L’homme diminué

Il y eu bien des hommes depuis les premiers hommes, je devrais d’ailleurs dire hominidés, humains ou individus pour rester neutre et faire plaisir aux féministes mais l’histoire a été écrite par des hommes et ça se voit. On connaît bien l’Australopithèque, l’Homo habilis, le premier à utiliser des outils, l’Homo erectus, le premier à se mettre vraiment debout, l’Homme de Néandertal, aussi connu sous le nom d’homme des cavernes et enfin l’Homo sapiens que nous connaissons depuis environ 35 000 ans avant Jésus-Christ, soit une petite paie tout de même.

Depuis, nous avons fait quelques progrès, que ce soit sur le plan culturel ou technique au point que faire la liste des grandes idées, pensées, découvertes et inventions de l’être humain me prendrait sans doute des heures. Evoquons simplement une des dernières, à savoir le téléphone mobile puisqu’on lui doit un nouveau type d’être humain : l’Homo mobilus, le premier à vivre avec la main collée à son oreille ou les yeux rivés sur un petit écran d’une dizaine de centimètres sur cinq.

On nous a même promis l’homme « augmenté », une espèce dont on pourrait manipuler l’ADN selon son bon vouloir et gommer ainsi tous ses défauts, un homme à la carte en somme. Avec en toile de fond, le rêve – la folie – de l’homme parfait et éternel. Voilà, nous avons démarré ce long chemin en petit singe et nous allions devenir un grand être immortel. Un fantasme ? Allez donc faire un tour dans certains labos de recherche aux Etats-Unis et on en reparle. Savez-vous par exemple que là-bas, certaines personnes se font cryogéniser à leur mort, ou avant va savoir, en attendant le jour où on pourra les réveiller et les faire revivre pour une autre petite centaine d’années voire plus si affinité – à cet instant, forcément, je pense à Louis de Funès dans Hibernatus (1).

A la place de l’homme augmenté, la pandémie nous permet de réaliser ce que nous sommes réellement : un homme diminué. Des siècles de littérature et de philosophie pour arriver à ça ? Des hommes et des femmes, partout sur la planète, qui se terrent de peur chez eux, un masque sur la bouche, parfois deux. Certains le portent seuls dans leur voiture ou au milieu de la plage. Terminées les embrassades, les rapports humains, tout ce qui fait de nous des humains justement, ce supplément d’âme, les apéros, les « Yapo » comme on dit dans la série Au service de la France (2). Avec cette crise, l’être humain se recroqueville sur lui-même, l’anti Homo erectus, l’Homo recroquevillus.

Avec Camus, on avait eu l’homme absurde (3), dont l’existence n’a aucun sens. Où vais-je ? Nulle part ! D’où viens-je ? De nulle part ! Quel est le sens de ma vie ? Aucun ! Ta vie n’a aucun sens mec, la mienne non plus d’ailleurs. Puis après l’homme absurde, l’homme révolté (4), qui sait que sa vie n’a aucun sens mais qui la prend quand même en main pour la transformer et la dépasser, se dépasser. Il faut vivre ici et maintenant, voilà la réponse, nous disait Camus.

En ces temps de covid où on a peur de notre ombre et de celle de notre voisin, on a bien besoin de relire Camus, pas pour redécouvrir l’absurdité de l’existence, ça je crois qu’on a bien compris, mais pour la nécessité de se révolter, et reprendre sa vie en main. Hic et nunc !

Reviens Albert !

Références

(1) Hibernatus, comédie d’Edouard Molinaro de 1969 avec entre autre Louis de Funès et Claude Gensac, qu’on retrouve aussi dans Le gendarme de Saint-Tropez.

(2) Au Service de la France, série en deux saisons diffusée sur Arte à partir de 2015. Egalement disponible sur Netflix. A voir sans faute pour tous ceux qui ont aimé OSS 117.

(3) Le mythe de Sisyphe, Albert Camus, Gallimard, 1942.

(4) L’homme révolté, Albert Camus, Gallimard, 1951.