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Nouvelle école

30 août 2022

A quelques jours de la rentrée, je voulais m’autoriser à repenser l’école de manière utopique, tel que le suggère Grégoire Borst (1), psychologue et spécialiste du développement et des fonctionnements du cerveau, notamment chez les enfants.

Il y a tant à dire sur l’école que je ne sais par où commencer. Peut-être par ce fameux classement PISA dont on nous rabat les oreilles pour nous dire que la France se casse la gueule, que les élèves sont de plus en plus nuls, surtout comparés aux Norvégiens et aux Coréens. Mais le classement PISA, c’est comme les notes en général, c’est de la merde ! Parce qu’il est contre-productif de se comparer aux autres, qu’il s’agisse des élèves ou des pays. Ce qu’il faut, c’est se comparer à soi-même et suivre son propre chemin d’apprentissage et de progression. Si un enfant à 6/20 alors que la moyenne de la classe est de 12/20, il va penser qu’il est bon à rien. Or c’est faux. Car le cerveau est d’une grande plasticité, ce qui signifie qu’il a la capacité d’apprendre, quel que soit le cerveau en question. Il faut faire comprendre à l’enfant qui a 6/20 qu’il s’agit d’un point de départ. En analysant ses erreurs et en travaillant un peu, la prochaine fois il aura peut-être 7 ou 8/20. Et en réitérant l’exercice plusieurs fois, comprendre et apprendre de ses erreurs, faire des efforts, il passera sans aucun doute à 10 et peut-être même à la moyenne de la classe. Et ça, c’est la classe justement. Bien plus que d’avoir 14/20 sans travailler parce que le cerveau de cet autre enfant est câblé de sorte qu’il comprend plus vite, peut-être a-t-il des parents qui l’aident et/ou un capital génétique plus favorable au travail scolaire. Comparer les enfants les uns aux autres sans tenir compte de leurs spécificités, c’est contre-productif voire destructeur. Idem pour les pays. Fuck PISA !

Qu’est-ce qu’on pourrait dire d’autre ? Que l’éducation nationale est un mammouth impossible à réformer, n’est-ce pas Claude (2) ? La seule chose dont on est capable apparemment, c’est de créer des plateformes d’orientation sur internet, Parcours Sup pour ne pas la citer, qui sont de véritables usines à gaz dont personne ne comprend l’algorithme, peut-être même pas ses concepteurs, et qui laisse chaque année des milliers d’étudiants sur le carreau sans aucune option pour la rentrée. Quand j’ai eu mon bac moi, c’était au milieu des années 90, j’étais comme la plupart de mes camarades, je n’étais pas certain de la direction que je voulais donner à ma vie. Cela me semblait si lointain. Fac de droit ou fac d’éco ? Peut-être un IUT en technique de commercialisation, ou en gestion des entreprises, c’est bien aussi ça, la gestion. Finalement, je me suis inscrit en éco et cela m’a pris 5 mins à tout casser. Pas un casse-tête en tout cas. Avec Parcours Sup, on a le sentiment que l’orientation est devenue une sorte de roulette russe, avec une seule balle dans le barillet, priez pour qu’elle ne vous explose pas la cervelle.

Il semble en fait que le système scolaire soit incapable de se remettre en cause. Et quand certains professeurs apportent des idées ou des méthodes nouvelles, c’est la croix et la bannière pour faire comprendre tout là haut, au ministère de l’Education Nationale, qu’il y a peut-être là une voie à explorer. Je pense en particulier à Céline Alvarez, une jeune professeure des écoles inspirée notamment par les méthodes de Maria Montessori, qui avait mené une expérimentation pédagogique sur l’apprentissage de la lecture avec des élèves de CP à Aubervilliers (3). Elle bénéficia du soutien de l’académie, évidemment d’ailleurs sinon jamais elle n’aurait pu expérimenter quoique ce soit, et on lui octroya même l’aide d’une deuxième institutrice. Les résultats furent renversants mais l’expérimentation s’arrêta pourtant là. La remise en cause nécessaire était sans doute trop importante, cela générait aussi des jalousies parmi les autres profs, pourquoi elle avait, elle, pu faire classe à deux et pas nous, etc. etc. Résultat, Céline Alvarez prit ses clics, ses claques, et sa méthode, et alla la faire fructifier en Belgique. Voilà le genre de gâchis dont nous sommes capables et cela me déprime profondément. Les découvertes de Maria Montessori ne datent pas d’hier, elle est naît en 1870. Nous sommes en 2022, soit 152 ans après, et on n’a pratiquement tiré aucun enseignement des résultats de sa méthode, c’est tout de même con pour des enseignants. Aujourd’hui, la « méthode Montessori » n’est utilisée que par quelques écoles éparpillées sur le territoire qui galèrent pour se financer et perdurer tandis qu’on arrose les prépas de France et de Navarre de budgets conséquents et qui n’ont rien à voir avec les effectifs qu’ils représentent. Va comprendre Maria !

Quoi d’autre ? Que l’école devrait vous apprendre à apprendre avant de vous apprendre quoi que ce soit. Parfois, on a l’impression de voir du gavage d’oies. Votre gamin apprend des trucs par coeur mais il comprend à peine ce qu’il raconte et surtout il n’a aucun avis, car on ne lui demande pas, son avis. Son avis, on s’en fout. Il est là pour beurrer des tartines et des tartines, rentrer chez lui le soir et après une tartine de Nutella, faire ses devoirs. Des devoirs ! Quel mot barbare ! Est-ce qu’on apprend quoi que ce soit par devoir ? A coup de règles sur les doigts ou sur la tête pendant qu’on y est ! Certains vous diront que ça a bien marché comme ça depuis Jules Ferry et les enfants n’en sont pas morts. Au contraire, certains sont mêmes devenus médecins, ingénieurs, chercheurs, avocats, diplomates, politiciens, écrivains, philosophes, profs… avec ce type d’enseignement à marche forcée. Peut-être, mais combien en sont sortis dégoutés en pensant qu’ils étaient cons comme leurs pieds ? On dit que l’école a longtemps servi d’ascenseur social mais c’est complètement faux. L’école a servi d’ascenseur à tous les enfants qui en avaient les capacités naturelles, quel que soit leur milieu d’origine certes, et encore quand on était issu d’une famille pauvre, fallait pas trop traîner sur les bancs de l’école non plus, tant pis si vous aviez les capacités d’aller plus loin. Tout ça, c’est une belle histoire que l’institution se raconte pour se défendre contre les attaques dont elle fait l’objet. La vérité, c’est que l’école n’a jamais été pensée pour les élèves en difficulté et comme malheureusement il y en a de plus en plus, cela commence à se voir.

L’école est une snob qui prétend s’occuper de tous mais s’intéresse surtout aux premiers de la classe. Rien n’est plus facile en même temps que d’enseigner à un bon élève. Il comprend tout, vite, pose des questions intéressantes et de ce fait, stimule le professeur. L’élève en difficulté lui, demande à revoir sa méthode, peut-être même à la révolutionner. Un exemple tout simple : les erreurs. La plupart des profs ne se servent pas des erreurs de manière pédagogique, ils se contentent de les sanctionner. Tu as fait 10 fautes à ta dictée, tu as 0, point ! Alors qu’ils pourraient dire, ce que font certains dans certaines écoles et selon certaines méthodes, différentes donc, étape 2 tu corriges tes erreurs et si tes corrections sont bonnes, tu passes de 0 à 5 ou 7 ou 10 qu’importe. Parce que cela prouve que tu as compris pourquoi tu avais eu faux et sans doute as-tu appris quelque chose. A confirmer. En tout cas, la façon de voir l’erreur est radicalement différente. Négative d’un côté, positive de l’autre. L’école traditionnelle oublie trop souvent la puissance du plaisir dans l’apprentissage, la capacité de l’élève de s’auto-entraîner vers le haut quand il sent qu’il progresse. Et quand il n’a plus peur de faire des erreurs, ou mieux quand il sait les corriger, il progresse, c’est certain. Voilà, c’est un tout petit exemple, mais fondamental.

Autre point, l’absence du technique et du manuel dans les premiers apprentissages, bouh les vilains mots ! En France, on n’aime pas les manuels, on les prend pour des abrutis et ça a toujours été comme ça. Tu as des bonnes notes, cursus général, tu iras encombrer les bancs de la fac ou ceux plus sélectifs des prépas. Tu es un cancre, tu feras un métier manuel. Vous vous dites que je caricature ? Vous en êtes si sûr ? Soyez franc, vous savez bien que cela marche comme ça depuis toujours et que contrairement aux multiples tentatives de revaloriser l’enseignement manuel et technique, cette affreuse façon de voir les choses reste ancrée dans les mentalités, des enseignants, des parents et de la société dans son ensemble. Or on sait parfaitement que l’intelligence est multiple et qu’il en faut une bonne dose pour être un bon électricien, plombier, maçon, qu’il soit français, turc ou polonais et même si on voit la raie de ses fesses quand il s’accroupit pour fixer un joint – j’ai dit fixer, pas fumer hein ! Les Allemands n’ont pas ce snobisme à l’égard des métiers manuels et techniques, c’est pour ça qu’ils ont beaucoup plus de boîtes industrielles que nous. Car ces boîtes-là sont rarement crées et développées par des crânes d’oeuf qui sortent de l’université. Nous devrions réfléchir sur la manière d’introduire des apprentissages manuels et techniques dès le primaire, on s’apercevrait vite que c’est parfaitement complémentaire des enseignements plus théoriques tels que le français, les maths ou l’histoire géo.

Il y aurait beaucoup à dire aussi sur les études supérieures, avec ou sans Parcours Sup. Je travaille dans le secteur de la santé et j’enrage par exemple quand je vois comment on devient professionnel de santé aujourd’hui. Déjà, sur le plan des motivations intrinsèques, on peut se poser des questions. La plupart des jeunes qui arrivent en médecine y sont soit parce qu’ils sont de bons élèves et faire médecine est une façon de poursuivre un parcours d’excellence, ça fait bien d’être médecin comprenez-vous ? Soit parce que papa ou maman est médecin et qu’ils n’ont pas encore atteint le stade de l’autonomie psychologique, ils font simplement comme papa ou maman. Soit enfin, dernière possibilité, la pire de toute, pour faire de l’argent. Quelle idée abominable que de vouloir faire médecine pour gagner du pognon ! Tu veux faire du fric, deviens trader mec, ou entrepreneur je ne sais pas, mais pas médecin stp. Et pourtant, cette motivation est de plus en plus répandue parmi une génération Z qui a perdu tout complexe. Business is business et la santé n’échappe pas à la règle, dans quel monde est-ce que tu vis toi avec tes billets d’humeur de bisounours ? Eh bien, je vis dans un monde où j’aimerais que les jeunes veulent faire médecine pour s’occuper des patients, faire des découvertes extraordinaires, comme Maria Montessori justement qui était médecin. Or le système des études en médecine n’est pas organisé pour valoriser des motivations de ce type. Il y a un seul concours, point barre. Les meilleurs choisissent leur spécialité, les autres prennent ce qu’il reste. Autant dire qu’avec un système aussi rigide, il y a peu de gagnants, beaucoup de perdants et ceux qui y perdent le plus, ce sont les patients et le système de santé dans son ensemble. Je ne sais pas s’il existe un équivalent de PISA pour évaluer la qualité des systèmes de santé à travers le monde mais je suis certain que là aussi, la France dévisse. Et pourtant le monde entier continue de venir s’y faire soigner, peut-être parce que c’est gratuit. Oups ! Il me semble qu’on devrait accorder plus d’attention aux motivations profondes des étudiants en médecine afin de les orienter au mieux. Ne regarder que leurs notes aux concours, c’est se contenter de la facilité et s’enfermer dans un élitisme stérile.

Puisqu’il est question ici d’école et d’enfants, la question qui taraude pratiquement tous les parents et ce depuis environ une dizaine d’années, c’est quelle place accorder aux écrans ? Ces fichus ECRANS !!! Les ingénieurs de la Silicon Valley qui les ont développés ont bien compris les effets indésirables ou secondaires, comme on dit en médecine justement, puisque dans la plupart des écoles là-bas, en tout cas celles de « l’upper class », les téléphones, tablettes et autres machines digitales du diable, y sont proscrits. Et pendant ce temps, nous pauvres parents occidentaux nous battons comme des damnés pour décrocher nos chérubins de smartphones qui n’ont rien d’intelligents (je précise que smart veut dire intelligent en anglais, vous m’excuserez pour cet affront fait à votre niveau d’anglais) et autres consoles de jeu qui ne consolent pas vraiment. Résultat, le temps d’écran est multiplié par 10, 20, 30… et le temps de lecture d’un vrai livre en papier, divisé par autant. En même temps, il y a des tonnes d’informations super intéressantes à portée de clic sur les écrans, jamais la connaissance n’a été aussi accessible au plus grand nombre d’ailleurs. Sauf que le plus grand nombre, il se fout complètement de la Connaissance avec un grand C, comme Con-naissance ou la naissance d’un con en verlan, ce qu’il regarde lui le quidam enfantin, c’est Tiktok, YouTube et converse sur Snap à longueur de journée en n’utilisant que des mots de trois lettres maximum tels que OMG, Oh my god ! Tout cela est triste à mourir, surtout quand vous êtes un parent impuissant. Impuissant car allez essayer d’enlever le téléphone d’un ado aujourd’hui, mieux vaut y aller armé !

Celui qui écrit ce billet, c’est à dire moi, est assez mal placé pour vanter les mérites de la lecture car je m’y suis mis très tardivement, c’est à dire quand je suis entré à l’université seulement. Ma culture, je me la suis faite avec la télé, la musique et en discutant avec mes amis, en vrai, dehors assis sur un banc, sur la plage ou sur un botte de foin à la campagne. Pas en enchaînant les clips de quelques dizaines de secondes qui montrent un chat qui fait le oula oup ou des filles qui se maquillent en direct en commentant le dernier épisode des Marseillais. Moi je regardais Les mystérieuses cités d’or ou Il était une fois la vie et même si c’était sur un écran, il en sortait quelque chose d’intéressant, une invitation au voyage, que ce soit au Pérou ou au coeur du corps humain.

Bref, je suis un râleur né c’est certain, d’où le besoin d’écrire ces billets d’humeur d’ailleurs. Mais je ne peux pas cacher que je suis inquiet, inquiet et dépité aussi. Dépité car je me dis que l’école pourrait être tellement mieux que ça parce qu’au fond l’école est un lieu formidable où on fait des rencontres et où on peut apprendre des tas de choses intéressantes. Mais pourquoi n’arrive-t-elle pas à s’améliorer grâce aux expériences réussies de quelques-uns, quelques-unes. Cela ne devrait pas être si compliqué s’améliorer, si ? C’est leur métier d’apprendre et s’améliorer non ?

J’avais commencé ce texte en voulant repenser l’école de manière utopique. Au moins, il n’est pas interdit de rêver.


Sources / Notes

(1) Enseigner aux élèves comment apprendre, Nathan, 2022

(2) Claude Allègre, ami d’enfance du premier ministre Lionel Jospin, avait été nommé ministre de l’Education Nationale. Elle allait voir ce qu’elle allait voir cette vieille éducnat, ce mammouth, comme il eut l’idée ingénieuse de l’appeler. Résultat, grève, manifs, blocage, changement de ministre et enterrement en grandes pompes de toute idée de réforme. Comme quoi, faut faire attention à ce qu’on dit, surtout quand on est ministre. Le poids des mots…

(3) Une année pour tout changer, et permettre à l’enfant de se révéler, Céline Alvarez, Les Arènes Editions, 2019.

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