivelé, tant positif que négatif, ce n’est pas si mal. J’ai bien kiffé, j’en ai bien bavé mais j’ai conservé mes bourrelets.
Inoxtag a intitulé son documentaire Kaizen, qui signifie amélioration en Japonais, de Kai, le changement, et Zen, meilleur, changer pour être meilleur. Voilà une belle idée, un beau défi, chercher à s’améliorer, pas à pas, petit à petit, une philosophie qui a mené un gameur de la banlieue parisienne au sommet de l’Everest. Alors chapeau à toi Inoxtag, toi qui as d’ailleurs traîné un chapeau de paille accroché à ton dos pendant toute l’ascension, un clin d’œil à One Peace, le manga le plus vendu au monde.
Par contre, le coup de la retraite spirituelle à Cuba à la fin, à ramasser du riz avec les paysans du coin qui se demandent ce que tu fous là, torse nu, couvert de piqûres de moustiques, la grosse barbe façon Che Guevara, c’est un peu too much à mon goût.
J’espère au moins que cela va inciter mon fils à sortir des écrans. Mais s’il peut éviter l’Everest, je ne suis pas contre.
Kaizen, documentaire d’Inoxtag à voir sur YouTube, 2024.
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