Le Grand Bleu
Maintenant que je suis de retour sous le ciel gris de ma Normandie depuis le retour des vacances, j’ai la nostalgie du jaune de Marseille, et surtout du bleu de la mer. Ah Marseille ! Qu’est-ce que j’aime cette ville. A cette question de Bernard Campan dans le sketch Télémagouille, quelle est la première ville arabe traversée par le Paris Dakar, Pascal Légitimus répond : Marseille ! Et il y a de ça à Marseille c’est vrai, Marseille c’est la Méditerranée, un peu de France, un peu de Maghreb, un peu d’occident, un peu d’orient, un peu de tout au final, et du soleil plus de trois cents jours par an. J’ai regardé pour comparer et le constat est douloureux, en Normandie nous devons nous contenter d’une cinquantaine de jours de soleil (plein soleil s’entend, pas du soleil avec des nuages tout autour), par contre les jours gris tout moches et les jours de pluie, ça ne manque pas, c’est pour ça que c’est vert chez nous, et aride chez eux. Mais je l’aime bien quand même, cette région normande, ce qui ne m’empêche pas de rêver de Marseille, du Vieux Port, à part quand les eaux usées remontent et que ça ne sent pas que le maquereau peu cher, je rêve de la Bonneu Mère là-haut, Notre Dame qui monte la garde, aux calanques fraîches et ses eaux cristallines, à la mer qui scintille toute la journée et fait briller le Pharo et le Mucem. Bref, j’aime Marseille voilà quoi et je suis toujours triste de lui dire adesias.
Contrairement à ce que le titre de cette chronique pourrait laisser penser, surtout pour un cinéphile comme moi, le sujet dont il est question n’a rien à voir avec le film de Luc Besson, sans doute celui que je préfère chez lui, sans doute le film que je préfère tout court, sans doute y a-t-il un clin d’œil quand il a fallu chercher un nom à cette association marseillaise qui apprend aux gamins des quartiers nord à nager. Cette asso s’appelle en effet Le Grand Bleu et toutes les semaines, elle va chercher les gamins là-haut et les emmène à la mer pour leur donner des leçons de natation. Car figurez-vous qu’à Marseille, il n’y a pas assez de piscines pour tout le monde et bon nombre de gamins de familles modestes ne savent pas nager. Vous y croyez vous, en 2024, habiter Marseille et ne pas savoir nager quand on est gamin, et donc ne pas pouvoir profiter de la mer ! On rêve là ou bien, c’est fada ? Pendant ce temps, certaines piscines municipales sont totalement privées, tel le Cercle des nageurs marseillais et juste en bas, il y a la toute petite plage des Catalans avec un million de gens dessus pour dix mètres carré. Certes, il y a d’autres plages, celle du Prophète, celle du Prado, mais bon, avouez que c’est gênant cette piscine privée au beau milieu de la ville, à deux pas du port.
Heureusement qu’il y a des associations telles que Le Grand Bleu pour se substituer au service public défaillant. Ils sont organisés, en bande organisée, et ils disposent des boudins gonflables sur le bord pour éviter que les petits n’aillent dériver au large, ils recréent ce faisant une piscine sécurisée mais avec de l’eau de mer et sur la plage. Et les enfant sont heureux comme pas deux. Et comment, quel gamin n’aime pas l’eau ? C’est pour ça que savoir nager devrait être droit, franchement je pensais que c’était déjà que le cas, que les écoles de France et de Navarre, y compris la première ville traversée par le Paris Dakar, avaient l’obligation d’apprendre aux enfants à nager. Faut croire que non. Il est vrai néanmoins que cela nécessite des structures adaptées, des investissements importants et de la vigilance aussi, donc du personnel. Chaque année des enfants se noient, à la mer, en piscine, privée la plupart du temps, chaque année sans exception. Cette année encore, un ado de quatorze ans a même été emporté par une baïne, près de chez moi, à Houlgate, en Normandie. Je pensais qu’il n’y avait que dans le bassin d’Arcachon que cela arrivait les baïnes, en fait non, il y a d’autres endroits comme ça où le courant peut vous emmener au large en deux temps trois mouvements. Dans ce cas, il ne faut surtout pas résister, la mer sera toujours plus forte que vous. Il faut se mettre sur le dos, se calmer, respirer, se laisser flotter, car l’eau de mer est salée et on flotte naturellement, et après attendre que les secours viennent vous chercher ou que la baïne vous ramène au point de départ, car le courant tourne de façon circulaire. Plus facile à faire vous me direz. Certes, c’est pourquoi ce môme est mort. J’ignore s’il savait nager, je suppose que oui, la Normandie dispose de plus de piscines que Marseille, mais cela n’a rien changé, on ne nage pas bien longtemps contre le courant.
La mer n’est pas que synonyme de drames heureusement, même si avec les vagues successives de migrants venus de l’autre côté de la Méditerranée, les dernières années ont été assez macabres et chaque week-end près de 200 migrants se secourus dans la Manche. La mer peut aussi être synonyme de grâce, par exemple lorsque Frédéric Buyle, l’un des meilleurs plongeurs en apnée au monde, danse avec un baleineau, un beau bébé de près de quinze mètre de long, que celui-ci le touche délicatement avec sa nageoire car lui ne sait pas ce que c’est un plongeur en apnée, il ne sait même ce que c’est l’apnée, lui qui est né sous l’eau et y vit en quasi-permanence, sauf pour remplir ses poumons d’oxygène de temps en temps. Une rencontre du troisième type. Plus loin à l’ouest, près de l’île de Rangiroa, en Polynésie, il croise le chemin des requins marteau, barracudas, dauphins, éléphants de mer et tortues marines. Un véritable ballet grandeur nature. Magique !
Je sais pourquoi Le Grand Bleu est mon film préféré, et pourquoi Jean-Marc Barr, un nom prédestiné quand on fait de la plongée, retient son souffle même quand il dort, pourquoi il veut aller de l’autre côté du miroir, du côté de l’eau et pourquoi il finira par le faire. Parce que le monde du silence comme on dit à tort, demandez aux baleines ce qu’elles en pensent et chantent, vous hypnotise par sa beauté, par ce bleu intense, par le mystère qu’il dégage. Il paraît qu’on connaît davantage l’espace que le fond des océans, à méditer.
Sources / Références
Danse avec les poissons, documentaire de Christian Petron et Boris Raim, 2012. Disponible sur Arte.tv
Association Le Grand Bleu Marseille : legrandbleumarseille.com
Le Grand Bleu, Luc Besson, 1988
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