Tonton
Alors que l’on célèbre cette semaine le 40ème anniversaire de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le grand retour de la gauche au pouvoir depuis Blum, moi ce n’est pas ce Mitterrand là que j’ai en tête. Comme le dit Patrick Rotman, dans la BD qu’il vient de publier avec Jeanne Puchol (1), « François Mitterrand a sans aucun doute la vie la plus romanesque, la plus aventureuse de tous les hommes politiques. Chaque fois qu’on ouvre un placard, on trouve un cadavre ». A côté, la vie d’Emmanuel Macron, tout Rastignac du XXIème siècle soit-il, paraît bien lisse. Même Hollande et ses chevauchées en scooter pour rejoindre telle ou telle maîtresse, bien qu’il porte le même prénom, n’arrive pas à la cheville du collectionneur de jupons qu’était François Mitterrand.
Dans Mitterrand et ses ombres, Rotman et Puchol nous racontent trois affaires emblématiques du personnage Mitterrand : les fuites, le bazooka et l’Observatoire, trois affaires rocambolesques sur fond de guerres d’Indochine et d’Algérie. Un mélange de Touchez pas au grisbi, Les Tontons flingueurs et OSS 117. D’ailleurs, a y regarder de près, avec ses cheveux gominés, il a un petit côté Mitterrand des années 50 cet officier Dujardin.
Si vous n’êtes pas au fait des affaires que je viens de citer, laissez-moi vous en faire le pitch rapidement. L’affaire des fuites, ça se passe pendant la guerre d’Indochine. Comme vous le savez, ou pas, on avait pris un sacré bouillon face aux cocos Vietminh dans la cuvette de Dien Bien Phu en 1953. La guerre tournait à la sauce soja pour nous et il fallait envisager une solution politique. C’était le début de la fin de l’empire colonial français. Chaque mois se tenait à l’Elysée un conseil de sécurité crucial – tiens tiens cette expression me dit quelque chose ! Pavé dans la mare, le parti communiste avait apparemment accès aux comptes-rendu secret défense des comités, il y avait donc un traitre dans la place. Quand Mendès prit la présidence du Conseil en 1954, Mitterrand fut nommé à l’Intérieur et fut donc à ce titre autorisé à participer à ces conseils. Il fut ensuite soupçonné d’être le traitre en question. Sauf que les fuites avaient commencé bien avant l’arrivée de Mitterrand à l’intérieur, ce qu’on s’était bien gardé de dire à Mendès. Les vrais coupables furent finalement identifiés grâce à un vaste système de mise sur écoute supervisé par le ministre de l’intérieur lui-même, Mitterrand fut innocenté, mais il en voulut terriblement au président du Conseil de l’avoir soupçonné.
L’affaire du bazooka se passe à Alger en 1957. Une bande de pieds nickelés proche des idées de l’Algérie française bombardent le bureau du Général Salan à coup de bazooka depuis l’immeuble d’en face, un attentat qui coûtera la vie à son adjoint. Le coup est très mal monté, les indices suffisants pour que les coupables soient identifiés en une semaine. A cette époque, Mitterrand est Garde des Sceaux du gouvernement Mollet, au meilleur endroit pour suivre cette enquête qui aboutira jusqu’au sénateur Debré dans le rôle du commanditaire. Mitterrand, l’expert des manoeuvres, étouffe l’affaire et Debré ne sera pas inquiété. Fin du premier acte. Deux ans plus tard, Mitterrand se fait tirer dessus à la mitraillette, attentat dit de l’observatoire. En fait d’attentat, Mitterrand était loin de sa voiture, et pour cause puisqu’il était au courant de l’opération, opération visant à ne pas être victime d’un vrai attentat, perpétré par exemple par l’OAS(Organisation de l’Armée Secrète) ou une autre faction du même acabit. Mitterrand assurera sa défense lui-même devant l’assemblée et accusera entre les mots Debré, devenu depuis Premier ministre, de lui avoir tendu un piège pour se venger de l’humiliation subie d’avoir dû implorer Mitterrand de ne pas faire lever son immunité parlementaire lors de l’affaire du bazooka d’Alger. Tout ça est un peu compliqué à suivre j’en conviens, surtout si on ne s’intéresse pas aux affres de la 4ème République, mais c’est tellement Mitterandesque. Les affaires, les écoutes, l’espionnage, les barbouzes, les attentats, les cadavres dans les placards, comme dit Rotman, les doubles, triples, quadruples vies, les maîtresses, tout ce rififi, on le retrouvera après son accession au pouvoir en 1981. Quelle remarque stupide de ma part, pourquoi Mitterrand aurait arrêté de manoeuvrer une fois arrivé au sommet de l’Etat ? Ce n’est pas un vieux singe, arrivé à l’hiver de sa vie, qui va arrêter de faire des grimaces.
On aime ou on n’aime pas Mitterrand, mais quel aventurier tout de même ! C’est aussi le titre choisi par Marc Francelet pour son autobiographie sortie le 12 mai (2). Marc Francelet est un personnage haut en couleurs. Ancien paparazzi, en bon italien on devrait dire paparazzo, ami de Johnny, Belmondo, Sagan et toute la jetset de l’époque, il se spécialise ensuite dans « l’intermédiation » façon Ziad Takkiedine. Il joua par exemple de son réseau pour obtenir des contrats d’exploitation pétrolière ou acheter et revendre des tableaux de maîtres, une palette professionnelle assez hétéroclite comme il se doit dans ce genre de « métier ». Il raconte dans son bouquin sa rencontre avec Mitterrand président chez Sagan. Sagan avait de gros soucis avec le fisc et Mitterrand, qui était son ami, s’en souciait mais ne pouvait pas intervenir si directement auprès des services fiscaux de l’Etat. Et puis, cela auraît trop simple, trop facile peut-être, trop visible sans doute et surtout pas assez tordu pour Mitterrand. Il fallait trouver autre chose. Ce qui fut fait. Il permit de débloquer un contrat entre le groupe Elf, la branche pétrolière de l’Elysée, et l’Ouzbékistan. Ce contrat permit en effet à Francelet et Sagan d’empocher de confortables « rétrocommisssions », le même genre que celles de Karachi, qui permirent à la romancière de rembourser sa dette.
Des histoires comme celle-ci, on pourrait en remplir bien des livres. Je suis même surpris que Netflix ne se soit pas encore penché sur le cas Mitterrand. On lui colla plusieurs surnoms, Dieu, le Sphynx ou le Monarque républicain, mais celui qui lui va le mieux je trouve, c’est Tonton. Tonton flingueur bien sûr !
Références
(1) Mitterrand et ses ombres, Bande dessinée de Patrick Rotman et Jeanne Puchol, Delcourt, 2021.
(2) L’Aventurier, Marc Francelet, avec Jean-François Kervéan, Cherche Midi, 2021.
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