# SociétiX

Une époque formidable

20 avril 2022

Il y a tous les ans à Davos, une charmante station de ski suisse, un forum réunissant les puissants de ce monde : grands patrons, banquiers, entrepreneurs, lobbyistes, politiques… Emmanuel Macron y était allé la première année de son premier mandat, puisqu’il est fort probable à présent qu’il y en ait un second.

Je me demande s’il existe la même chose pour le monde d’en-bas, un évènement réunissant les impuissants, un évènement qu’on pourrait appeler « Damnos », le forum des damnés de la terre. Il réunirait les ratés de tous poils, losers, marginaux, clochards, putes et tout ce que cette planète compte de crèves la fin. Cela pourrait se tenir dans un bidonville quelconque, en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie ou dans la banlieue nord de Marseille.

A quelques jours d’un second tour sans intérêt, si ce n’est de savoir si Marine Le Pen va faire 40, 45 ou 48% des votes, je suis inquiet. Mais mon inquiétude ne concerne pas Marine Le Pen, au risque de vous choquer. Mon inquiétude est de voir la France tomber à pic dans le libéralisme économique, et sans parachute. De ce libéralisme qui sépare les gagnants et les perdants de la mondialisation, et entre les deux une classe moyenne qui se paupérise à la vitesse de l’inflation, c’est à dire vitesse grand V, accélérée par les conséquences du Covid et de la guerre en Ukraine. Encore que inquiet n’est pas le bon adjectif, car il ne s’agit pas d’un risque mais d’une réalité. Triste serait peut-être plus adapté. Triste quand je vois le nombre de SDF se multiplier au pied de mon immeuble de bureaux, moi qui ai encore la chance d’en avoir un de bureau, et un beau qui plus est, avec un boulot dedans. Mais pour combien de temps ?

On dit qu’en France, nous avons la chance d’avoir des amortisseurs sociaux et c’est vrai. Mais les amortisseurs, c’est comme n’importe quelle pièce auto, à force de s’en servir, ça s’use, n’est-ce pas Tonton ? Combien de temps allons-nous pouvoir financer cette sécurité sociale, une sécurité toute relative puisque lorsque vous tombez malade, par exemple, non seulement vous ne pouvez plus travailler et aller chercher bonus, primes, avantages, black, etc. mais en plus votre salaire de base est amputé de plusieurs dizaines de pourcents selon le niveau de votre salaire initial, la sécu n’ayant pas vocation à vous payer à ne rien faire, même malade. Mais c’est toujours mieux que rien, mieux que des assurances privées, un système qui laisse tomber une partie de la population sans même sourciller, un système à l’américaine, recommandé par Mc Kinsey.

Cette vision sombre de l’avenir, puisque personne ne nous en propose une joyeuse, à part Fabien Roussel du PCF et sa France des jours heureux, mais on connaît à présent la popularité de son programme (2,28%), me rappelle une chanson de Grand Corps Malade, interprétée en duo avec Richard Bohringer. Elle s’appelle Course contre la honte (1) et je tiens à partager avec vous l’intégralité du texte.

Eh Tonton, est-ce que tu as regardé dehors ?
Sur l'avenir de nos enfants, il pleut de plus en plus fort
Quand je pense à eux pourtant, j'aimerais chanter un autre thème
Mais je suis plus trop serein, je fais pas confiance au système
Ce système fait des enfants mais il les laisse sur le chemin
Et il oublie que s'il existe, c'est pour gérer des êtres humains
On avance tous tête baissée sans se soucier du plan final
Ce système entasse des gosses et il les regarde crever la dalle 
Tonton on est du bon côté mais ce qu'on voit, on ne peut le nier
J'ai grandi au milieu de ceux que le système a oubliés


On vit sur le même sol mais les fins de mois n'ont pas le même parfum
Et chaque année monte un peu plus la rumeur des crève-la-faim
Le système a décidé qu'il n'y avait pas de place pour tout le monde Tonton, t'as entendu les cris dehors, c'est bien notre futur qui gronde
Le système s'est retourné contre l'homme perdu dans ses ambitions
L'égalité est en travaux et y a beaucoup trop de déviations

Eh Tonton... On va faire comment ? 
Dis-moi Tonton, on va faire comment ?
Est-ce que les hommes ont voulu ça, est-ce qu'ils maîtrisent leur rôle
Ou est-ce que la machine s'est emballée emballée et qu'on a perdu le contrôle

Est-ce qu'il y a encore quelqu'un quelque part qui décide de quelque chose ?
Ou est-ce qu'on est tous pieds et poings liés en attendant que tout explose ?
Difficile de me rassurer Tonton, je te rappelle au passage
Que l'homme descend bel et bien du singe pas du sage
Et c'est bien l'homme qui regarde mourir la moitié de ses frères
Qui arrache les derniers arbres et qui pourrit l'atmosphère
Y a de plus en plus de cases sombres et de pièges sur l'échiquier
L'avenir n'a plus beaucoup de sens dans ce monde de banquiers
C'est les marchés qui nous gouvernent, mais tous ces chiffres sont irréels

On est dirigé par des graphiques, C'est de la branlette à grande échelle

Eh Tonton, on va faire comment, tu peux me dire? Comme il faut que tout soit rentable, on privatisera l'air qu'on respire
C'est une route sans issue, C'est qu'aujourd'hui, tout nous démontre
On va tout droit vers la défaite dans cette course contre la honte

Eh Tonton... On va faire comment? Dis-moi tonton, on va faire comment?
Entre le fromage et le dessert, tout là-haut dans leur diner
Est-ce que les grands de ce monde ont entendu le cri des indignés
Dans le viseur de la souffrance, y a de plus en plus de cibles

Pour l'avenir, pour les enfants, essayons de ne pas rester insensibles

Ma petite gueule d'amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
On va rien lâcher, on va aimer regarder derrière pour rien oublier, ni les yeux bleus ni les regards noirs
On perdra rien, peut-être bien un peu, mais ce qu'il y a devant, c'est si grand
Ma petite gueule d'amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
T'as bien le temps d'avoir le chagrin éternel
S'ils veulent pas le reconstruire le nouveau monde, on se mettra au boulot
Il faudra de l'utopie et du courage
Faudra remettre les pendules à l'heure, leur dire qu'on a pas le même tic tac, que nous, il est plutôt du côté du coeur

Fini le compte à rebours du vide, du rien dedans
Ma gueule d'amour, mon petit pote d'azur il est des jours où je ne peux rien faire pour toi
Les conneries je les ai faites, et c'est un chagrin qui s'efface pas
Faut pas manquer beaucoup pour plus être le héros, faut pas beaucoup
J' te jure petit frère, faut freiner à temps
Va falloir chanter l'amou, encore plus fort
Y aura des révolutions qu'on voudra pas, et d'autres qui prennent leur temps, pourtant c'est urgent.
Où est la banque?
Il faut que je mette une bombe, une bombe désodorante, une bombe désodorante pour les mauvaises odeurs du fric qui déborde
Pas de place pour les gentils, pour les paumés de la vie

Chez ces gens-là, on aime pas, on compte

Ma petite gueule d'amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
Ptit frère, putain, on va le reconstruire ce monde
Pour ça, Tonton, faut lui tendre la main
Tonton, il peut rien faire si t'y crois pas
Alors faudra se regarder, se découvrir, jamais se quitter
On va rien lâcher
On va rester groupé
Y a les frères, les cousines, les cousins, y a les petits de la voisines, y a les gamins perdus qui deviennent des caïds de rien, des allumés qui s'enflamment pour faire les malins
Y a la mamie qui peut pas les aider, qu'a rien appris dans les livres, mais qui sait tout de la vie

À force de ne plus croire en rien, C'est la vie qui désespère
Faut aimer pour être aimé
Faut donner pour recevoir
Viens vers la lumière, ptit frère
Ta vie c'est comme du gruyère, mais personne te le dis que tu as une belle âme
Ma petite gueule d'amour, mon Polo, mon ami Châtaigne
On va rien lâcher
On va aimer regarder derrière pour rien oublier (1)

Hey Manu, on va faire comment hein ? Dire que ton slogan, c’est « Nous tous ». Qu’est-ce que tu entends par là exactement ? Que dis Mc Kinsey sur ce point ?

Hey Manu, je te recommande d’écouter cette chanson, ou de la regarder tiens, Grand Corps Malade et Bohringer à la gare Saint-Lazare.

Cela m’émeut de voir Bohringer, comme ça, dans cette gare et sur ce thème. Forcément le cinéphile en moi repense à Une Epoque Formidable (2), où il joue le rôle d’un clochard « expérimenté » aux côtés d’un Gérard Jugnot qui vient de perdre son job et descend l’échelle sociale aussi vite que sa pomme dans l’escalator de la gare. Troisième laron, Ticky Holgado, alias Crayon, qui s’est fait broyer les jambes par une voiture qui ne l’avait pas vu sous les cartons. Paix à ton âme Ticky.

J’ai le sentiment que c’est un peu ça la France d’aujourd’hui et de demain, des gens dans une voiture, électrique évidemment, qui ne voient pas ceux qui sont sous les cartons et qui roulent dessus sans s’en apercevoir.

Hey Manu, on va faire comment ? Tu as vu ce qui est écrit sur le piano libre service de la gare Saint-Lazare ? A vous de jouer !

A toi de jouer Manu !


Sources :

(1) Course contre la honte, duo Grand Corps Malade et Richard Bohringer, sur l’album Funambule de Grand Corps Malade, 2013.

(2) Une Epoque Formidable, film de Gérard Jugnot, 1991

Vous souhaitez intéragir ? Écrivez un commentaire !

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • L’otium du peuple
    # PhilosophiX

    L’otium du peuple

    16 août 2022
    La question divise, et pas qu'à l'Assemblée où les députés se sont opposés sur la question pour les salariés, dans un contexte d'inflation galopante, de pouvoir se faire payer leurs heures de RTT en euros sonnants ...
    Lire la suite
  • Chronique d’une liaison passagère
    # CinémiX

    Chronique d’une liaison passagère

    22 septembre 2022
    Paraît-il qu'on fait toujours le même film. Je veux parler des cinéastes bien sûr, pas de vous et moi, qui nous faisons parfois des films dans notre tête, peut-être toujours plus ou moins les mêmes d'ailleurs, mais ...
    Lire la suite