# PolitiX

Vieux singes

7 septembre 2024

La montagne aura finalement accouché d’une souris, une souris montagnarde cela dit. Emmanuel Macron, après des semaines de tergiversation, a enfin nommé un nouveau Premier ministre. Une souris, ou plutôt un singe, un vieux singe de la politique, à qui on n’apprend pas à faire des grimaces. J’avais parié il y a quelques billets sur un autre vieux singe, dont le nom commence aussi par un B, François Bayrou, qui est, double hasard, aussi né la même année que Michel Barnier, en 1951, deux solides montagnards, l’un des Alpes, l’autre des Pyrénées. Bon voilà, j’avais le profil, l’année, la première lettre, je me suis simplement trompé de singe, à quelques mois près zut, mais la logique sous-jacente reste la même. Nommer quelqu’un qui a suffisamment de bouteille pour naviguer à vue et négocier avec les différentes forces politiques en présence, quelqu’un qui ne soit pas trop clivant, capable de conclure des deals, trouver des accords avec le plus grand nombre, y compris le Rassemblement National, puisqu’ils détiennent un tiers des sièges.

Pendant ce temps, la gauche fulmine et appelle à la manifestation partout en France. Ils estiment qu’il s’agit d’un déni de démocratie, qu’ils ont gagné les législatives et qu’à ce titre, Emmanuel Macron avait le devoir de nommer leur candidate, Lucie Castets. Seulement, arriver en tête ne veut pas nécessairement dire gagner. Il s’agit ici de ce que l’on appelle une majorité relative, toute relative même puisque pour la constituer, ils ont dû rassembler les élus et les électeurs de LFI, d’Europe Ecologie et du PS. Ensemble, ces trois partis, réunis sous le nom du Nouveau Front Populaire, ou NFP, représentent un tiers de l’Assemblée. Au centre, on retrouve les Macronistes et les divers droites, et à droite toute, le Rassemblement National. Pour savoir quelle couleur politique devait avoir le ou la nouvelle Premier ministre, on pouvait se livrer à un petit jeu de calcul mental. Imaginons les différents partis sur une échelle de 0 à 10, 0 pour l’extrême gauche et 10 pour l’extrême droite. Le NFP, qui est la moyenne entre LFI, qui vaut bien 2 sur cette échelle, les verts 3 et le PS 4, vaut donc mathématiquement 3. A l’inverse le RN vaut bien 8 voire 9, disons 9, laissons le 10 à Reconquête et Eric Zemmour. Quant à la République en Marche, les Républicains et le Modem, on ne peut pas leur mettre 5 car ils penchent clairement à droite, donc 6. Calculons à présent : 3+6+9 = 18, 18 divisé par trois, puisqu’il y a trois tiers, égale 6 ! Voilà pourquoi Emmanuel Macron ne pouvait pas nommer ni Lucie Castets ni Bernard Caseneuve, car c’étaient des 3 ou des 4. Il lui fallait un 6, un homme politique de droite modérée. Certes, cela aurait pu être Xavier Bertrand mais Marine Le Pen ne peut pas le pifrer puisqu’ils s’affrontent sans cesse dans le Nord. Bayrou est plus un 5 qu’un 6, d’où le choix de Barnier. Voilà CQFD. Et puis Bayrou aurait semblé un choix trop proche du président, dans le sens où Emmanuel Macron sait ce qu’il doit à François Bayrou, qui rappelons-le, s’est désisté en 2017 à son profit. S’il avait joué les Chevènement ou les Taubira en se maintenant, il est possible qu’Emmanuel Macron aurait été doublé par Fillon, malgré ses casseroles judiciaires. Pour le remercier, celui-ci l’avait nommé Garde des Sceaux, ou ministre de la Justice, un siège éjectable puisque François Bayrou, rattrapé par une affaire sur les emplois fictifs au Modem, dut démissionner un mois plus tard. Cette histoire, restée comme un caillou dans la godasse de randonnée du Pyrénéen, aura sans doute contribué à le mettre à l’écart des prétendants au titre de PM.

Je fais une parenthèse sur les emplois fictifs. Les emplois « fictifs » existent en politique depuis une paire d’années et ils existent d’ailleurs encore. Lorsque j’ai passé un an au PS, juste avant l’élection de François Hollande en 2011/2012, le maire de ma ville était également PS. Pendant la campagne présidentielle de 2012, un certain nombre d’employés de la mairie ont été utilisés à des fins politiques pour Hollande (boîtage, marchés, etc.). Bien entendu, c’est normalement interdit puisqu’ils sont payés par la municipalité pour une tâche précise et non pour leur fonction au sein du parti. Pour ces dernières élections législatives, toujours le maire de ma ville, qui est cette fois de droite modérée, proche d’Edouard Philippe, s’est présenté. Et tous les adjoints ont été priés d’aller sur les marchés et participer à sa campagne. Ce ne sont pas des emplois fictifs au sens où ils existent et ils travaillent, contrairement à Pénélope Fillon, qui existait bel et bien elle aussi mais ne travaillait pas, ce sont des emplois fictifs parce qu’ils sont utilisés pour une autre mission que celle prévue sur leur contrat de travail ou leur mandat. Les emplois fictifs au Modem relevaient de la même logique, des assistants parlementaires européens, payés par l’Europe, travaillaient beaucoup plus pour le Modem que pour l’Europe. Emploi fictif donc, ou emploi détourné en quelque sorte ! Je ne cherche pas d’excuse à François Bayrou, je fais juste un point de contexte pour montrer que cette pratique a eu cours et a toujours cours, dans tous les partis, qui courent après l’argent pour payer leurs collaborateurs. Le RN aussi s’est fait alpaguer pour détournement d’emplois au niveau européen. Maintenant qu’ils sont riches, vu les subventions qu’ils touchent de l’Etat français eu égard à leur grand nombre de députés, ils n’ont plus besoin de ce subterfuge. Fin de la parenthèse !

L’essentiel n’est pas, cependant, de savoir qui est ou n’est pas le Premier ministre. L’essentiel est de savoir quelle politique il va mener, quel est le projet d’ensemble, avec qui il va gouverner, quels ministres, et combien de temps il va pouvoir tenir. Car Barnier a pour ainsi dire les pieds et les poings liés par le RN, ce que n’a pas manqué de rappeler Jordan Bardela, précisant qu’ils allaient le surveiller de près. Ambiance !

Emmanuel Macron s’était fait élire sur la promesse, entre autres, de faire barrage au RN et à leurs idées. Résultat des courses, il doit à présent gouverner avec eux, bien qu’il n’ait pas nommé un PM issu de leurs rangs. Le barrage était de bien piètre qualité, comme ceux que les enfants font sur la plage pour éviter que la mer monte et ensevelisse leur château. Malheureusement, on connaît déjà la fin de l’histoire. La mer monte inexorablement, engloutit le barrage, le château et tous les playmobiles qui s’agitent autour. Désolé gamin ! Et avec le réchauffement climatique, elle monte de plus en plus vite et de plus en plus haut.

Restons positifs néanmoins, il faut souhaiter pour notre vieux pays que le vieux singe Barnier réussisse sa mission. Il a de la bouteille en effet, il a su gérer le Brexit et bon nombre d’oppositions stériles au sein de l’UE, il a donc l’expérience suffisante pour parvenir à avancer. Reste à savoir dans quelle direction. Avec près de 6% de déficit budgétaire, un record européen, et une dette abyssale, la France est proche de la banqueroute. Bien qu’il ait grandi en montagne, il doit savoir qu’un marin qui n’a pas de cap ne va nulle part, il se contente de faire des ronds dans l’eau. Mais encore une fois, ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. Sera-t-il celui qui se masque les yeux, la bouche ou les oreilles, la suite au prochain épisode.

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