Monsieur Z

Et si ce n’était ni Marine Le Pen, ni Marion Maréchal ? Et si le roman d’anticipation de Geoffroy Lejeune (1) se réalisait pour de vrai, de la fiction à la réalité, en effet. Zemmour Président ! Disons-le d’emblée, je n’y crois pas un instant, sans doute de la même manière que personne n’aurait pensé sérieusement il y a encore une vingtaine d’année, que la France puisse être dirigée par l’extrême droite. Personne depuis Pétain ne l’avait vraiment envisagé, aujourd’hui, cette hypothèse devient de moins en moins improbable, ou de plus en plus probable, comme bon vous semble. Encore que bon n’est peut-être pas le bon adjectif.

Je n’y crois pas et pourtant il faut bien admettre qu’il a réussi à séduire tout une partie de l’électorat du Rassemblement National, et au delà, lui qui a fait autant que les candidats des grands partis, Républicains, Socialistes, coco et écolo, additionnés. Reste à savoir si les électeurs sont séduits par ses idées ou par le personnage, que sa fiche Wikipédia définit comme journaliste, écrivain, essayiste, éditorialiste, chroniqueur, polémiste et homme politique… waouh il faut prendre sa respiration avant d’entamer la lecture des étiquettes qu’on lui colle sur le front, national évidemment. Polémiste me semble être celle qui lui convient le mieux, tant il aime créer des polémiques, provoquer ses interlocuteurs et l’opinion publique. Tel un Maurras d’aujourd’hui, l’homme a ses cibles privilégiées, le système politique dans son ensemble bien entendu mais plus spécifiquement les Soixante-huitards, les musulmans, lui le gamin juif séfarade dont la famille vient d’Algérie et qui a grandi en Seine Saint-Denis, les migrants, les féministes et les gays qui dévirilise le mâle alpha français, et le font dorénavant passer pour un bêta. L’homme séduit c’est incontestable, notamment sa directrice de campagne, de 35 ans sa cadette, une jolie nana, elle aussi originaire de Seine Saint-Denis, passée par Sciences Po, l’ENA et la Cour de Comptes, comme quoi il n’y a pas que des bons à rien en banlieue. Il est toujours étonnant de voir avec quelle facilité les beaux parleurs arrivent à charmer les femmes, et parfois les foules, même quand ils ont le physique de Gargamel. On a dit pas le physique alors je ne poursuivrai pas sur ce terrain glissant. Revenons sur celui des idées, quoi de plus simple dans ce cas que de prendre le programme du candidat Zemmour à l’élection présidentielle 2022.

Première proposition : baisser les impôts et les charges. Bon là, que voulez-vous dire ? Qui est contre baisser les impôts ? Levez la main. Personne ? Adoptée. Le seul problème, c’est que vu le train de vie de l’Etat, si vous baissez les impôts, principale ressource de la chose publique, il faudra compenser d’une manière ou d’une autre. A ce stade, il ne nous dit pas comment il va financer sa baisse d’impôt, dommage.

Deuxième proposition : assurer la tranquillité et la sécurité des Français. Comment ? En renforçant les pouvoirs de la police, par exemple à leur accordant « la présomption de légitime défense en cas d’usage de leur arme ». Waouh, ça commence à dégénérer rapidement, voter pour Zemmour, c’est donner un chèque en blanc aux policiers et s’ils souhaitent faire usage de leur pistolet, ce sera présumé être de la légitime défense. Inutile de se demander pour qui a voté ce policier qui a tiré sur Nahel. Si Eric Zemmour avait été élu, il aurait reçu la médaille du mérite. En tout cas, on sait quel électorat il vise avec ce type de proposition.

Troisième proposition : arrêter l’immigration pour préserver notre identité. Pas de surprise, les immigrés comme principale cause des problèmes de la France et l’identité nationale, si quelqu’un sait ce que cela signifie, merci de m’aider. C’est quoi être français, ce pays si diverse culturellement entre le nord, le sud, l’est, l’ouest, la campagne, la montagne, les villes et tous ces flux migratoires qui ont constitué cette nation au fil du temps et de l’histoire. Il est bien placé pour le savoir lui Eric Zemmour, dont encore une fois les parents ont quitté l’Algérie au début des années 50 pour fuir la guerre, berbère aime-t-il dire cependant, pas arabe. Il n’empêche, la France est riche de ses origines multiples, le nord de l’Europe, la Méditerranée, l’Europe de l’Est, l’Afrique, l’Asie, les Amériques, chacun ayant apporté sa culture avec lui, alors bien malin celui qui peut définir « l’identité française ». Il ne faudrait pas pour autant faire comme il n’y avait pas de problème avec l’immigration. Des milliers de migrants arrivent chaque année en France de manière légale ou illégale et nous n’avons rien à leur proposer si ce n’est la misère, parfois pire que celle qu’ils fuient. Il y a donc des limites à poser d’une manière ou d’une autre, sans pour autant stigmatiser ces gens qui sont les premières victimes des bouleversements du monde.

Quatrième proposition : rendre la parole au peuple. Les politologues définissent souvent ce type de mouvements politiques, qu’ils soient d’extrême droite ou gauche, comme populistes ou démagogiques. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi c’était mal de vouloir faire plaisir au « peuple », au « démos », j’y vois au contraire une forme de snobisme de la part des dirigeants et des intellectuels, qui n’accordent au peuple que peu de capacité à réfléchir et penser l’avenir de manière structurée. Je pense tout le contraire. Je pense qu’il y a bien plus de sagesse parmi les gens simples, qu’on ne leur prête. Et même quand ils votent extrême droite, il y a souvent de bonnes raisons pour cela, des mauvaises aussi bien sûr, quelque chose en tout cas de tout à fait rationnel, c’est à dire une volonté de s’opposer à la bien pensance et à ceux qui gouvernent depuis des décennies sans réussir à faire revenir le paquebot France dans la bonne direction. Certains disent que les gens se trompent de solution, sans doute est-ce vrai car la délinquance et l’immigration ne sont pas liés et ne sont pas à l’origine des difficultés de ce pays. Dans ce cas, aux partis républicains d’en proposer de meilleures et de convaincre qu’il faut désormais leur faire confiance. Force est de constater qu’il n’y arrivent pas, il n’y arrivent plus, car les gens, le peuple donc, n’est plus dupe. On lui a trop raconté de salades. Le lien est rompu entre le peuple et ses représentants politiques, ce qui laisse une place immense aux partis extrêmes.

Je ne développe pas la cinquième proposition car c’est un copier-coller de la deuxième : Assurer la tranquillité et la sécurité des Français. A se demander si ce n’est pas une coquille.

Sixième proposition : défendre nos intérêts dans une Europe des nations. Le projet européen a été construit pour empêcher que ne reproduise une nouvelle guerre sanglante en Europe. De ce point de vue, on peut dire que l’Union Européenne est un succès. Elle n’est certes pas en mesure d’empêcher Poutine de vouloir envahir une partie de l’Ukraine, ou à défaut de la détruire, mais a priori on n’est pas prêt de revoir une guerre entre la France et l’Allemagne, le principal moteur de la construction européenne depuis qu’ils ont arrêté de vouloir la détruire. Voilà pour l’Europe politique et diplomatique. Sur le plan économique par contre, il faut admettre que c’est n’importe quoi, en particulier sur le plan fiscal, puisque chaque pays essaie d’une manière ou d’une autre de tirer la couverture sur soi. Le Luxembourg est depuis toujours le premier paradis fiscal en Europe, suivi de près par la Belgique. D’autres pays tels que le Portugal s’en sont inspirés pour attirer des retraités et des capitaux, seule possibilité pour ce petit pays de tirer son épingle du jeu. Certains pays de l’Est ont également su profiter du marché unique en pariant sur des secteurs économiques puissants ou innovants (automobile, technologie, pharmacie…), le plus souvent au détriment des vieux pays tels que la France, l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni. Sans parler de l’Euro qu’on nous avait vendu comme la panacée et qui s’est révélé une source d’inflation déguisée mais bien réelle, la baguette de pain valant aujourd’hui pratiquement le même prix en euro qu’elle valait en francs il y a vingt ans, soit une multiplication du prix par 6,5 ! Résultat des courses, les classes moyennes et populaires des grands pays occidentaux se paupérisent et les idées nationales populistes ont le vent en poupe. Si rien n’est fait, ce beau projet européen va finir par exploser.

Propositions 7 et 8 : rétablir la place de la France dans le monde comme puissance d’équilibre et renforcer l’excellence et l’indépendance de notre défense nationale. Ce genre d’objectif fait certes plaisir aux nationalistes de tout poil et aux nostalgiques d’une France conquérante et éternelle, une France qui n’a jamais vraiment existé, sauf peut-être sous le règne de Napoléon 1er et encore cela n’a pas duré longtemps, mais dans le monde d’aujourd’hui, dominé qu’il est par les Américains, les Chinois et les Russes, penser que nous pouvons y jouer des coudes en dépensant quelques dizaines de milliards de plus par an dans notre armée, relève au mieux de la naïveté, au pire de la bêtise crasse ou de l’idéologie guerrière des siècles précédents. Nous ferions mieux de dépenser cet argent pour préparer l’avenir, c’est à dire dans l’éducation et l’économie durable. Nous y venons !

Propositions 9 et 10 : retrouver l’excellence de l’école française, rénover notre enseignement supérieur et investir dans notre recherche. Encore une fois, qui est contre retrouver l’excellence ? Personne évidemment. Seulement, cela fait des décennies que nous essayons de retrouver l’excellence et année après année, décennie après décennie, nous dégringolons toujours plus bas dans les classements internationaux. J’ai déjà exprimé tout le « bien » que je pense de ces fameux classements, Pisa and co, Pisa pour moi c’est comme la tour du même nom, ça penche drôlement. Il n’en demeure pas moins que le niveau moyen recule significativement, en français, en maths, en culture générale, en langues, nous n’étions déjà pas les champions des langues, il suffit de voir le niveau d’anglais de nos récents présidents, à part peut-être Emmanuel Macron, et encore, des présidents ayant pourtant atteint le sommet de la sommitude en termes d’études, Sciences Po, ENA, etc. mais rien y fait, des chèvres en langues nous sommes, des chèvres nous restons. Très loin des Hollandais, Danois, Allemands et autres pays scandinaves. Alors que proposait le candidat Z, quelle baguette magique avait-il trouvé au fond de son sac, Gargamel ? Recentrer l’enseignement autour des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter), contrôler l’acquisition des savoirs, virer les gamins des migrants clandestins… non pardon cette ligne a été supprimée à la relecture.

Bon, inutile d’aller plus loin dans ce programme, on aura compris qu’il a été grandement édulcoré pour ne pas faire peur au Français moyen, qui veut bien voter pour Marine mais ne tient pas à ce qu’on le traite de raciste non plus. On ne retrouve pas en tout cas toute la virulence de l’essayiste et surtout du polémiste. Rien qui vise spécifiquement les musulmans, rien de vraiment méchant sur les migrants, rien sur les femmes, dont la place est assurément derrière le premier sexe (titre d’un de ces essais), rien de tout ça, c’est étonnant la différence entre la polémique et la politique.

Cela dit, ne nous y trompons pas. Si quelqu’un comme Eric Zemmour était élu à la présidence de la République, sous condition qu’il dispose d’un relai à l’Assemblée nationale et au Sénat, ce serait un véritable séisme politique. Surtout, nous avons déjà connu dans notre histoire des périodes troubles où le pouvoir en place prenait pour cible une partie de la population, en lui collant sur le dos tous les problèmes, on appelle ça un bouc émissaire. Et on sait comme cela finit. Mal ! Alors n’oublions pas ce que nous enseigne l’histoire, avant qu’il ne soit trop tard.

Pfff, je suis fatigué, c’est bon troisième billet d’affilée sur l’extrême droite. Cela me déprime, j’ai bien envie de voir un peu la vie en rose.

Zemmour Président ! De la fiction à la réalité, Geoffroy Lejeune, Ring, 2021