Sportive

Quand j’étais gamin, je passais une partie de mon été chez mes grands parents agriculteurs dans l’Orne. Et chaque été, il y avait des incontournables. Avec mon grand-père Georges, c’était le Tour de France. Dans ces années-là, on encourageait Hinault, Fignon puis Lemon, Indurain, Virenque, Pantani… pas encore Armstrong, lui n’en avait pas besoin de toute façon, il avait son biberon. On ne manquait aucune étape et l’excitation était à son comble lors des grandes ascensions : Izoard, Tourmalet, Ventoux… que de bons souvenirs sous le soleil de juillet ! Ma grand-mère n’était pas en reste figurez-vous. Le Tour ne l’intéressait pas plus que cela, par contre elle participait à des courses de vélo féminines locales. Elle avait un sacré tempérament ma grand-mère Marcelle. Elle est d’ailleurs toujours sur ses deux cannes à plus de 90 ans. La tête est perdue dans les nuages malheureusement mais je suis certain qu’elle tiendrait encore sur un vélo et vous en montrerait. Nous allions la voir courir sur les petites routes de campagne et toute la famille criait pour l’encourager, c’était chouette, c’était le bon temps comme dirait l’autre…

Avec le recul, je me dis que c’était vraiment une dure à cuire. Levée aux aurores, s’occuper des vaches, de la maison, des champs, du jardin, des poules, des oies, et trouver le temps d’aller faire de la bicyclette…

Je m’en allais chercher des oies
Du côté de Fouilly-les-oies
A bicyclette.
Soudain qui vois-je devant moi ?
Un’ belle fille au frais minois
A bicyclette.
En arrivant à sa hauteur,
J’y fais’ un sourire enchanteur
A bicyclette.
Ell’ rit aussi, on parle alors
Et ell’ me dit dans nos transports
A bicyclette… (1)

Avant-gardiste aussi ma grand-mère car faire du cyclisme féminin dans les années 60, 70 n’avait rien d’évident, surtout à la campagne et que vous êtes agricultrice. Plus tard, il y avait eu la période Jeannie Longo, une véritable icône. Cet été, le Tour de France féminin a fait son grand retour avec une course en huit étapes alors que pendant dix ans, les organisateurs se sont contentés d’une seule, histoire de dire qu’ils avaient fait quelque chose. La Néerlandaise Marianne Vos, trois fois championne du monde sur route, championne olympique, championne de cyclocross et gagnante de nombreuses grandes courses (Flèche wallone, Giro) s’est largement battue pour le retour d’un véritable Tour de France féminin. La fameuse Grande boucle vient de s’achever et ce n’est pas Vos qui l’a emporté mais Annemiek Van Vleuten, devant Demi Vollering, deux coureuses… néerlandaises bien sûr ! Il y a beaucoup de ressortissantes des Pays-Bas dans le cyclisme féminin et ce n’est pas une surprise car comme l’expliquait Marianne Vos, dans une récente interview du magazine L’Equipe (2), aux Pays-Bas les enfants sont encouragés à aller à l’école à vélo même lorsque celle-ci se situe à plusieurs kilomètres de leur maison. Le collège de Marianne se trouvait lui à 15 kms de chez elle et parfois, elle rentrait le midi. Un phénomène comparable aux enfants kenyans ou éthiopiens qui vont à l’école en courant et pieds nus, inutile d’espérer les battre en course à pied.

Plus généralement, le sport féminin est en train de prendre une place de plus en plus importante dans le coeur des gens et l’espace médiatique. Toujours cet été, plusieurs matchs de l’Euro féminin de football ont été retransmis en direct sur TF1 et pas uniquement ceux de l’équipe de France. La finale, Angleterre-Allemagne, a même rassemblé plusieurs millions de téléspectateurs et sur place, Wembley était plein a craqué et sans chants racistes et homophobes, ça change du football masculin en effet !

Ce qui change aussi du football masculin, c’est la langue de bois. Comme le dit si bien Didier Deschamps à propos de la coupe du monde au Qatar, les footballeurs ne sont pas là pour faire de la politique ! Juste pour empocher des millions, les yeux fermés mais les poches ouvertes. Dans le même temps, Lise Klaveness, la présidente de la fédération norvégienne de football féminin montait à la tribune d’une conférence de la FIFA pour dénoncer les conditions inacceptables dans lesquelles cette compétition a été organisée. Je ne vous dis pas la tête de Gianni Infantino, le président italien de la FIFA, qui manifestement n’avait pas été prévenu du contenu du discours de la Norvégienne. Dans le même style, sa compatriote Ada Hegerberg, attaquante star de l’Olympique Lyonnais et première femme ballon d’or de l’histoire en 2018, avait réagi à la volonté de la FFF d’organiser l’Euro 2025 de football féminin en les taclant sur Tweeter d’un singlant « Organiser des compétitions internationales, c’est bien. Investir dans notre championnat, c’est mieux. » Jean-Michel Aulas, illustre patron de l’Olympique Lyonnais et pionnier en matière de promotion du football féminin, avait dû présenter ses excuses publiquement. Pas faciles ces Nordiques !

En fin d’année, nous aurons également la coupe du monde de Rugby féminin en France et d’autres compétitions suivront j’en suis certain car j’ai le sentiment qu’une nouvelle page du sport féminin est en train de s’ouvrir en ce moment. Quand les Etats-Unis reviennent au Moyen-Age en ce qui concerne les droits des femmes, l’Europe mise sur l’avenir. Bon, quand on sait que dans la mythologie grecque, Europe, fille d’Agenor, roi de Tyr, fut enlevée et abusée par Zeus lui-même, on a peut-être pas intérêt à la ramener de trop. Ceci dit, si Europe avait été Norvégienne ou Néerlandaise, ou si elle avait eu le tempérament de ma grand-mère Marcelle, les choses ne se seraient certainement pas passées ainsi et Zeus aurait pris un bon coup de pied où je pense, et avec les crampons en prime. Non mais dit oh, il se prend pour qui celui-là !

Sources / Notes

(1) A bicyclette, chanson interprétée par Bourvil, 1947

(2) L’Equipe Magazine, interview de Marianne Vos, 23/7/2022