Nouveaux dissidents
A moins que l’espoir vienne de la nouvelle garde des dissidents russes, tels que Alexandre Lavut par exemple, 16 ans, soit l’âge de mon fils, c’est dingue ! Dingue parce que je n’imagine pas mon fils, dont la vie est celle d’un ado occidental normal, accroché à son téléphone portable, ses jeux vidéo, ses baskets de marque, ses coupes de cheveux et dont la vie va et vient entre l’école, le foot et les copains, copines. Je ne l’imagine pas non, fuir son pays, se réfugier à des milliers de kilomètres de là et commencer à prendre la parole sur les réseaux sociaux pour s’opposer aux dirigeants en place dans son pays au risque de sa vie. Il faut sans doute des circonstances exceptionnelles, comme la guerre, pour donner une telle maturité et un tel courage à un gamin qui hier encore jouait avec des playmobiles et des Lego. Des circonstances et des gênes, ça peut aider, ou expliquer, car chez les Lavut, on n’a clairement pas la langue dans sa poche ni peur de s’opposer au pouvoir en place. Son arrière-grand-père, un mathématicien qui s’appelait lui aussi Alexandre (1929-2013), s’était élevé face à Staline à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour défendre les Tatars de Crimée, un peuple déporté en quelques jours en Asie centrale et qui n’ont pu rentrer chez eux qu’en 1989 après la chute de l’URSS. Toute sa vie, cet ailleul se sera engagé pour dénoncer les répressions, notamment par l’écriture de chroniques clandestines, comme quoi écrire est une façon d’agir comme une autre.
Alexandre Lavut Jr a quant à lui fui la Russie au début de la guerre en Ukraine, passé plusieurs mois en Géorgie avant de rejoindre la France pour demander l’asile politique. Il anime depuis une chaîne de résistance à distance sur Télégram qui met en contact des Ukrainiens en exil avec des Russes qui acceptent de les aider en attendant la fin de la guerre. Car la plupart des Russes n’ont rien contre les Ukrainiens, au contraire. Lui en fait la démonstration et il compte bien retourner chez lui quand tout ça sera terminé, peu importe quand cela arrivera. Surtout, il ne veut pas perdre espoir et veut continuer de croire en une réaction possible de ses concitoyens russes. L’espoir fait vivre, c’est déjà ça.
Alexandre fait partie de ces nouveaux dissidents mis en avant par l’association du même nom (1), créée en 2016 suite à l’élection de Donal Trump aux Etats-Unis pour soutenir tous ceux et celles qui résistent, partout dans le monde, de façon individuelle, transparente et non-violente. Un dissident n’est pas un super héros, au contraire, ce sont des gens ordinaires comme vous et moi, enfin surtout vous, qui du jour au lendemain, ont pris une décision extraordinaire qui a changé radicalement le cours de leur existence, celle de s’opposer face à l’oppression et la répression, lutter, parler ou écrire haut et fort, résister, au risque d’y rester.
Les mots de Alice Syrakavash, bélarusse elle-aussi réfugiée en France depuis douze ans, sont à cet égard éclairants : « En 2004, Loukachenko lance un référendum pour modifier la constitution. Son but était de pouvoir rester indéfiniment au pouvoir. En me rendant à mon bureau de vote après une demi-journée d’observation, dans la profonde campagne du nord de Bélarus, ou je résidais officiellement, je faisais du stop sous la pluie glaciale sur une petite route perdue entre deux champs sans espoir. Je frôlais l’impossible pour aller voter, alors que je savais que mon vote n’allait jamais être compté. C’est là que j’ai remis tout en question. Rester, c’était courir le risque de me retrouver en prison, et je vous avoue que je n’étais pas prête, mais rester et construire ma vie en fermant les yeux sur la politique, je ne pouvais pas imaginer comment. J’ai pris la décision de partir, là où je ne serais pas obligée d’aller chercher un consensus avec ma propre conscience. » (2)
Alexeï Navalni avait mon âge, 47 ans, Alexandre Lavut celui de mon fils, Alice Syrakavash pourrait être ma petite soeur, tous ont en commun d’avoir pris de la hauteur par rapport à leur petite vie ordinaire pour défendre un idéal, à leurs risques et périls, d’être entrés en dissidence. C’est Emmanuel Carrère, grand spécialiste de la Russie lui-aussi, et pour cause puisque sa famille vient de ce pays vaste comme un continent, qui parle bien de ces autres vies que la sienne. A côté de certains il est vrai, on se sent parfois tout petit petit non ? Vous ne trouvez pas ?
Sources / Références
(1) Lesnouveauxdissidents.org
(2) Alice et les nouveaux dissidents > https://www.lesnouveauxdissidents.org/single-post/2017/01/24/this-is-the-title-of-your-blog-post-2
Illustration : Dissident Club, Chroniques d’un journaliste pakistanais exilé en France, Taha Siddiqui, Glénat, 2023
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