# PolitiX

Libres et égaux en voix

6 mars 2021

Je viens de terminer le dernier livre de Julia Cagé, prof d’éco à Sciences Po Paris, qui s’intitule Libres et égaux en voix. Fidèle à mon habitude, j’ai souhaité écrire à l’auteur, qui en appelle justement à plus de démocratie, plus de débats, plus de voix pour les citoyens ordinaires. Voici ce que je lui écris en substance.

Bonjour Julia,

Je me permets de vous appeler Julia, j’aurais pu dire bonjour Mme Cagé mais c’est un peu ampoulé ou bonjour tout court, mais ce n’est pas très personnel, à moins que vous ne vous appeliez aussi « Tout court », et pourquoi pas, il y a bien Odette Toulemonde, l’héroïne d’Eric-Emmanuel Schmidt.

Et puis je me suis dit, si on a un prénom, c’est pour s’en servir. Moi, c’est Gildas, enchanté, je suis l’un des initiateurs du site Citizn.org, qui a pour but de recueillir et promouvoir les idées citoyennes. Simple.

J’ai donc lu avec intérêt votre dernier livre Libres et égaux en voix. Les idées que vous y développez, référendum délibératif, BED, BVA, BIM, sont intéressantes mais j’ai quelques remarques, critiques et aussi un encouragement à vous adresser.

Pardon, je relis mes notes…

A propos des BED (Bons pour l’égalité démocratique)

Pourquoi vouloir à tout prix revitaliser le système des partis politiques alors que celui-ci ne fonctionne plus. Il y a chez vous une sorte de paradoxe, celui de vouloir révolutionner la manière de faire de la politique et en même temps, pour reprendre une expression chère à Emmanuel Macron, le faire avec les mêmes vieilles structures, celles des partis. Vous voulez faire du neuf avec du vieux. C’est possible mais ça ne marchera pas, le lien entre les partis et le peuple est cassé et ne se réparera pas. Les partis ne pèsent plus rien. Les principaux partis revendiquent peut-être quelques centaines de milliers d’inscrits mais combien de membres actifs et investis ? Quelques poignées tout au plus. Les partis, c’est comme les syndicats, ils sont là mais on n’y croit plus. Le premier parti de France, c’est celui du vote blanc et de l’abstention. D’ailleurs, vous n’évoquez pas les syndicats dans votre ouvrage, pourquoi ? Ils sont également un rouage du système politique et représentatif, mais un rouage de plus qui ne fonctionne pas non plus. Pourquoi ne pas inciter financièrement les gens à voter pour leurs représentant politiques et syndicaux ?

Vous me direz, alors quoi d’autre que les partis ? Je n’ai pas la réponse à l’instant j’avoue. Je constate juste que, de plus en plus, les candidats qui se présentent sans étiquette, ont plus de chances d’être élus qu’avec. La forme politique du type « parti » est à réinventer complètement, il faut même oublier ce vocable je pense, qui appartient au passé, un passé dans lequel les gens ne se reconnaissent plus. On peut parler de mouvement, qu’importe, il faut surtout pouvoir recréer du dialogue au plus près les citoyens. Nous avions chez Citizn l’idée de promouvoir les cafés citoyens mais le covid est passé par là. A suivre.

A propos de la mixité

Vous souhaitez une assemblée mixte que ce soit du point de vue du genre ou de la classe sociale, que vous dîtes au passage dépassée. Mais vous adoptez vous même une grille de lecture dépassée (ouvriers, employés, cadres, précaires, chômeurs…), une grille qui ne correspond en rien à la vie réelle, pardon de vous le dire. A vous lire, on a l’impression que vous bossez à l’INSEE, pas à Sciences Po. Les ouvriers ? Ils sont combien aujourd’hui en France ? Sans doute moins que les auto-entrepreneurs ou les uberistes ! Les employés ? Mais ça veut dire quoi employé ? Cela veut dire salarié ? Ou tout type de salarié non cadre ? Auquel cas c’est tellement vaste qu’on ne sait pas bien à qui ça correspond. Et vous connaissez beaucoup de gens qui se disent « employés » vous ? Pas moi ! Cadres ? Mais la plupart des cadres aujourd’hui n’encadrent pas ! C’est juste un terme juridique auquel sont attachés un certain nombre d’avantages sociaux. Les traders sont presque tous « cadres », or ils n’encadrent que des chiffres qui clignotent sur leurs multiples écrans. Les chômeurs, les précaires, pourquoi pas, mais quid des artisans, des paysans, des entrepreneurs, des professions libérales, des fonctionnaires… ils ne comptent pas dans votre vision de la mixité ? Vous dites, il faut bien commencer quelque part. Sans doute ! Mais ce que vous imaginez là est tout simplement une usine à gaz, basée sur des CSP qui remontent à une autre époque. Obliger les partis à présenter autant d’hommes que de femmes et répartir équitablement les candidats en fonction de leur CSP, comment voulez-vous qu’ils s’y prennent ? Concrètement. Alors pour telle circonscription ce sera un homme ouvrier et celle d’à côté une femme employée etc. etc. Sérieusement, vous imaginez un instant le bazar ? C’est déjà compliqué de trouver des candidats tout court, alors si en plus il faut qu’ils correspondent à une liste de critères longue comme le bras et qu’en plus tout doit s’équilibrer au niveau national. Sans parler de l’origine « ethnique », du handicap, de l’âge que vous évoquez mais que vous mettez de côté car vous vous rendez bien compte que l’idée que vous avancez est complexe, pour ne pas dire irréalisable.

Contrairement à vous, je suis pour le tirage au sort. Il n’est pas idéal mais il est simple à comprendre et à mettre en oeuvre, le contraire d’une usine à gaz. Il n’est pas parfait non mais au moins il permettrait de changer la donne rapidement. Vous dites, le tirage au sort ne permet pas d’impliquer la population. Il me semble que vous confondez représentation et implication. Il n’y aura jamais des millions de représentants. Il faudra donc en choisir quelques centaines tout au plus, la question est de savoir comment on les choisit. Soit on continue comme on le fait, c’est à dire via les partis traditionnels, et on s’en va un jour ou l’autre vers la violence populaire, en effet, soit on change radicalement. Le tirage au sort, c’est radicalement différent. Quant à l’implication du plus grand nombre, je parie qu’avec des représentants tirés au sort, beaucoup de gens vont s’intéresser de nouveau à la politique, ne serait-ce que parce ça change. Et les gens veulent du changement, aiment le changement et attendent le changement. Changeons et le reste suivra. Mais une assemblée mixte à votre façon est tout juste impossible à mettre en oeuvre.

Vous évoquez souvent « l’Assemblée », mais de quelle assemblée parlez-vous ? De l’Assemblée Nationale ou du Sénat, ou des deux ? Personnellement, il y a une chose qui me choque dans le système démocratique français, c’est le Sénat ! Vous dénoncez le manque de représentativité de l’Assemblée, mais quant est-il du Sénat ? Majoritairement masculin, blanc, CSP+ et âgé, voire très âgé ! Et pour couronner le tout, il n’est pas élu par le peuple mais par les élus eux-mêmes. L’entre-soi parfait. là, on est vraiment loin de l’idéal démocratique que vous appelez de vos voeux. S’il y a un organe que je réformerais en premier, c’est bien le Sénat, et je le remplacerais par une Assemblée de citoyens volontaires et tirés au sort.

A propos du volontariat en politique

Un point que vous n’abordez pas dans votre livre, c’est la question de la capacité à s’investir en politique. Combien de personnes peuvent aller voir leur employeur et lui dire, bon bah je me présente aux élections municipales, législatives ou autre ? Combien ? Très peu, très peu de gens ont la capacité réelle de pouvoir s’investir en politique et ce n’est pas uniquement une question de temps. C’est aussi une question d’argent. Qui va me payer si je quitte mon taf pour me présenter ? Qu’est-ce qu’il se passe si j’échoue ? Vais-je retrouver mon emploi ? D’argent et de confiance en soi. Que va penser mon employeur ? Que vont penser les gens autour de moi, mes collègues, mes voisins, ma famille ? Si vous ne réglez pas cette question, vous ne règlerez pas la question de la représentativité en politique car ce sont toujours les mêmes qui peuvent se rendre disponibles : les professions libérales (médecins, avocats, etc.), les fonctionnaires, les retraités… bref tous ceux qui ne dépendent pas d’un « employeur » pour subvenir à leurs besoins. Il faut un cadre juridique très fort et efficace qui protège la prise de risque que constitue le fait de s’investir en politique.

A propos des BVA (Bons pour la vie associative)

Là encore, on voit poindre l’usine à gaz, désolé ! Au moment de sa déclaration de revenu, encore faut-il pour cela avoir des revenus, il faudra aller piocher dans une base de données d’associations gigantesque, une base de données à jour, rapide et ergonomique. Et là, on a en tête l’exemple de Parcoursup et on est inquiet. Par ailleurs, on imagine aisément les recours potentiels, les associations qui n’ont pas obtenu les dotations espérées qui demandent à ce qu’on leur prouve qu’il n’y a pas eu d’erreur. Or ce sera impossible à prouver, le système devra reposer sur la confiance. Mais comme vous le dites très justement, plus personne n’a confiance. Dernier point, ce type de procédé favoriserait immanquablement les grosses asso, nationales ou internationales, qui sont déjà connues et investissent massivement dans la communication. On retombe dans les travers de l’argent roi que vous dénoncez.

A propos des BIM (Bons pour l’indépendance des médias)

Votre idée de bons pour l’indépendance des médias est intéressante car il est clair qu’un journal détenu par des intérêts privés, voire très privés, a peu de chances d’être objectif. Mais les médias « publics » déjà existants, Radio France, France Télé etc., sont-ils pour autant plus indépendants ? Sont-ils indépendants du pouvoir politique par exemple ? Y entend-on des voix dissonantes ? En ces temps de Covid, y a-t-on vu une seule émission visant à débattre du bien fondé des mesures prises ? J’ai dû passer au travers. En résumé, être public pour un média n’est en aucun cas une garantie d’indépendance mais vous différenciez ici l’Etat du public au sens large et sur ce point je vous rejoins. Un média soutenu par des centaines de milliers de lecteurs et de donateurs sera sans doute plus indépendant qu’un média d’Etat.

Vous évoquez la publicité « native », on se demande d’ailleurs ce qu’elle peut bien avoir de native cette pub car il s’agit davantage d’une escroquerie, une publicité déguisée en article. J’ai moi-même cliqué volontairement sur une de ces publicités publiées sur le site du journal Le Monde, pour ne pas le citer, une publicité pour un complément alimentaire, un domaine que je connais un peu de par ma profession. Je clique et je suis redirigé vers le site d’un prétendu expert, un pseudo-médécin, chercheur, bref le couteau suisse de la science le gars, qui explique avoir mené une étude pendant des années pour arriver à la fabrication de ce fameux complément alimentaire. Son site étant truffé de liens vers la boutique en ligne adéquate. Je tente de contacter cet expert, sans succès, pas de réponse. Je me renseigne sur la société qui distribue ce produit, fictive ou en tout cas elle n’existe pas en France, tout ça pour des pilules magiques vendues entre 30 et 40 euros la boîte. Et toute cette escroquerie part du site du quotidien Le Monde, via son fournisseur de « liens sponsorisés ». Quelle honte ! Pour ce journal fondé après la seconde guerre mondiale, Beuve-Méry doit se retourner dans sa tombe ! Seulement voilà, aujourd’hui une part significative des revenus du Monde dépend de ces liens sponsorisés. Impossible d’arrêter sans compensation. C’est pourquoi votre idée est intéressante mais sa mise en oeuvre, une fois encore n’est pas simple. Et je préfère, je le redis, le système du journal financé par ses lecteurs et donateurs dont vous citez plusieurs exemples de succès.

A propos des utopies utiles et de l’incarnation

Mais admettons ! Admettons qu’on vous suive. Comment voyez-vous les choses concrètement ? Vous pensez sincèrement qu’une majorité des députés, et ensuite des sénateurs, va reprendre vos idées, les voter et les mettre en oeuvre ? Ou alors qu’Emmanuel Macron, soudain pris d’une crise de foi démocratique, ne passe en force avec un 49,3 ? Non bien sûr ! Mais alors pourquoi, ou plutôt comment ?

A moins que vous ne fassiez vous aussi dans « l’utopie utile ». Que vous vous contentiez d’émettre des idées, étayées par des études sérieuses, documentées et issues de différents endroits à travers le monde, et laissez aux autres le soin de se battre pour qu’elles soient suivies d’effet. Car la question fondamentale est là, qui va se battre pour vos idées ? Vous ou les autres ? Allez-vous « mouiller la chemise » pour que cela aboutisse ou pas ? Sinon vous vous trompez d’adjectif, vous faites dans l’utopie inutile ! Et vous trahissez vos valeurs de gauche progressiste, assise confortablement dans votre fauteuil de prof et de chercheuse.

Je suis un peu dur et je vous demande de m’en excuser. Mais il vous faut comprendre que c’est du sérieux tout ça. Réfléchir c’est bien, agir c’est mieux. Les deux mon capitaine. Et contrairement à vous, une fois encore, je pense que la révolution, ou au minimum la réforme, arrivera grâce à l’incarnation, grâce à l’homme ou la femme, soyons fous, qui aura l’audace de renverser la table et proposera un nouveau système, une nouvelle république. J’ai observé les différents mouvements politiques à travers le monde, par exemple dans le livre Le Coup d’Etat Citoyen et que constate-t-on ? Les mouvements qui ont obtenu un tant soit peu quelque chose, et souvent ce n’était pas grand chose, étaient ceux qui avaient un porte-parole, je sais qu’à gauche on n’aime pas le mot leader, charismatique et enthousiasmant. Cela marche comme ça depuis que le monde est monde, Jésus, Napoléon, Gandhi, Mandela… tout mouvement, toute idée, a besoin d’un bon représentant pour l’incarner.

Puisque Christine Lagarde a dit qu’elle n’irait pas, pourquoi pas vous ? Allez au bout de vos idées et soyez fidèles à vos valeurs.

En tout cas, merci pour ce livre et cette incitation à réfléchir et à agir.

Belle journée à vous.

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