Liberté
Liberté, c’est le dernier mot du slogan scandé par les jeunes femmes iraniennes à Téhéran ces dernières semaines et le premier de notre triptyque national. Mais ça veut dire quoi la liberté ? Est-on vraiment libre ? Cette question fondamentale obsède et divise les philosophes depuis des millénaires, de la sagesse antique à Spinoza ou Sartre en passant par Kant et Kierkegaarde.
D’un point de vue pratico-pratique, inutile de se gratter la tête bien longtemps, en plus cela pourrait nous faire devenir chauve, pour se rendre compte que la liberté, ou plutôt le libre arbitre, c’est à dire notre capacité à penser et agir de façon totalement autonome, est illusoire tant nous sommes influencés par tout ce qui nous entoure depuis toujours. A l’instant même de notre création, lorsqu’un spermatozoïde rencontre un ovule, l’humain en devenir qui en résulte reçoit tout un patrimoine génétique qu’il n’a absolument pas choisi et avec lequel il devra composer pour faire sa vie et ses choix. Si vous êtes la fille de deux basketteurs professionnels comme Anaïa Hoard à qui je vais bientôt consacrer un billet, enfin je veux dire la fille d’un basketteur et d’une basketteuse, vous m’aurez compris, vous aurez plus de chance d’aller jouer en WNBA (le championnat américain féminin de basket-ball) que si vous êtes le fruit de l’union passionnée de Passe-Partout et Mimie Maty. Votre libre arbitre est de facto limité par ce que vous êtes à la naissance. Mais bien évidemment, les limites à notre autonomie intrinsèque ne s’arrêtent pas là. Nous sommes influencés par nos parents, par nos enseignants, par les évènements que l’on vit et même ceux que l’on ne vit pas (mon fils est obsédé par Poutine et la guerre en Ukraine), par notre environnement de manière générale, nos amis, l’univers culturel et éventuellement religieux dans lequel nous baignons. Face à cela, nous pouvons suivre une route toute tracée ou bien prendre des chemins de traverse, mais dans tous les cas, c’est l’environnement qui est déterminant, qu’on se construise avec ou contre, d’où découle la notion de déterminisme. Sans oublier ceux qui pensent que c’est Dieu qui décide de tout ou la physique quantique, qui d’un certain point de vue, pourrait revenir au même. Mais revenons à des considérations plus terre à terre.
Un seul exemple suffit pour se convaincre de notre caractère infiniment influençable avec ce qui se passe en ce moment dans les stations services où les gens font la queue pendant des heures pour obtenir un carburant qui n’est pas en pénurie. Mais Pierre fait comme Paul qui fait comme Jacques, il s’empresse d’aller à la pompe faire le plein et l’essence qui était chère mais pas si rare, devient désormais chère ET rare. Il en va de même pour tous les effets de mode. Quand vous vous habillez le matin, utilisez-vous votre libre arbitre où suivez-vous un certain style de manière consciente ou inconsciente ? Lorsque Emmanuel Macron met un col roulé, est-ce parce qu’il pense qu’il va avoir froid s’il met son habituelle chemise et sa cravate où est-ce parce que Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, en a mis un lui aussi ? Ou peut-être est-ce pour se foutre de la gueule du monde, va savoir ! Bref, la Liberté, ça n’existe pas, nous sommes toutes et tous sous influence du premier au dernier jour de notre existence.
Contrairement à Spinoza ou Rousseau qui voyaient la liberté une et indivisible, plutôt que de parler de Liberté avec un grand L au début, je préfère moi parler de libertés avec un petit s à la fin. Car ce que veulent surtout ces jeunes Iraniennes, ce sont des libertés individuelles et collectives. La liberté de s’habiller autrement qu’en hijab, la liberté de penser, de croire, de s’exprimer, la liberté de se réunir et de s’associer, la liberté d’aimer sans se faire tabasser par sa mère et son oncle. Dans ce cas, les libertés se transforment en droits, garantis par la constitution, elle-même souvent inspirée de textes plus généraux tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen, en tout cas s’agissant de notre vieil hexagone. Seulement, comme les sans-culottes l’ont parfaitement démontré, ces droits, ces libertés ne se donnent pas, elles se conquièrent de haute lutte, dans la souffrance et le combat. Alors je suis de tout coeur avec ces Iraniennes qui montent sur les barricades, qu’elles aient une culotte ou pas.
Sources / Références :
Sommes-nous libres de mener notre vie ? Question de philo, juin 2022.
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