Refondation

Pincez-moi je rêve ! Emmanuel Macron, qui a revêtu son col roulé des jours difficiles à venir, a clairement l’intention de nous enrhumer trois fois. C’est d’ailleurs écrit sur la page d’accueil du site internet dédié à ce Conseil National de la Refondation (CNR) : « Lors du quinquennat précédent, Le Grand débat national, la Convention citoyenne pour le climat, l’enrichissement des missions du Conseil économique, social et environnemental, ont été autant de manières de créer un rapport plus direct entre les citoyens et la vie politique. »

Remarquez, y a pas plus direct comme rapport que de se faire mettre à sec. Vous me pardonnerez cet élan de vulgarité, ou pas, mais j’ai encore en mémoire ce grand soir d’incendie, Notre-Dame brûlait en effet, ou peut-être était-ce le lendemain voire le sur-lendemain, toujours est-il que notre cher président nous annonçait qu’il n’y aurait pas de synthèse du Grand débat, que tout avait été annoncé dans son programme et qu’il allait s’en tenir là. Fin de la discussion, rangez vos contributions, merci d’avoir participé, maintenant retournez au boulot ou au chômage bande de sales gilets jaunes. Je ne peux pas l’oublier, c’est cet évènement qui a provoqué la création de cette boîte à idées citoyennes, citizn.org, site sur lequel vous lisez peut-être cette chronique.

En même temps, comme dirait Macron, plus c’est gros plus ça passe, comme dirait Chirac. L’adage populaire dit aussi, jamais deux sans trois, alors allons-y gaiement, une troisième fois, participons, et en col roulé qui plus est.

De quoi allons-nous causer cette fois ?

Climat et biodiversité

« C’est l’urgence du siècle, et elle exige une planification de nos actions, de l’échelle planétaire à l’échelle locale, une accélération de nos efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et une adaptation de notre société aux effets du changement climatique. »

Dès le premier sujet, la température de mon corps monte déjà. Réalise-t-il qu’il a fait plancher des centaines de citoyens pendant des mois sur ce sujet qui lui ont rendu un rapport gros comme un bottin, rapport qu’il s’est empressé, sur les conseils de McKinsey, spécialiste mondial des gros rapports, de jeter à la poubelle, et voilà que Monsieur nous demande de recommencer le même travail. Il nous prend pour des hamsters celui-là !

Bien vieillir

« Notre société fait face à une forte transition démographique (baisse de la natalité, vieillissement de la population) et doit prendre en compte ses conséquences : prendre soin de nos plus âgés, les aider à vieillir dans les meilleures conditions, sauvegarder l’équilibre de la protection sociale et renforcer la solidarité entre les générations. »

Là encore, on rigole, l’Etat, sans doute toujours sur les conseils de McKinsey et consorts, ou qu’on rentre c’est au choix, a laissé au privé le marché de l’accueil des personnes âgées dépendantes (les fameux EPHAD) sans pour autant en contrôler l’intégrité et la qualité d’accueil et de soins. Je vous renvoie pour les détails à l’affaire Orpéa. Aujourd’hui, il se sent soudain l’âme charitable, enfin prêt à veiller sur nos petits vieux qui sucrent les fraises, à ce stade c’est plutôt de la confiture, voire de la déconfiture, que des fraises bien rouges et juteuses. Qu’il commence par avancer sur le sujet de la fin de vie volontaire, au point mort depuis la loi Leonneti.

Souveraineté économique

« Aujourd’hui, notre modèle économique et productif doit se transformer en ayant pour objectif la réindustrialisation de notre pays, le renforcement de notre souveraineté technologique, les défis écologiques et climatiques et la lutte contre les inégalités, ainsi que la nécessaire justice sociale et redistribution des richesses. »

Bravo, bravissimo, on applaudit des deux mains, réindustrialisation, justice sociale, redistribution des richesses… j’ai même les larmes qui me montent aux yeux tiens ! Macron fait dans le social à présent. La réindustrialisation, parlons-en ! Il y avait cette semaine sur France 2 une enquête intitulée Vert de rage, dont la première partie traitait de l’ancien site industriel de Metaleurope dans le nord de la France, un complexe immense que les pouvoirs publics ont laissé couler, ses salariés avec, et qui aujourd’hui font semblant de ne pas voir que le sol et l’air sont pollués au plomb sur des kilomètres à la ronde, certains gamins atteints de saturnisme, cancers, j’en passe et des pires. Et pendant ce temps, l’Etat observe en silence, complice de la société mère, Glencore, une société suisse, qui en a clairement rien à carrer de la santé des Ch’tis. Alors, c’est bien beau de vouloir réindustrialiser le pays cher Emmanuel, mais commencez par nettoyer le merdier laissé par la désindustrialisation ou forcez ceux qui en sont responsables à le faire, avec les milliards qu’ils y ont gagnés. Après, et seulement après, on pourra parler.

Futur du travail

« Le sens du travail dans un monde en mutation, le bien-être au travail, l’évolution des rémunérations, la formation professionnelle ou encore la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle sont autant de questions auxquelles nous devons apporter des réponses. Les derniers freins au plein emploi, en matière de formation professionnelle, de logement ou encore de garde d’enfants doivent aussi être levés. »

Le futur du travail ? Eh bien, c’est pas compliqué, y en a pas ! Les nouvelles générations ont vu où ça mène de se casser le cul toute la journée, c’est à dire nulle part, un no man’s land où les riches sont toujours plus riches car ils possèdent le capital et les pauvres toujours plus pauvres car ils possèdent que dal. Les jeunes ont compris ça, par conséquent ils ne veulent plus bosser, ou plus pareil, à mi-temps max et selon leurs conditions. Ils ne veulent plus bosser dans la médecine, trop chiants les gens, dans la restauration, trop compliqués les horaires, dans la grande distribution, trop tôt le matin, dans l’agriculture, trop sale la terre sans parler de la bouse de vache, dans le commerce, trop d’heures trop mal payées… Aujourd’hui, les jeunes veulent être influenceurs. Voilà le futur du travail, influenceur ou influencé, choisis ton camp de concentration camarade ! Quant à l’évolution de la rémunération, il serait opportun qu’elle intervienne très rapidement car avec le tsunami d’inflation qui est en train de s’abattre sur nos économies et nos petits salaires, nous allons bientôt tous vivre comme des Russes. Le travail est mort, vive le travail !

Logement

Rendre l’accès au logement plus facile, améliorer les conditions de vie, préparer les transitions de la vie : autant de défis à relever ensemble.

Là, ils se foutent une fois encore de notre gueule. Les prix de l’immobilier ont explosé partout au point que personne n’a plus les moyens de vivre en ville. Et les jeunes, pour en reparler, puisqu’il en est question dans pratiquement tous les sujets du CNR, hormis celui sur les vieux, faut leur dire la vérité à ces jeunes. Au train où vont les choses, une bonne part d’entre-eux ne deviendra jamais propriétaire, ou alors quand Papy ou Mamy casseront leurs pipes mais ce n’est pas prêt d’arriver puisque désormais on va prendre soin d’eux, qu’on vous dit. Vous suivez ou quoi ! Bref le logement, ce sera toujours plus petit et toujours plus cher, sans parler des charges qui vont exploser avec le coût pharaonique de l’énergie. Le mieux serait sans doute de retourner à l’âge de pierre, vivre dans une grotte avec des peaux de bêtes sur le dos en discutant autour du feu. Au moins, on se débarrasserait de ces saletés de mobiles débiles.

Jeunesse

Nos jeunes sont l’avenir de notre pays. Leur formation, leur mode de vie, leurs espoirs et leurs angoisses doivent faire l’objet d’une attention spécifique.

Je vous l’avais dit, ils sont partout dans cette convention, et pour cause puisqu’ils sont notre avenir. Et pour ceux qui ont des enfants, on appelle généralement ça des parents, ils savent bien qu’ils sont aussi notre présent, bien présent même. Les jeunes ont des angoisses ? Et nous alors, vous croyez qu’on a quoi ? Surtout quand on les regarde grandir les yeux rivés sur les smartphones. On veut faire attention à eux, qu’on commence par leur interdire l’usage d’un écran avant 16 ans. Un peu dictatorial comme mesure je vous l’accorde, encore que les dictateurs ont plutôt tendance à rendre l’usage du mobile obligatoire, demandez aux Chinois ce qu’ils en pensent, car le mobile permet de fliquer la population sans douleur. Toujours est-il que toutes les études le montrent, diminuer l’exposition aux écrans et vous diminuez le stress, chez les enfants comme chez les adultes. Mais c’est encore plus vrai chez les enfants dont le niveau d’addiction est le plus élevé, surtout ceux qui ont grandi un téléphone, une tablette ou une console qui ne console pas, à la main. Les écrans, c’est la maladie du siècle et le poison de notre jeunesse. Vous voulez la protéger, légiférez sur la consommation d’écrans.

Numérique

« La transition numérique est partout : démarches quotidiennes, digitalisation de nos activités et consommation, sécurité et information… À la croisée de ces enjeux, des solutions communes et inclusives doivent être trouvées. »

La transition est parfaite non ? Dans le paragraphe précédent, j’appellais nos gouvernants à interdire ou limiter la consommation d’écrans comme on le fait pour toutes les drogues dures et aussitôt après, les initiateurs du CNR déclarent que le Numérique est partout. Autrement dit, le combat est perdu d’avance. Daniel Cohen a totalement raison, nous sommes devenus des homo numericus et nous en crèveront (1).

Le pire dans cette histoire de refondation, ce n’est pas de vouloir nous refaire le coup du Grand débat national, après tout il a le droit d’essayer de ressortir sa botte de Nevers Emmanuel, puisqu’elle avait parfaitement fonctionné la première fois. Non le pire, c’est de voir que les deux sujets les plus importants sont enterrés en bas de page dans la section « projets locaux », à savoir l’Ecole et la Santé. Comme si l’Ecole et la Santé étaient des projets locaux ! De qui se moque-t-on encore une fois ?

Notre école

« L’école est au cœur de notre contrat républicain. Des solutions, locales et nationales, doivent être trouvées pour continuellement assurer la réussite de nos élèves, réduire les inégalités de destin et assurer le bien-être de tous.« 

L’avenir, ce n’est pas seulement la jeunesse, l’avenir c’est l’école et la jeunesse, les deux ! L’un ne va pas sans l’autre, les gamins y passent le plus clair de leur temps et y apprennent ce qui est censé remplir leur caboche. Une école qui se casse la gueule, c’est notre avenir qui fout le camp. C’est bien beau ces déclarations d’intentions, réduire les inégalités, assurer le bien-être de tous, bla bla bla mais vous n’y mettez pas les moyens, c’est tout. On a trouvé des centaines de milliards pour vacciner contre le Covid et on n’arrive pas à en trouver quelques dizaines pour renverser le bureau et repartir sur de bonnes bases. Epargnez-nous vos belles phrases, ce qu’il faut c’est du pognon ! Pareil pour la santé.

Notre santé

« Lutte contre les déserts médicaux, améliorer la prévention, réparer l’hôpital public et les urgences : la santé est un des joyaux de notre service public à renforcer et rendre encore davantage attractif et accessible. »

Sur la santé, nous sommes tous d’accord au fond. Et tous les gens qui ont une maladie grave ou un handicap, ceux qui ont survécu et ceux qui ont côtoyé des gens malades, ceux qu’on appelle gentiment les accompagnants, savent que la santé est Le point central. La santé, c’est comme un bouton marche/arrêt. Quand vous ne l’avez plus, c’est plus la même histoire. Nous avions l’un des meilleurs systèmes de santé au monde, nous avons laissé les consultants nous lire l’heure avec notre montre à coups de milliards, et voilà le résultat ! Ils ont tout cassé. C’est maintenant la charité qui se fout de l’hôpital, et les cliniques privées qui rigolent. Ce n’est pas normal, c’est même un véritable scandale, une atteinte majeure à l’intérêt général. Alors oui, remettez de l’ordre dans tout ça, et vite.

Vous aurez remarqué qu’ils ont, délibérément ou pas, oublié quelques sujets majeurs tels que la sécurité et la justice, à l’heure où pour la première fois dans l’histoire de cette république bananière qu’est la France, dixit nos amis les nordiques, un garde des sceaux est mis en examen.

Alors on va s’arrêter là et tu sais quoi Manu, ton CNR, tu vas faire comme avec le Grand débat, tu vas le prendre, en faire une grosse boule de papier numérique et te la fourrer où je pense, c’est à dire dans le fondement. C’est peut-être ça la refondation après tout ! Et puis tu fais pareil avec ton ptit col roulé à la con, non mais ! Faut pas me chauffer avant l’hiver moi, surtout au prix où est le fioul !

(1) Homo Numericus, la civilisation qui vient, Daniel Cohen, Albin Michel, 2022.