# SociétiX

Le pull over gris

31 août 2024

J’ai toujours entendu ma mère dire qu’elle avait une dent contre Giscard, car il n’avait pas voulu gracier Christian Ranucci, alors que le doute planait sur cette affaire criminelle majeure des années 70, des années 70 où la peine de mort était au centre des discussions, avec d’un côté les partisans de l’abolition emmenés par le fameux Robert Badinter, qui s’est éteint il y a peu, et de l’autre la société française, largement pour la peine de mort, notamment pour les meurtres d’enfants.

Le doute planait, disais-je, depuis que Jacques Perrault avait écrit le roman policier Le pull-over rouge, inspiré de l’affaire Ranucci et vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. L’intrigue était basée sur un pull, rouge donc, mais en vérité plus gris poussière que rouge car il avait été retrouvé dans une champignonnière non loin de l’endroit où on avait découvert le corps de Maria-Dolorès Rambla, 8 ans, et écarté de l’enquête par la police. Mais rouge, ça évoque le sang, donc plus vendeur. Mais ce pull over a été laissé de côté par la police, et pour cause, apprend-on dans l’émission de Marie Drucker diffusée aujourd’hui sur France 2 entre deux épreuves paralympiques (1), puisque Christian Ranucci avait été identifié par M. et Mme Aubert qui l’avaient poursuivi suite à un choc avec un autre véhicule. Ils l’avaient vu, lui avaient parlé et l’avaient même vu s’enfuir juste après dans la pinède avec Maria-Dolorès. Pris de panique, devenu complètement fou, il sortit un couteau de sa poche et infligea à la gamine une dizaine de coups dans le cou. Le corps sera autopsié, l’enfant ne portait pas de trace de violences sexuelles. Ranucci avouera puis changea d’avis et clamera son innocence, arguant avoir été frappé et torturé par la police pour avouer. Un argument rocambolesque puisque les témoins étaient formels et c’est même lui qui a indiqué l’emplacement du couteau, retrouvé quelques jours après dans un tas de fumier. Son avocat au procès, maître Lombard, un ténor comme on dit, en resta bouche bée. Lorsque le juge lui donna la parole à la fin du procès, celui-ci ne put prononcer un seul mot, pratiquement du jamais vu dans les prétoires, surtout pour un avocat de ce calibre. En face, l’avocat de la famille Rambla, Gilbert Collard, alors âgé de 28 ans et pas encore affilié au Rassemblement National, se souvient de ce moment comme si c’était hier. La suite de l’histoire, on la connaît. Ranucci fut condamné à mort, il demanda la grâce présidentielle à Valérie Giscard d’Estaing qui la lui refusa. Christian Ranucci fut l’un des derniers condamnés à mort en France.

On la connaît cette histoire et pourtant on ne la connaît pas, du moins pas entièrement, car elle ne se termine pas là. Le petit frère de Maria Dolorès, alors âgé de 6 ans était au centre de cette tragédie car il était avec sa grande sœur quand Ranucci proposa à celle-ci de monter dans sa voiture. Interrogé par la police quelques jours plus tard, accablé par le drame, le gamin se réfugia dans le silence. Quand on lui demanda de désigner la personne à qui il avait parlé parmi cinq hommes, il n’en reconnut aucun. Idem pour la voiture, impossible de faire dire au môme que la 304 bleu de Ranucci était la voiture qu’il avait vue, lui qui adorait les voitures, comme tout gamin dans ces années-là, je peux en témoigner puisque j’en suis un. Cependant, ce n’est pas parce qu’il ne disait rien qu’il ne l’avait pas reconnue, cette foutue bagnole. Il ne l’aurait pas non plus confondue avec un Simca, comme l’affirmait Perrault dans son roman. Non, aucun doute possible dans la tête de Jean-Baptiste mais il ne dirait rien, il garderait tout pour lui, enfoui jusqu’à ce que tout ça finisse par pourrir et ressorte de la pire des manières. En 2004, il assassine son ancienne responsable hiérarchique à qui il attribue son licenciement. Il est condamné à 18 ans de prison puis relâché en liberté conditionnelle dix ans plus tard pour bonne conduite. Quelques mois après, il commet un second meurtre sur une autre jeune femme qui aurait répandu des rumeurs sur son compte.

Le 3 juin 1974, la famille Rambla, une famille immigrée espagnole modeste de Marseille, n’a pas été victime d’un meurtre sordide. Elle a été frappée par une malédiction. Imaginez une seconde ce père Rambla à qui on a demandé de venir reconnaître le corps de sa gamine lardé de coups de couteau, il a fallu le porter pour le ramener à son domicile, qu’on a ensuite molesté à cause d’un bouquin de merde clamant l’innocence de Ranucci et qu’on a finalement traîné au procès de son fils pour l’assassinat d’une jeune femme. Heureusement pour lui, il était mort au moment du second procès. Si vous connaissez un destin de père plus tragique, dites-le moi ça m’intéresse.

Je suis un peu tourneboulé par ce documentaire car j’ai grandi avec l’idée que l’affaire Ranucci était une erreur judiciaire, je l’avais même écrit dans mon tout premier billet de la saison 1 de Citizen X. Et là j’apprends que non seulement il n’était pas innocent, que le doute ne planait même pas, et que son acte a engendré encore plus de drames, comme si celui qu’il avait commis n’était pas suffisant en soi. J’ai tellement de peine pour la famille Rambla que je ne vois plus rien à écrire sur ce sujet.

Enfin si ! Une chose ! Je me rends compte la puissance d’une information, qu’elle soit vraie ou fausse. Perrault écrit à la base un roman, c’est à dire une fiction, un truc imaginé, inventé, un truc faux quoi et finalement le doute s’empare de toute une partie de la société française qui se retourne contre les Rambla pour leur acharnement à faire payer un innocent. Innocent mon cul, le fils à maman élevé dans la haine du père qui fui le foyer ! Voilà pourquoi, il faut toujours garder une certaine distance par rapport à qu’on lit, dit, écrit, et ne jamais jeter la première pierre car vous ne pourrez pas la reprendre si vous vous apercevez que vous vous êtes trompé.

Je dédie ce billet à la mémoire de Maria-Dolorès Rambla, de son père, Pierre Rambla, de Corinne Beidl et de Céline Dutilleux, assassinées par Jean-Baptiste Rambla.

Même Shakespeare n’aurait pas pu imaginer cette histoire.


Sources / Références

Au bout de l’enquête, la fin du crime parfait ? Saison 3
Épisode 6: Affaire Ranucci, la petite fille, le condamné à mort et le pull-over rouge
, 31 août 2024

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