# SociétiX

343

10 octobre 2021

Penser au sort des femmes afghanes renvoie forcément à la question du droit des femmes de manière générale, ici ou là, ici et là, aujourd’hui comme hier.

En avril dernier, nous fêtions les 50 ans du Manifeste des 343, publié à l’époque dans Le Nouvel Observateur, 343 femmes affirmant avoir eu recours à l’avortement, certaines célèbres telles Gisèle Halimi, Françoise Sagan ou Marguerite Duras, la plupart totalement inconnues. Un manifeste qui ouvrit la voie vers le droit à l’avortement, légalisé en 1975 avec la loi Veil.

Quand on s’intéresse un peu dans l’histoire de ce manifeste, inspiré du Manifeste des 121 en faveur du droit à l’insoumission dans le cadre de la guerre d’Algérie publié en 1960, on se rend compte à quel point cette question de l’avortement était un point crucial, historique même, Simone de Beauvoir affirmant quant à elle que l’émancipation des femmes passait par le ventre. Et pour cause, chaque année entre 800 000 et un million de femmes se faisaient avorter dans l’illégalité, 5000 environ en mouraient. Car toutes n’avaient la chance, et surtout les moyens financiers, d’aller en Suisse. Alors elles se débrouillaient comme elles pouvaient : aiguilles à tricoter, pastilles de javel, queues de persil, branches de vignes ou de saule, fémur de poulet… sans parler des conséquences psychologiques et de la vindicte qui s’abattait sur elles si cela était amené à se savoir. Et ce n’est pas tout, certains médecins pratiquant cette intervention derrière le rideau en profitaient pour abuser de leurs patientes avant de pratiquer l’IVG, ils savaient que les malheureuses n’iraient jamais porter plainte compte tenu de leur volonté de garder le secret. En bref, avant 1975, tomber enceinte hors mariage et de manière non souhaitée, signifiait le début d’un véritable cauchemar, dont certaines ne sortaient pas vivantes.

Finalement, le manifeste est publié le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur avec comme titre « La liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter » ». Le texte final sera rédigé par Beauvoir : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Le texte provoque un véritable scandale à l’époque évidemment. Il résonne de manière étrange alors que ce droit à l’avortement libre est aujourd’hui contesté et remis en cause dans plusieurs pays du monde. Rien n’est jamais acquis pour toujours, le combat permanent.

L’église n’est pas en reste. Sur Radio Vatican, les commentateurs parlent de « génocide », de « four crématoire » et « d’hystérocratie ». On se dit en faisant un pont temporel entre ces réactions de l’époque et le rapport Sauvé paru cette semaine sur les abus sexuels perpétrés au sein de l’Eglise, que celle-ci aurait mieux fait de s’occuper du problème de la pédophilie des prêtres plutôt que de donner son avis sur des questions de société, qui ne la concernent pas et la dépassent totalement. Après il n’a jamais fallu compter sur l’Eglise ni sur le monde politique, massivement masculin et patriarcal, pour faire bouger les lignes. Le progrès ne se conquière que par la lutte.

Une lutte qui aura duré quatre ans entre la parution du Manifeste et la promulgation de la loi. Une période où le MLF et l’ensemble des sensibilités féministes a maintenu une pression constante sur le pouvoir en place. Une période marquée par des évènements forts et symboliques : grève de la faim d’adolescentes enceintes dans un foyer du Plessis-Robinson, les témoignages vibrants de femmes avortées à la Mutualité et le fameux procès de Marie-Claire Chevalier, une jeune femme de 16 ans poursuivie pour s’être fait avorter après avoir été violée. La gamine est violée, tombe enceinte et c’est elle qu’on poursuit devant les tribunaux, dans quel monde vivions-nous ? C’est l’avocate Gisèle Halimi qui la défendra et transformera son procès en « procès de l’avortement ». Dans ses conclusions, elle aura ces mots forts : « Nous, les femmes, nous, la moitié de l’humanité, nous nous sommes mises en marche. Je crois que nous n’accepterons plus que se perpétue cette oppression. »

Arrive alors 1974 et l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, un homme jeune dans un corps de vieux, le contraire de Macron, qui nomme Simone Veil au ministère de la Santé. On avait déjà Beauvoir, mais deux Simone valant mieux qu’une, celle-ci pris le dossier en main sur les volets politique et légal. Celle qui a connu les camps de concentration et y a perdu une bonne partie de sa famille, n’a pas froid aux yeux. Malgré les crachats, les insultes et les attaques plus violentes les unes que les autres, Simone Veil ira au bout.

Le 29 novembre 1974 à 3h40 du matin, la loi dépénalisant l’IVG est votée à l’Assemblée Nationale par 284 voix contre 189.

La France vient d’écrire une des plus grandes pages de son histoire.


Références

Il était une fois les 343, l’Obs n°2944, 01 avril 2021

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