Le casse parfait
Les rois de l’arnaque (1), ce n’est pas Marco Mouly et sa bande d’escrocs rigolos gigolos, experts de la TVA et de la taxe carbone, dont la plupart des protagonistes pourrissent aujourd’hui en prison ou mangent les pissenlits par la racine. Très fort ceci dit, ce qu’ils ont fait, j’avoue, très malin, très gros aussi, plusieurs centaines de millions de d’euros rien que pour ce trio, dépensés en villas de luxe, jets privés, voitures de sport, voyages aux « States », bar mitzvah avec Beyonce en guest star… bref tout ce que ferait n’importe quel titi de Belleville s’il tirait le gros lot au loto. La vérité si je mens mais en vrai, pas au cinéma.
Mais ce n’est pas eux les rois de l’arnaque non, le casse du siècle est à attribuer, et de très loin, mieux encore que la bande portant masques de Dali et cotes rouges de la Casa de Papel, le prix Nobel de l’escroquerie revient à Mc Kinsey, Boston Consulting Groupe et tous les cabinets de conseil américains qui oeuvrent au vidage des caisses publiques depuis des décennies sans que personne n’y voit quoi que ce soit à redire. Et on ne parle pas ici de quelques malheureux millions, mais de centaines de milliards (je parle à l’échelle globale et sur des années, pas uniquement en France, car il s’agit d’une arnaque de niveau international, mondial même n’ayons pas peur des mots). Et les petits malins derrière ce casse du siècle ne sont pas prêts d’aller en prison, puisqu’il s’agit d’un coup parfaitement orchestré, légal et admis par le plus grand nombre, car personne n’y comprend rien au consulting, à commencer par les principaux concernés, les Etats qui achètent leurs prestations. C’est ce que nous révèlent Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguire dans leur dernière enquête, Les infiltrés (2).
Dès l’introduction, le ton est donné. Interrogée par les auteurs sur le montant des prestations facturés par les cabinets de conseil, Amélie de Montchalin, la ministre de la Transformation et de la Fonction Publique, répond « qu’elle n’en sait fichtre rien ! » Super Amélie ! Dans le même temps, la Cour des comptes nous apprend que les prestations extérieures sont passées entre 2005 et 2020 de 9 milliards à 28 milliards d’euros. Il n’y a pas que du conseil dans ces dépenses, mais clairement une bonne partie de cette augmentation vient de cette faille dans le système que les consultants américains ont ouvert à partir des années 80 en Angleterre sous l’ère Thatcher et n’ont eu de cesse d’agrandir depuis, et on les comprend puisque la manne est juteuse.
En quoi est-ce une arnaque me direz-vous ? Eh bien, je vais vous l’expliquer, vous allez voir, c’est un jeu d’enfant. L’Etat signe en fait ce qu’on appelle des « contrats cadre » avec les cabinets de conseil, portant sur des centaines de millions d’euros sous la forme de mise à disposition de consultants que l’on calcule et facture en jours / hommes. Combien d’hommes sur combien de jours égale tant de millions d’euros. Précisons qu’un consultant junior est facturé environ 2000 euros la journée et un sénior entre 7000 euros et l’infini ou au-delà. L’Etat achète donc une grosse enveloppe de prestation globale dans laquelle les ministères et administrations vont aller piocher. Cela a l’air intéressant comme ça puisque l’Etat donne l’impression d’acheter mieux, moins cher, car en grande quantité, un prix de gros en somme. Sauf qu’il est pratiquement impossible devant l’usine à gaz que cela constitue d’aller vérifier la réalité des prestations effectuées, parce que ça part dans tous les sens, tout le temps et rapidement. Et qu’un consultant peut travailler sur site ou dans les bureaux du cabinet, les deux étant facturés cela va de soit. Bien entendu, personne n’ira vérifier si le travail est bien effectif sur le terrain. Ce qui fait foi, c’est le rapport du consultant, un rapport fait d’études diverses et variées que la firme sous-traite auprès d’instituts de sondages ou autres experts et surtout de nombreux copier-coller d’autres rapports précédents. Un cabinet conseil vend donc x fois le même contenu dans x rapports à x administrations très différentes et qui surtout ne communiquent jamais entre elles, communication le vilain mot, et les consultants le savent bien. Bref, les cabinets de conseil vendent du vent au prix de l’or, le tout dans une opacité la plus totale. CQFD, nous les contribuables nous faisons vider les poches par ces Yankees de Boston et nous n’y voyons que du feu. Et même lorsque des journalistes d’investigation tels que Aron et Michel-Aguirre nous mettent la problématique sous le nez, relayés par quelques parlementaires interloqués, le scandale dure une semaine tout au plus et on passe à un autre sujet. L’arnaque est donc parfaite, la victime consentante jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.
Enfin victime, pas tout à fait, car pour monter un casse de ce niveau, il faut des complices à l’intérieur de l’Etat, qui eux aussi en tirent un avantage certain, à commencer par son premier serviteur, le Président de la République lui-même. Au moment de se lancer dans sa première bataille présidentielle en 2017, Emmanuel Macron n’y va pas seul. Il est épaulé par Karim Tadjeddine et toute une troupe de consultants de McKinsey qui s’échinent pour ce jeune candidat prometteur, « pro bono » comme on dit dans le jargon juridique, c’est à dire gratuitement. Sauf que rien n’est jamais gratuit en ce bas monde et le jambonneau, ou plutôt le dindonneau, ce sera l’Etat français. Emmanuel Macron a besoin de McKinsey pour construire son parti, trouver des financements, organiser les troupes etc. Mc Kinsey aide donc Emmanuel Macron à se faire élire, moyennant quoi, une fois élu, ils s’attendent à un juste retour de service. Résultat, Macron fait supprimer l’ISF et Mc Kinsey signera pendant le premier quinquennat des contrats de conseil pour plusieurs milliards d’euros au total. Donnant-donnant, gagnant-gagnant, Macron-McKinsey. Mais où est l’intérêt général dans tout ça ? Et où est la validation démocratique de ces dépenses pharaoniques ? Nulle-part, c’est le pouvoir discrétionnaire de Jupiter et c’est pour cela que les pays nordiques nous considèrent comme une république bananière.
Comment cela est-ce possible ? Simplement parce que l’Etat est trahi par ceux qu’il a élevés et éduqués, qui passent sans problème du public au privé puis du privé au public et ainsi de suite au point qu’on ne fait plus la différence entre le public et le privé. Et pourtant la différence est fondamentale et très claire, le public c’est l’intérêt général en premier, le privé c’est l’intérêt particulier. Emmanuel Macron a fait Science Po, ENA puis l’Inspection des Finances (public), puis Rothschild (privé), puis Bercy et l’Elysée (public). On a une petite idée de la suite de sa carrière (privé). Idem pour Karim Tadjeddine : Polytechniques, Ponts et Chaussées, Bercy (public), puis Mc Kinsey (privé), le cabinet de conseil l’a même nommé à la tête de sa division clients publics, et ça se comprend, avec les milliards qu’il leur a permis d’encaisser, la recrue est plus que rentable et doit être récompensée à sa juste valeur. Voilà l’envers du décor, Macron et Tadjeddine sont les deux faces d’une même pièce, public-privé, privé-public, l’objectif étant clairement, mais sans jamais le dire, de vider les caisses du public pour remplir celles du privé.
Si encore, ces firmes étaient rémunérées au résultat, c’est à dire des services publics qui fonctionnent mieux, de manière plus efficace et apportent plus aux usagers pour moins cher, pourquoi pas. C’est d’ailleurs leur promesse, ils ne viennent pas en disant, eh les gars, signez avec nous, on va vous faire les poches ou comme on aime dire dans le monde du conseil, on va vous lire l’heure avec votre montre. Non bien entendu, sur le papier ils viennent armés de bonnes intentions, chèrement facturées les intentions, mais a priori c’est pour notre bien à tous. Sauf que le compte n’y est pas. Les consultants interviennent dans tous les ministères, toutes les administrations, depuis des années et que constate-t-on ? Piochons au hasard tiens, la santé par exemple. Notre système de santé publique fonctionne-t-il mieux ? Non ! Par contre, les cliniques et praticiens privés engrangent des records de rentabilité et de croissance pendant qu’on déshabille l’hôpital. Paraît-il même qu’on n’aurait pas pu gérer la crise du Covid sans les cabinets conseil. Mais à qui la faute, peut-être à ces mêmes cabinets conseils qui nous ont mal conseillés précédemment, pompier pyromane, c’est du classique. Autre exemple, les finances publiques. Sont-elles repassées dans le vert depuis qu’on utilise des consultants ? Au contraire, la dette est de plus en plus grosse d’année en année, le Covid n’a fait qu’accélérer un phénomène déjà enclenché depuis longtemps amenant les état occidentaux à la ruine. Justice et sécurité utilisent aussi les services de cabinets de conseil, les résultats sont-ils à la hauteur des sommes investies ? Non ! Transport ? On a privatisé les autoroutes qui font aujourd’hui la fortune de leurs actionnaires pendant que les usagers paient le péage de plus en plus cher. Pas mieux à la SNCF ou à la RATP où les trains arrivent de moins en moins à l’heure et on ne sait pas comment financer l’entretien des lignes dans les années à venir sans augmenter les tarifs. Et côté énergie, on dit quoi ? A l’heure où les prix flambent du fait de la guerre en Ukraine et de l’indexation de tous les tarifs au niveau européen, se souvient-on qu’on nous avait vendu un EPR à 5 milliards d’euros, que nous en sommes à 50 milliards et qu’on ne sait toujours pas si cette technologie verra un jour le jour. Vous pouvez être certain que derrière ce projet, il y a toute une armée de consultants, que ce soit chez EDF ou côté pouvoirs publics, pour valider le bien fondé du projet. Bravo les mecs, vous nous avez bien eus sur ce coup-là ! Une fois de plus dirais-je. Vous dites quoi vous à un artisan qui vous fait un devis à 5000 euros pour refaire votre chaudière et qui vous envoie une facture de 50 000 euros en vous disant que c’est pas sûr qu’elle fonctionne au final. C’est ce qui nous arrive à nous les Français avec l’EPR. Et pendant ce temps, Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva poursuit sa carrière gentiment.
Voilà, faut se rendre à l’évidence, non seulement nous les payons cher mais en plus ils nous roulent dans la farine, quel que soit le domaine dans lequel ils interviennent.
Je suis néanmoins en désaccord avec les auteurs de cette sidérante enquête qui ne voient dans cette immense gabegie aucune conspiration. J’ignore si c’est pour ne pas donner alimenter en eau le moulin des complotistes ou par simple naïveté qu’ils prennent cette posture, toujours est-il que les données du problème sont juste sous leurs yeux. Mc Kinsey, cabinet américain, BCG, américain, Bain, américain, PWC, américain, Accenture, cabinet américain installé à Dublin, sans doute parce qu’ils aiment le goût de la Guinness, Ernst & Young et Deloitte sont anglais… le seul cabinet français à oeuvrer au milieu de ce monde de requins, c’est Cap Gemini, spécialisé en technologie plutôt qu’en stratégie globale. Or, ce serait mal connaître les Anglo-saxons, Américains en tête, que de penser qu’ils agissent sans idéologie aucune. Bien au contraire, leur idéologie est claire comme de l’eau de roche, c’est le libéralisme à tous les étages, affaiblir les Etats et faire prospérer les intérêts privés, à commencer par les leurs. Il suffit de prendre les comptes de résultats de ces méga structures planétaires pour réaliser qu’ils n’ont rien de philanthropes. Les profits qu’ils dégagent sont monumentaux et en constante augmentation. Et pour assurer leur pérennité, ils vont chercher les cadres les plus prometteurs du public et les paient grassement pour dynamiter le système de l’intérieur, Macron et Tadjeddine ne sont que deux exemples parmi tant d’autres, quitte à courir le risque de l’implosion, vote pour la droite nationale, manifestations, émeutes parfois ou à l’inverse repli sur soit et parano¨ia collective sur les réseaux. Et côté responsables publics en charge de diriger nos vieux pays occidentaux, les fameux hauts fonctionnaires, au fond ils sont bien contents d’embaucher des gens pour faire le boulot à leur place, en plus cela les couvre juridiquement, pendant qu’ils se contentent d’empocher un salaire mensuel de plusieurs dizaines de milliers d’euros parfois, en plus du coût desdits conseils, cependant que le déficit et la dette se creusent toujours plus.
Voilà pourquoi il s’agit du casse du siècle, le cyphonnage en bonne et due forme des caisses de l’Etat vers des caisses privées situées le plus souvent dans des paradis fiscaux, et ce de manière tout à fait légale, pérenne et sans bruit, pas même celui d’un marteau piqueur qui fait un trou dans un coffre fort, plus que le casse du siècle, le casse parfait !
Sources / Références
(1) Les rois de l’arnaque, série documentaire produite et diffusée sur Netflix, 2022
(2) Les Infiltrés, de Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, éditions Allary, 2022
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