Ma cité a craqué

Hier, un jeune homme de 17 ans de Nanterre s’est fait tirer dessus en tentant de s’enfuir après un contrôle de police. La nouvelle s’est propagée rapidement dans la ville puis partout en France via les réseaux sociaux et des dizaines de cités se sont embrasées. Nahel était un garçon gentil, très gentil, dit-on à l’envie autour de lui, sauf que le gentil jeune homme en question conduisait sans permis, son casier n’était pas vraiment vierge et quand les agents de police ont voulu le contrôler, celui-ci a voulu s’enfuir – en même temps, vu qu’il n’avait pas le permis, on comprend pourquoi. Le policier qui a tiré a invoqué la légitime défense sauf que la vidéo, aujourd’hui avec les téléphones mobiles tout passant est en mesure de devenir caméraman et d’apporter des éléments tangibles à l’enquête, montre qu’il n’en est rien. Les motards étaient sur le côté, ils ne risquaient en aucun cas de se faire rouler dessus. Il n’a pas été mentionné que le conducteur ou le passager étaient armés, on peut donc considérer que les policiers ne risquaient pas leur vie dans le cadre de cette interpellation, pas de quoi sortir son calibre et cribler un gamin, avec ou sans permis.

Alors que s’est-il passé ? Il s’est passé ce qui se passe parfois, malheureusement, de plus en plus souvent apparemment. Il s’est passé que les policiers sont des êtres humains comme les autres, c’est à dire faillibles, surtout lorsqu’ils sont sous pression constante, fatigués et détestés par toute une partie de la population, et ce genre de bavure ne va rien arranger évidemment. Le flic a perdu son sang froid, il a pété un plomb comme on dit, l’a mis dans son pistolet et a tiré avec. Le gamin est mort, son coach de rugby ne pourra plus rien pour lui, malgré la volonté qu’il avait affichée de se réinsérer par le sport. Nanterre a été saccagée et des dizaines d’autres cités à travers la France ont suivi par solidarité.

Que nous dit ce fait divers comme il y en a régulièrement donc, ici en France ou de manière plus spectaculaire aux Etats-Unis, où la vie d’un noir compte moins que celle d’un blanc ? Avant toute chose, il faut se méfier des jugements à l’emporte pièce, des prises de position caricaturales et manichéennes. Il n’y a pas pas le gentil gamin d’un côté et les méchants policiers de l’autre. Il n’y a pas non plus le méchant délinquant d’un côté et les gentils policiers de l’autre. Il y a une situation extrêmement tendue dès le départ car le jeune au volant n’a pas le permis, il le sait et il est super stressé. Il s’arrête quand même au cas où il s’en sortirait avec de la tchatche, sauf que le policier n’est pas d’humeur et lui demande son permis. Le ton monte, la tension aussi, de plusieurs crans d’un coup. La décision est prise en une fraction de seconde de forcer le passage, passer en force sur les forces de l’ordre. Plutôt que laisser filer et enfourcher sa moto après, l’agent sort son gun et tire. C’est hors cadre, hors protocole, une bavure en bonne et due forme, une erreur mortelle faite sous le coup de l’émotion et du stress, encore une fois. Mettez-vous un instant à la place de chacun des protagonistes et vous imaginez facilement le côté hautement inflammable de la situation, pire qu’une fuite de gaz. Une flamme et boum, tout explose. La vie du jeune homme, celle du policier et la banlieue toute entière, telle une trainée de poudre.

Dans cette triste histoire, il n’y a presque que des perdants. La mère de la victime, ses amis, son entourage, dont la colère ne sèchera pas les larmes, les communes et les mairies mises en pièces par les émeutiers, la police et la société dans son ensemble car ce type d’évènement n’engendre que la haine, demandez à Mathieu Kassovitz ce qu’il en pense. Je dis presque car il y a cependant des gagnants, toujours les mêmes, pas si nombreux mais très influents et aujourd’hui fort représentés à l’assemblée nationale, je veux bien évidemment parler de Marine Le Pen et tous les partisans du Rassemblement National. C’est même coup double pour eux, qui sont passés maîtres dans l’art de la récupération politique des évènements tragiques. Ils pointeront du doigt ce jeune à la couleur de peau évoquante, qui n’a pas le permis, un casier et s’enfuit en menaçant des policiers, qui eux ne font que leur travail de maintien de l’ordre – beau résultat au passage ! Et que font les autres sauvages quand ils apprennent la nouvelle, ils mettent la banlieue, que Nicolas Sarkozy n’a finalement pas réussi, ni essayé, à nettoyer au Karcher, à feu et à sang. Vous connaissez la solution, braves gens.

Ma cité a craqué, ce n’est pas la première fois, ni la dernière !