# EcologiX

La femme qui murmurait à l’oreille des éléphants

8 août 2022

L’été, c’est la saison des voyages. Alors voyageons ! Direction l’Asie, plus précisément la Thaïlande, un pays qui avant le Covid accueillait chaque année près de 40 millions de touristes chaque année, une manne indispensable pour ses 70 millions d’habitants. Ce chiffre est tombé à pratiquement zéro en 2020, année du Covid, 6 millions cette année et près de 20 millions prévus pour 2023 d’après les autorités thaïlandaises.

Ce tourisme de masse n’est pas sans conséquences sur la faune et la flore. On a tous en tête le film The Beach avec Léonardo Di Caprio dans le rôle principal, tourné dans le parc national de l’île de Phi Phi et sa fameuse plage de Maya Bay entourée de montagnes rocheuses. L’engouement touristique fut tel après le film que l’endroit avait fini par ressembler à Disney Land avec des heures de queue pour espérer mettre les pieds dans le sable blanc et se baigner dans cette eau bleue turquoise. Un tel raz de marée que les responsables du parc ont fini par limiter l’accès, voire à l’interdire complètement à certains moments.

Il en va de même avec la faune, en particulier avec les éléphants. En 1900, la Thaïlande recensait environ 300 000 éléphants sauvages et 100 000 captifs. En 2022, il en reste moins de 7000, dont la moitié sont asservis pour amuser les touristes : balades à dos d’éléphants, spectacles, séance de photos etc. Le problème, c’est que les éléphants sont des animaux sauvages à la base et donc peu enclins à jouer les clowns sur la scène d’un cirque. Ils sont par ailleurs dotés d’une force à la hauteur du poids de ses pachydermes de plusieurs tonnes, capables de déraciner un arbre avec leur trompe. Il faut donc les soumettre, les mettre au pas, les dresser. Pour ce faire, les Thaïlandais pratiquent le phajaan, une méthode de dressage par « écrasement » qui ressemble à s’y méprendre aux techniques de torture du KGB et qui en conduit certains à la mort. De plus, les cornacs sont dotés d’espèces de piolets suffisamment pointus pour percer le cuire épais des éléphants avec lesquels ils les battent si ceux-ci ne veulent pas obéir.

Lek Chailert, un petit bout de femme, s’élève depuis des années contre ce business au bénéfice des hommes et au détriment des animaux, parfois au péril de sa vie car on ne remet pas en cause impunément un marché aussi juteux. Elle a ouvert un refuge pour ces éléphants qu’elle recueille au fil des années selon les signalements qu’elle reçoit. Depuis le Covid, ce sont les propriétaires de cirques eux-mêmes, les ennemis d’hier, qui la contactent pour lui revendre leurs éléphants qu’ils ne peuvent plus nourrir, faute de revenus suffisants. Son éco parc vit également du tourisme mais pas uniquement. Sa cause ayant été amplement médiatisée, elle reçoit des dons du monde entier, ce qui la rend moins dépendante des dollars en tongs. D’ailleurs, elle aimerait à l’avenir pouvoir se passer complètement d’ouvrir son refuge aux touristes, si bien intentionnés soient-ils, afin de laisser les éléphants tranquilles.

Lek Chailert

Jez Lewis et Jocelyn Cammack lui ont consacré un reportage, diffusé actuellement sur Arte (1) et que bien entendu, je vous invite à regarder. Quand on voit ses images, on ne peut constater une fois encore que l’Homme n’est bon qu’à bousiller tout ce qui l’entoure, végétation et animaux indistinctement. Et c’est souvent les femmes qui essaient de recoller les morceaux. Après, qui sommes-nous pour donner des leçons de morale aux Thaïlandais. Nous les occidentaux avons asservis les chevaux depuis des millénaires pour nos besoins : travaux, transport, loisirs. Personne ne leur a demandé leur avis et il est fort probable qu’ils ne prennent aucun plaisir à nous transporter sur leur dos ou à tirer une petite charrette derrière eux devant un publics de joueurs braillards dans un hippodrome ou sur un canapé. Et quand ils ne sont plus bons à rien, direction l’abattoir pour faire de la pâté pour chiens et chats. Rien ne se perd, tout se transforme ! Non clairement, nous n’avons aucune leçon à donner aux Thaïlandais même s’il est tout à fait regrettable de les martyriser pour que des Allemands en short ou des Japonais en bob puissent faire une promenade en forêt. Nous pouvons par contre soutenir l’initiative de Lek en faisant un don ou en parrainant un éléphant, pour cela cliquez ici.

Cette histoire d’éléphant me rappelle un conte de Jorge Bucay. Le voici :

« Quand j’étais petit, j’adorais le cirque, et ce que j’aimais par-dessus tout, au cirque, c’étaient les animaux. L’éléphant en particulier me fascinait; comme je l’appris par la suite, c’était aussi l’animal préféré de tous les enfants. Pendant son numéro, l’énorme bête exhibait un poids, une taille et une force extraordinaires… Mais tout de suite après et jusqu’à la représentation suivante, l’éléphant restait toujours attaché à un petit pieu fiché en terre, par une chaîne qui retenait l’une de ses pattes prisonnière.

Or ce pieu n’était qu’un minuscule morceau de bois à peine enfoncé de quelques centimètres dans le sol. Et bien que la chaîne fût épaisse et résistante, il me semblait évident qu’un animal capable de déraciner un arbre devait facilement pouvoir se libérer et s’en aller.

Le mystère reste entier à mes yeux. Alors qu’est-ce qui le retient ? Pourquoi ne s’échappe-t-il pas ?

A cinq ou six ans, j’avais encore une confiance absolue dans la science des adultes. J’interrogeai donc un maître, un père ou un oncle sur le mystère du pachyderme. L’un d’eux m’expliqua qu’il ne s’échappait pas parce qu’il était dressé. Je posai alors la question qui tombe sous le sens : « s’il est dressé, pour l’enchaîne-t-on ? »

Je ne me rappelle pas qu’on m’ait fait une réponse cohérente. Le temps passant, j’oubliais le mystère de l’éléphant et de son pieu, ne m’en souvenant que lorsque je rencontrais d’autres personnes qui un jour, elles aussi, s’étaient posé la même question.

Il y a quelques années, j’eus la chance de tomber sur quelqu’un d’assez savant pour connaître la réponse.

L’éléphant de cirque ne s’échappe pas parce que, dès son plus jeune âge, il a été attaché à un pieu semblable.  » (X)

L’éléphant ne se fait pas la malle parce qu’il pense en être incapable. Jeune éléphanteau, il a bien essayé, mainte et mainte fois mais jamais il n’y est parvenu. Il s’y est résigné, s’est fait une raison et pense en être incapable.

Jorge Bucay tire de cette fable un petit enseignement philosophique. Ce n’est pas parce qu’on a échoué une fois, qu’on échouera toujours. Il n’y a qu’en essayant de nouveau, tout en apprenant de ses échecs précédent, qu’on le saura.

« La seule façon pour toi de savoir si tu peux y arriver, c’est d’essayer à nouveau en y mettant tout ton coeur… Tout ton coeur ! « 


Sources / Notes

(1) La femme qui murmurait à l’oreille des éléphants, documentaire de Jez Lewis et Jocelyn Cammack, 2022

Disponible en VOD sur Arte.tv :

https://www.arte.tv/fr/videos/085432-000-A/la-femme-qui-murmurait-a-l-oreille-des-elephants/

Faites un don à Elephant Nature Park

(2) L’éléphant enchaîné est extrait du roman de Jorge Bucay Laisse-moi te conter les chemins de la vie, Oh ! Edition, 2004.

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