Point G
Nous arrivons presque à la fin de cette saison consacrée principalement à l’univers féminin et je m’aperçois soudain que je n’ai pas écrit un seul billet sur le sexe. Est-ce un acte manqué, un simple oubli ou les conséquences inconscientes de l’époque post-#Metoo dans laquelle nous vivons et où les hommes ne savent plus trop bien s’ils peuvent encore parler de cul sans risquer un procès ? Vous trouvez peut-être que j’exagère ? Allez dire ça à ce chef d’entreprise qui, à une de ces soirées de l’ambassadeur, Ferrari et Ferrero rochers, a eu la malencontreuse idée d’aller susurrer dans l’oreille d’une femme qui lui avait tapé dans l’oeil, mais pas queue : « Cela te dirait que je te casse tes ptites pattes arrières ma cocotte ? » Sauf que la femme en question était journaliste et pas en reste sur les questions féministes. Oups ! Dans la minute qui a suivi, la phrase était sur les réseaux sociaux et le nom du monsieur avec. Sa vie allait partir en cacahuète à la vitesse du big bang, et les siennes avec. Son employeur le convoqua, tout patron qu’il était, il n’était que salarié et devait rendre des comptes à ses actionnaires, qui n’avaient pas spécialement apprécié l’image d’une telle déclaration et ses répercutions sur l’entreprise. Richard, nous vous apprécions beaucoup, vous avez fait du bon boulot, mais vous passerez prendre votre golden parachute à la compta. Sa femme demanda le divorce et ses amis lui tournèrent le dos. Il poursuivit la journaliste en justice pour diffamation et ironie de l’histoire, il gagna, car dans ce pays, nul n’est autorisé à livrer un nom et une vie aux chiens, quand bien même on estime cela légitime. Alors forcément, oui je l’affirme, il y a un avant et un après #Metoo, un mouvement dont Dominique Strauss-Kahn aura été un des principaux détonateurs, c’est dire si l’image des « charmeurs » à la française était à présent égratignée. Entendons-nous bien, je ne cherche pas à défendre les propos de salaces de ce mec, mais il me semble qu’il y a disproportion entre l’acte et la sanction. Quant à #Metoo, je pense que c’est un progrès et un rééquilibrage des forces puisque auparavant les femmes victimes de harcèlement devaient se contenter de la boucler, ceinture et bouche cousue.
Mais ce n’est pas #Metoo qui m’a empêché d’écrire un billet osé, il semble tout simplement que je n’en ai pas eu l’idée avant, c’est que je ne dois pas être un obsédé. Personne n’est parfait ! Maintenance que celui-ci est lancé, aucune raison de m’arrêter, mais par où commencer tant le sujet est vaste. D’ailleurs le sexe est-il réellement un sujet en soit ? Certes celui-ci est omniprésent dans la vie des gens, Freud lui-même y a consacré une grande partie de son travail et la moitié du trafic mondial sur internet est lié au sexe, tellement présent et tellement différent selon les gens qu’il est difficile de trouver un angle d’attaque. C’est alors que je suis tombé sur un petit bouquin d’Ovidie, une ancienne actrice et réalisatrice porno bien connue, aujourd’hui très engagée sur la question des droits des femmes, notamment dans l’univers du sexe, un petit fascicule donc, intitulé Osez découvrir le point G (1), voilà de quoi titiller ma curiosité. Cela m’a permis d’apprendre par exemple que cette expression vient du nom du médecin allemand, Ernst Grafenberg, qui en 1950 décrit le premier une zone sensible à l’intérieur du vagin qui gonflerait et serait responsable de l’émission d’un liquide. Une remarque s’impose d’emblée, s’il a fallu attendre 1950 pour que la médecine s’intéresse à la question du plaisir féminin, c’est parce que jusqu’ici la femme était cantonnée à son rôle reproducteur et la notion de plaisir féminin était soit niée et mise sous le tapis, soit carrément stigmatisée, rien de bon ne pouvait arriver si les femmes se mettaient soudain à chercher à maîtriser leur sexualité et en jouir – ouh le vilain mot qui faisait peur à ces bons hommes !!! Jouir jouir jouir…
Est-ce que vous m’autorisez une petite parenthèse ? Je pense tout à coup à L’Etude en rouge (2), le premier roman d’Arthur Conan Doyle avec comme personnage principal, ce très Sherlock Holmes. L’histoire se passe à Londres bien sûr mais l’origine du double meurtre, puisque meurtre il y a toujours sinon ce n’est pas drôle, nous envoie quelques années plus tôt, nous sommes alors à la fin du XIXème siècle, mon siècle romanesque préféré, dans l’Utah, cet Etat d’Amérique dans lequel Harry ne zona pas, mais à sa place quelques dizaines de migrants mormons. C’est là qu’a lieu une querelle entre deux Charles Ingalls dans la force de l’âge pour savoir qui va épouser la fille de 16 ans d’un vieux membre de la communauté. L’un fait valoir à l’autre qu’il n’a « que » cinq femmes alors que l’autre en a huit, l’autre lui rétorque qu’il est plus riche, ce qui lui permet d’avoir un plus grand harem. Finalement le vieux voudra fuir la communauté pour protéger sa fille et lui permettre d’épouser celui qu’elle aime. Il finira trucidé par les deux larons éconduits et la fille atterrira finalement dans le plus petits des deux harems où elle se laissera mourrir de désespoir. Sordide !
Bien entendu il s’agit d’un roman mais il est largement inspiré de faits et de moeurs réelles, les Mormons étant encore aujourd’hui polygames. En dehors de ce cas spécifique, il est tout de même à noter tout le chemin parcouru en un siècle de demi grâce au combat de femmes et d’hommes attachés à défendre bec et ongles les droits humains fondamentaux. Mais revenons au point G car je m’écarte de mon sujet.
Si j’ai fait cette parenthèse, c’est que le point G est d’une portée symbolique extrêmement puissante puisqu’il met en lumière la question de la jouissance féminine, un sujet tabou pendant longtemps et ce d’autant plus qu’il s’entend avec ou sans homme, celui-ci n’étant pas forcément nécessaire.
Autre découverte intéressante dans ce livre, l’existence chez les femmes de glandes para-utérales que l’on pourrait comparer à la prostate masculine et qui permet même dans certains cas, et surtout certaines dispositions psychologiques et physiologiques, d’éjecter, pour ne pas dire éjaculer, un liquide à la manière des hommes mais en plus abondant et plus liquide, au point que celui-ci peut être confondu avec de l’urine, sauf que ça n’en est pas. Les connaisseurs, pas si nombreux en définitive, parlent de « femmes fontaine », la plupart des femmes ne sont même pas au courant de ce phénomène qui arrive dans un état d’extase intense, un bon gros pied en quelque sorte, qui vous laisse complètement vidé une fois passé. Toutes les femmes ne sont pas forcément en mesure de le faire mais a priori elles ont toutes la même anatomie, et donc les mêmes causes, ou stimuli idouanes, devraient pouvoir produire les mêmes effets. Cependant, la sexualité restant un sujet extrêmement tabou, il est peu probable qu’on enseigne dans nos écoles, pourtant engagées dans divers programmes d’information et d’éducation des élèves sur le sujet, notamment pour promouvoir la protection contre le sida et les MST, qu’on y aborde la question de la jouissance, qu’elle soit masculine ou féminine.
Quand je disais que le sexe est large, du moins la notion de sexe, attention de ne pas mal interpréter le sens de mes propos, il suffit de prendre la liste des guides Osez à la fin de l’ouvrage, une liste qui commence par Osez la fellation, se termine par Osez les touages érotiques et au milieu des dizaines et des dizaines de pratiques à oser, semble-t-il, comme les jeux érotiques, la fessée, coucher pour réussir, coucher à 2,3,4, la bisexualité, la sodomie, le cunnilingus, le quick sex, la masturabation, les sextoys, le libertinage, le bondage – je ne sais même pas ce que c’est alors je vais me précipiter sur Google pour en savoir plus… ah ok bon bah c’est une pratique sexuelle où l’un des deux partenaires est attaché, pas les deux hein sinon on a l’air con pour se détacher !
J’avoue que cette liste à rallonge d’expériences sexuelles me dépite un peu, moi qui suis hétéro monogame et qui n’ait pas connu plus d’une dizaine de femmes dans ma vie, et encore, et même si ma vie n’est pas terminée, je me dis que je ne vais pas avoir le temps de tout essayer, si tant est que j’en ai envie d’ailleurs. Je serais curieux en revanche de savoir si je suis un cas à part, un peu ringard sur le plan sexuel, où si je suis représentatif du plus grand nombre. J’ignore si une étude sociologique a déjà été faite sur le sujet et si les gens iraient confier leur vie sexuelle à un sondeur. Je vais me renseigner. Ce qui est certain en attendant, c’est qu’il y a autant de vies sexuelles que de gens sur terre, certes avec des similitudes mais aussi beaucoup de différences.
Toujours à propos du point Grafenberg, le magasine Biba a récemment enquêté sur le sujet et s’est aperçu qu’il n’y avait pas que le vagin ou le clito qui procure des sensations comparables. Elise, par exemple, adore qu’on lui suce… l’orteil, mais s, mais si ! « Il y a peu, un garçon m’a sucé le gros orteil. J’avais bien sûr déjà entendu parler de cette pratique, que j’ai toujours trouvée dégoûtante. Ça me soulevait le cœur de penser que des gens lèchent des orteils poilus aux ongles mal taillés et crasseux. Mais mon Dieu, quelle découverte incroyable (je précise quand même que j’ai des orteils entretenus !). Sentir mon gros doigt de pied être englouti dans cette zone humide et être entouré par la langue m’a donné des frissons jusque dans le haut du crâne ! » (3). Citons également l’arrière du genou, le cou – qui a dit chou ou bijou ? – le crâne, le menton, les fesses, l’intérieur des cuisses, les chevilles, le nombril, les oreilles… point G est ici une expression générale pour parler simplement de zones érogènes qui sont en effet assez nombreuses sur le corps humain.
Une vie sexuelle qui m’a particulièrement fait halluciner, moi l’homo erectus lambda, c’est celle de Catherine Millet. Née en 48 dans une famille catho, elle pensait même devenir nonne, elle découvre la sexualité au milieu des années 60, ces fameuses années de libération sexuelle tous azimuts avec mai 68 en point d’orgue. A peine deux semaines après son dépucelage à 18 ans, âge somme toute tardif quand on connaît la suite de l’histoire, elle confie dans son journal autobiographique (4) devenu célèbre depuis, avoir expérimenté l’amour à plusieurs. La boîte de Pandore fut donc rapidement ouverte, elle ne se refermera pas. Catherine M. baisera dans tous les lieux possibles et imaginables, boîtes à partouze bien sûr mais aussi parkings, stades, bois, hôtels miteux, châteaux prestigieux. Lits, canapés, moquettes, parpaings, capots de bagnoles verront ses fesses à l’air, la tenue, dit-elle, dans laquelle elle se sent le plus libre, c’est nue. Dont acte ! Elle fera ça à 1, à 2, à 5, à 10, à 50 ou 100, après on ne compte plus, elle ne retiendra qu’une cinquantaine de noms, le reste, des bites anonymes. Elle utilisera tous ses orifices, tous les artifices et y passera des centaines d’heures, peut-être des milliers. Je n’ai pas lu Sade, j’ai lu M. et ce qui m’a le plus surpris, ce n’est pas tant les pratiques sexuelles extra larges qui écrasent la morale de ses bottes cavalières qu’elle aimait parfois garder aux pieds, juste ça, que le détachement avec lequel elle raconte sa vie sexuelle débridée. Comme si ce n’était pas elle en fait, comme si c’était une autre, qu’elle observe et décrit, sans jugement, méticuleusement. Peut-être est-ce parce qu’elle a exercé le métier de critique d’art, un univers dans lequel tous n’ont qu’une envie, artistes ou atomes qui gravitent autour, celui d’exploser le noyau de tous les carcans de la société, qu’elle soit bourgeoise ou déjantée. Peut-être a-t-elle imaginé sa vie comme une oeuvre d’art, de l’art sexuel, une sorte de Picasso de la partouze.
Tout cela est bien beau, me dis-je, sortant de mes fantasmes de manière un peu brutale, mais c’est oublier qu’au milieu des années 80, est apparue une maladie qu’on appelle le Sida, c’était d’ailleurs le Sidaction ce week-end, et que cette maladie a décimé des millions de jeunes gens qui voulaient jouir sans entrave. Comme il y a un avant et un après Metoo, il y a eu un avant et un après Sida, et l’après a été moins funky que l’avant. `Alors on peut tout oser, on peut même acheter tous les guides du routard de la bite et de la chatte, mais on peut surtout oser le préservatif.
Osons !
(1) Osez découvrir le point G, Ovidie, Editions La Musardière, 2017
(2) Une étude en rouge, Arthur Conan Doyle, Beeton’s Christman Annual, 1887
(3) Mon point G à moi c’est ça, Biba n°60, 1er mars 2023
(4) La vie sexuelle de Catherine M., Catherine Millet, Editons du Seuil, 2001
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