Les Bleus et l’Elysée
Pour poursuivre ma série sur le football et la politique, intéressons-nous à la relation entre l’équipe de France de football et le pouvoir en place, que celui-ci soit à l’Elysée ou à Matignon.
1958. Cela commence dès les années 50 dans le contexte de la Guerre d’Algérie (1954-1962) avec la mise à l’écart des joueurs d’origine algérienne de l’équipe de France pour la coupe du monde 58 au Brésil. Notamment le cas de Rachid Mekhloufi, l’attaquant vedette de l’AS Saint-Etienne, qui rejoindra le rang des fellagas afin de combattre pour l’indépendance de son pays d’origine. Le FLN, Front de Libération Nationale, ira même jusqu’à créer sa propre équipe de football. Mekhloufi reviendra à l’ASSE quelques années après et offrira même aux Verts une victoire en coupe de France en marquant deux buts.
1982, demi-finale de la coupe du monde à Séville, la France contre l’Allemagne de l’Ouest, une rivalité sportive qui va bien évidemment au delà du football vu le passif des deux pays. Un match absolument fou, non seulement parce que les Français, dont le palmarès est alors vierge de tout succès international, étaient proches de battre des Allemands double vainqueurs de la coupe du monde et double vainqueurs également de la coupe d’Europe, car à la mi-temps la France mène 3-1. Finalement l’Allemagne de l’Ouest rattrape son retard et gagne le match aux tirs aux buts. Mais l’évènement principal n’est pas la défaite des Bleus, l’évènement c’est l’attentat du gardien allemand Harald Schumacher sur l’attaquant français Patrick Battiston. Le choc est d’une telle violence que Battiston sera plongé plusieurs minutes dans le coma et sera arrêté ensuite pendant trois mois. Ce jour-là, on a frôlé un homicide involontaire et un incident diplomatique majeur. Le chancelier allemand, Helmut Schmidt, dut même présenter des excuses publiques pour calmer les esprits. L’assassinat de l’archiduc François Ferdinand a bien déclenché la première guerre mondiale, il aurait été cocasse que la troisième soit due à la mort d’un joueur de foot. Si on regarde les images au ralenti, on voit que Schumacher ne freine pas sa course il est vrai, mais il se tourne pour éviter de lui rentrer dedans avec les genoux ou les pieds, Battiston prendra donc son bassin en pleine poire. Et puis au ralenti, on a le temps d’analyser, à vitesse réelle ce n’est pas la même chose, tout se fait à l’instinct, en une fraction de seconde. Les deux joueurs se sont retrouvés quelques semaines plus tard devant les caméras et Battiston a pardonné à Shumi, l’ours mal léché qui avait déclaré dans la presse que les chocs faisaient partie du football et que s’il le fallait, il pourrait l’aider à se payer un dentier. Pas fort en communication, mais assez drôle tout de même, pour un Allemand.
1984, cette fois c’est la bonne, la bande de Platini, Giresse, Rocheteau, Tigana est sur le toit de l’Europe en remportant un premier titre majeur. Platini, ce fils d’immigrés italiens, l’idole de tout un peuple de gaulois, le fait n’échappe pas à Mitterrand, qui n’entend rien au foot ni au sport, mais en animal politique expérimenté, sait qu’il y a matière à raconter des histoires qui plaisent dans les chaumières, d’un pays dont le mécontentement commence à gronder. C’est d’ailleurs la droite qui remporte les élections législatives deux ans plus tard et Chirac qui entre à Matignon. Mitterrand recevra Platini à l’Elysée, lui remettra la légion d’honneur et s’en servira de porte drapeau d’une France qu’il faut rassembler.
1998, c’est l’apothéose, le plus grand rassemblement populaire depuis la révolution française, au delà même sans doute de 1789 car la victoire à la coupe du monde 98 a fait descendre les gens partout, à Paris comme en province, à la ville et dans les campagnes. On peut donc dire que jamais ce pays n’avait connu pareille communion, grâce à une équipe que l’on qualifiera de Black, Blanc, Beurre tant elle est métissée et colorée, avec un Zidane, un Thuran, un Deschamps etc. Jacques Chirac saura se servir de l’évènement, lui qui ne connaissait même pas le nom des joueurs avant le tournoi, au point qu’on est en droit de penser qu’il n’aurait pas été réélu en 2002 si la France n’avait pas gagné la coupe du monde.
2001, par contre, c’est la douche écossaise. Fini 98, fini le Black Blanc Beurre, une partie des « beurres » qui assiste au match France-Algérie siffle la Marseillaise et les supporters finissent par envahir la pelouse, trop contents de passer à la télé et de foutre le bordel en direct. Rien de méchant en vérité mais le symbole est fort, Jospin et Buffet qui assistent au match sont gênés aux entournures, Chirac a eu la bonne idée de ne pas venir, Buffet prend le micro pour appeler au calme et au respect mais c’est trop tard, le mal est fait, Thuram chope un jeune et lui gueule dessus. Le modèle français d’intégration réussie par le sport n’existe pas, 98 n’a été qu’un mirage ou peut-être une parenthèse enchantée. Mais que c’était bon ! En tout cas, au lendemain de ce match contre les Algériens, la France a la gueule de bois.
2010, coupe du monde en Afrique du Sud, Anelka dit à Domenech d’aller se faire enculer, sa mère la pute. Les Bleus font alors grève pour défendre leur collègue, ouech quoi ! Il a rien dit de méchant Nico, il a juste dit à coach d’aller se faire sodomiser quoi ! Et que sa mère était escorte rue Saint-Denis. Ça va quoi, on peut pu rien dire ou quoi, quoi ! Sarkozy, qui est un vrai fan de foot, premier fan du PSG en tout cas, est ulcéré et demande à Bachelot d’aller leur souffler dans le cornet. Bachelot s’exécute avec la bonhommie qu’on lui connaît. Les Bleus mettent fin à leur grève mais ne sortent même pas de la phase de poules, rentrez chez vous, circulez, la fête est finie et l’image de l’équipe de France est ternie.
2015, 13 novembre, la France affronte l’Allemagne en match amical au Stade de France. Peu avant la mi-temps, deux déflagrations se font entendre. Trop fort pour être un pétard, les joueurs et le public s’interrogent mais le match n’est pas interrompu, on verra au coup de sifflet final. Hollande est prévenu que Paris est sous les bombes, à l’extérieur du stade mais aussi à plusieurs endroits dans la capitale, dont une attaque au Bataclan, qui fera 130 morts et des centaines de blessés. Le match a été joué jusqu’à la fin pour éviter toute panique et mouvement de foule qui aurait pu alourdir le bilan d’une soirée déjà sinistre.
2017, Karim Benzema est impliqué dans une affaire de chantage à la sextape à l’encontre de son coéquipier Mathieu Valbuena, une mesquine tentative d’extorsion de fonds par des anciens copains de Lyon. Manuel Valls montera au créneau pour dire que même présumé innocent, Benzema n’a plus sa place en équipe de France. Commencera alors pour le joueur une traversée du désert complètement injustifiée à mon avis, en tout cas sur le plan sportif, il prouvera d’ailleurs plus tard qu’il est un des meilleurs attaquants que la France ait jamais eu. Mais le joueur est maudit, black listé pendant des années, privé de coupe du monde 2018, il est blessé pour celle de 2022 alors qu’il vient de recevoir le Ballon d’or. Benzema et l’EDF, que d’occasions manquées !
2018, deuxième victoire en coupe du monde pour les Bleus, 20 ans après celle de 98 : ramenez la coupe à la maison, allez les Bleus, allez ! Macron vient d’être élu, son mandat démarre dans la liesse générale, pas le temps pour le bus des Bleus de s’arrêter saluer les gueux, faut que l’équipe soit autour du Président pour l’ouverture du journal à 20h. Lui aussi, en bon chiraquien, saura se servir de cette victoire pour son image personnelle mais on le croît animé d’un vrai engouement pour le foot, contrairement à chichi qui n’y connaissait rien, on a tous en tête cette image de la finale où le jeune président français s’arrache de son fauteuil en hurlant suite à un but des Bleus. Jamais un président n’avait à ce point montré sa joie, c’était presque beau à voir, sincère en tout cas, spontané, non calculé pour une fois le concernant, le prodige de l’Elysée. Cet événement majeur du début de son premier mandat lui permis peut-être d’engranger suffisamment de bonnes ondes pour aller jusqu’au bout car la suite allait être moins festive : gilets jaunes, réforme des retraites, covid, guerre en Ukraine…
2019, la France organise sa première coupe du monde de football féminin, ce qui renforce encore davantage l’image d’Emmanuel Macron dans son engagement pour l’égalité de droits femmes-hommes, un engagement de façade puisqu’on sait parfaitement qu’il n’y a parmi ses conseillers stratégiques que des hommes. Toujours est-il que la France organise ce bel évènement qui permet au public de découvrir le football féminin, qui à bien y regarder, est tout aussi intéressant que le football masculin, ou tout aussi inintéressant, tout dépend de votre point de vue initial. Les Etats-Unis remportent une deuxième coupe de suite et Megan Rapinoe, lesbienne militante aux cheveux colorés, peut brandir le trophée tout sourire puisque non seulement son équipe a gagné mais elle est en plus élue meilleure joueuse du tournoi et Ballon d’or de l’année. Au bowling, on appelle ça un strike.
2022, coupe du monde la plus controversée de l’histoire au Qatar, l’astuce pour les responsables politiques, consiste à soutenir sans trop soutenir, surtout pour nous les Français car on sait que l’émirat investit beaucoup en France, et pas seulement au PSG. On ne voudrait donc pas tué la poule aux oeufs d’or, surtout pour un pays dont l’emblème est un coq. Cocorico !!!
Source / Référence
Les Bleus et l’Elysée, reportage de Denis Queffelec diffusé le 20 novembre 2022 sur France 5.
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