No podemos
Jamais un mouvement citoyen récent n’aura été aussi loin dans l’idée de faire de la politique autrement. Né au début des années 2010 dans le prolongement des printemps arabes et des manifestations spontanées et massives qui eurent lieu dans plus de 100 villes en Espagne, un mouvement appelé « Les indignés » ou plutôt « Indignados » en espagnol, en référence à l’ouvrage de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! (1), encourageant la jeunesse à se révolter contre l’état du monde.
Podemos (« Nous pouvons », en français) est né de cette énergie-là, de cet espoir-là. Porté par son leader charismatique, Pablo Iglesias, Podemos se structure et connaît de vrais succès électoraux, d’abord aux municipales de 2015, emportant Madrid, Barcelone et Saragosse, excusez du peu, puis lors des législatives. Mais au delà de l’aspect électoraliste, élément important bien entendu, à quoi bon faire de la politique si vous n’êtes jamais élu et n’avez pas la capacité de prendre des décisions, la marque de fabrique de Podemos, c’est avant tout la méthode. Podemos a mis en oeuvre une forme aboutie et opérationnelle de démocratie participative avec à la base des centaines de cercles de citoyens locaux (circulos) faisant remonter leurs propositions via des outils numériques modernes, rapides et puissants (Loomio, LaboDemo, PlazaPodemos…).
Pendant ce temps, les partis traditionnels, comme le souligne Pierre Rosenvallon, se sont eux éloignés du monde vécu et leur langage résonne désormais souvent dans le vide, saturés de catégories et d’expressions abstraites qui n’évoquent plus ce que vivent sensiblement les gens (2). Podemos représentait un vrai changement de logiciel.
Podemos a également introduit la transparence totale dans les comptes du parti, le financement participatif (crowdfunding) pour ne pas avoir à dépendre des banques et proposa la limitation des revenus de ses élus. Comme le soulignait Inigo Errejon, l’un des dirigeants du parti en 2016 : baisser le salaire est essentiel car quand on gagne la même chose que les gens, on légifère pour les gens. Limité à trois fois le smic espagnol, soit 2000 euros par mois, un député européen Podemos qui gagne comme ses collègues 6250 euros par mois hors frais et avantages divers, doit reverser 4250 euros au parti, qui finance avec des projets d’intérêt général. Mesure plutôt radicale, vous en conviendrez. Même les communistes n’avaient pas été si loin.
En ce qui concerne la question des salaires des élus, extrêmement sensible là-bas comme ici, il faut signaler qu’en France, François Hollande avait été le seul à réduire son salaire et celui de son gouvernement. Nicolas Sarkozy avait lui plus que doublé le sien, estimant qu’il n’était pas à la hauteur de sa fonction et surtout de ceux des ses interlocuteurs européens. En même temps, le salaire de ministre reste très confortable en France, que ce soit sous Sarkozy, Hollande ou Macron puisqu’il se situe autour des 15 000 euros par mois. Fleur Pellerin, d’abord ministre des PME et du numérique, puis ministre du commerce extérieur et du tourisme puis enfin ministre de la culture, avait même estimé qu’à ce tarif, elle faisait un effort significatif. Alors qu’on ne vienne pas lui dire qu’elle profite du système, eh oh, ils font chier ces smicards, chômeurs et sans dents de tous poils, ils ont qu’à bosser davantage et ils pourront se payer un beau costume, et même pourquoi pas les dents qu’il leur manque. A cette charge, quelqu’un de droite me dirait que je suis un populiste, un démagogue, que c’est facile de regarder la politique par le petit bout de la lorgnette. Je répondrais simplement qu’il ne s’agit pas de moi ici, il s’agit de Fleur Pellerin d’un côté et de Podemos de l’autre, un mouvement porté par des millions d’Espagnols. Si Fleur Pellerin avait été une ministre Podemos, elle aurait dû refiler 13 000 euros sur les 15 000 qu’elle gagnait chaque mois. Autant dire qu’à ce tarif, elle n’aurait pas attendu plus de cinq minutes avant de faire comme ses camarades énarques pantouflards, c’est à dire aller prendre un bon gros poste de direction dans le privé après avoir suivi des études financées par les impôts de ces connards de smicards. Voilà c’est dit, il fallait que ça sorte. Tout ça pour dire que la limitation du salaire des élus, je trouve ça bien. Je partage l’idée d’Errejon, pour comprendre et travailler dans l’intérêt général, il faut gagner comme les gens. Surtout si c’est avec leurs impôts que vous êtes payé.
Le problème toutefois, concernant Podemos, c’est que le conte de fées n’aura finalement duré que dix ans. Pour faire émerger un mouvement, il faut un leader charismatique, tous ceux qui ont essayé sans ne sont pas allés très loin. A cet égard, Pablo Iglesias a parfaitement joué son rôle mais le pouvoir s’est progressivement concentré dans les mains d’une petite équipe pour retomber dans les travers élitistes des partis traditionnels et les citoyens espagnols ont fini par perdre leurs illusions. Aux dernières élections régionales, Podemos a subi un revers significatif et Iglesias a annoncé son retrait définitif de la vie politique. Faut dire qu’il a reçu plusieurs menaces de mort et une balle par la poste. Vaut sans doute mieux se retirer de la vie politique que d’être retiré de la vie tout court. Quand on fait de la politique, même avec les meilleures intentions du monde, faut être armé, dans tous les sens du terme.
Les partis traditionnels (le PSOE et le PP), l’équivalent espagnol du Parti Socialiste et des Républicains, ont finalement repris la place qu’ils avaient dix ans auparavant. Podemos va t-il survivre au départ de son porte-parole historique ? Difficile à dire, en tout cas, il semblerait que la parenthèse enchantée soit refermée.
Références
(1) Indignez-vous ! Stéphane Hessel, Indigène Editions, 2010.
(2) Le coup d’état citoyen, Elisa Lewis, Romain Slitine, Ed. La découverte, 2016, p.35
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