Le bal des folles
Je vous recommande la lecture du premier roman de Victoria Mas, Le bal des folles (1), adapté à l’écran par Mélanie Laurent et disponible sur l’une des mille et une plateformes malheureusement incontournables pour qui veut suivre l’actualité cinématographique.
Quand on plonge dans cette histoire, qui a lieu au sein du service psychiatrique de Charcot à la Salpétrière à la fin du XIXème siècle, on se demande vraiment qui sont les fous ? Chaque année se donnait au sein de ce service, un bal costumé auquel participait non seulement les centaines de patientes internées ici mais également tout un aréopage de bourgeois parisiens curieux de venir voir de près les « folles » du fameux docteur Charcot. Rien que l’idée d’organiser un tel bal a quelque chose d’hallucinant non ? Des bobos comme on dirait aujourd’hui venant observer, et si possible profiter, de la faiblesse de pauvres femmes que la vie ou leur famille a abandonné entre ces murs épais. Car en fait de folles, beaucoup de ces jeunes femmes étaient surtout victimes de viols, agressions et traumatismes divers. Voire pire, quand on voulait se débarrasser d’une maîtresse, d’une fille ou d’une belle fille encombrante, on la faisait passer pour folle et on l’internait à la « Salpé » pour des mois, des années, une vie entière parfois.
Eugénie, le personnage principal du roman, est ici parce qu’elle communique avec les défunts. Il est certain que même aujourd’hui, si votre fille vous disait qu’elle cause avec son arrière arrière grand-père la nuit, vous vous poseriez sans doute des questions et iriez consulter si ce n’est un psychiatre, au moins un médecin. Ou personne car ces derniers temps il est devenu impossible d’avoir rendez-vous avec un représentant d’une profession médicale, quelle qu’elle soit, spécialiste ou généraliste. Toujours est-il que vous vous feriez du souci. De là à vouloir l’enfermer immédiatement dans un asile psychiatrique… Et quel asile ! Non seulement, on y donne des bals, mais en plus les médecins, quand ils n’abusent pas des patientes, sexuellement s’entend, les mettent en scène en provoquant des crises d’hystérie, d’épilepsie ou de démence devant un parterre d’invités triés sur le volet. On a du mal à comprendre comment la médecine a pu progresser avec une telle palanquée de Sganarelles.
J’évoque ici ce personnage du Médecin malgré lui car ma fille l’étudie actuellement à l’école. Molière n’y est pas allé de main morte avec lui : alcoolique, violent envers sa femme, menteur, avide et bien sûr médecin malgré lui. Quelle drôlerie et quelle charge aussi contre cette profession que Molière prenait plus pour des charlatans que pour des gens de science.
Sganarelle : « Non, vous dis-je : ils m’ont fait médecin malgré mes dents. Je ne m’étois jamais mêlé d’être si savant que cela ; et toutes mes études n’ont été que jusqu’en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur est venue ; mais quand j’ai vu qu’à toute force ils vouloient que je fusse médecin, je me suis résolu de l’être, aux dépens de qui il appartiendra. Cependant vous ne sauriez croire comment l’erreur s’est répandue, et de quelle façon chacun est endiablé à me croire habile homme. On me vient chercher de tous les côtés ; et si les choses vont toujours de même, je suis d’avis de m’en tenir, toute ma vie, à la médecine. Je trouve que c’est le métier le meilleur de tous ; car, soi, qu’on fasse bien ou soit qu’on fasse mal, on est toujours payé de même sorte : la méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos ; et nous taillons, comme il nous plaît, sur l’étoffe où nous travaillons. Un cordonnier, en faisant des souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir qu’il n’en paye les pots cassés ; mais ici l’on peut gâter un homme sans qu’il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous ; et c’est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu’il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde ; et jamais on n’en voit se plaindre du médecin qui l’a tué. « (2)
J’ignore si Charcot fut un médecin malgré lui comme d’autres furent des soldats malgré nous. Je me demande simplement si mettre en scène les crises de ses patientes ne leur a pas fait plus de mal que de bien.
A lire absolument !
(1) Victoria Mas, Le bal des folles, Albin Michel, 2019
(2) Molière, Le médecin malgré lui, acte III, scène I
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