# PhilosophiX

L’espoir fait-il vivre ?

6 mai 2021

Alors que les lycéens se préparent pour la fameuse épreuve de philo, le Covid et son lot de confinements à répétition, est propice à la réflexion, à l’introspection et aux questions existentielles et philosophiques.

Homère

La première fois que je me suis penché sur un sujet de philo, c’était également en terminale, la dernière fois aussi remarquez bien. Toute l’année, j’avais eu des notes lamentables. J’étais intéressé par les sujets mais je ne comprenais pas pourquoi il fallait systématiquement argumenter sur la base des idées des grands philosophes, ou des grands courants philosophiques, ce qui supposait de lire, et ça, à l’époque, il en était hors de question. Pourquoi ne pouvait-on pas philosopher en exposant simplement son point de vue, ses idées, plutôt que celles des autres, aussi illustres et inspirés fussent-ils ? Je l’ignore toujours. D’autant que la philosophie n’a pas changé depuis. Il y a quelques années, je suis allé à un cours de philosophie donné par Michel Onfray dans le cadre de son Université populaire. Nous étions des centaines, les plus chanceux avaient des sièges, les autres étaient par terre, dans les couloirs, adossés contre les murs ou carrément dans la rue si vous aviez eu la mauvaise idée d’arriver en retard, c’est dire l’engouement des gens pour cette matière. Onfray démarre sur les chapeaux de roue avec des Kierkegaard par ci, des Kant par là, des Nietzsche ceci Nietzsche cela, contrairement à la pensée cartésienne etc. etc. Il n’y a que moi qui pige rien où tout le monde fait semblant. Le même sentiment que j’avais ressenti en terminale m’assaillit, celui d’être un imbécile crasse, pas foutu de savoir ce à quoi le prof faisait référence, pas même capable d’orthographier le nom des philosophes correctement. Heureusement qu’aujourd’hui il y a Google et Wikipedia. La philosophie, c’était pour moi une sorte de poupée russe intellectuelle. On te parle d’un philosophe et tout à coup, au beau milieu de la phrase, on fait référence à un autre. Alors tu t’interroges sur ce dernier et bim, y en un autre de caché à l’intérieur et ainsi de suite jusqu’à ce que la mort cérébrale vous cueille, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie…bla bla bla. J’étais un idiot du village doublé d’un escroc.

Le jour du bac philo, je tombe sur un texte de Platon portant sur la vie en société, ne me demandez pas plus de détail, c’était il y a pratiquement trente ans. Evidemment, il fallait discuter les propos de l’auteur en l’opposant ou en le comparant à un autre. Mais alors lequel ? D’autant que je n’en connaissais pratiquement aucun. Et puis me vient une idée de génie, enfin de génie, une idée d’escroc, d’escroc génial quoi ! Je repense à un livre que nous devions lire pendant l’année qui s’appelait Le contrat social ou quelque chose dans ce goût là. Le gars s’appelait Rousseau, Jean-Jacques de son prénom, comme Goldman, m’étais-je souvenu. Contrat social, ça doit bien parler de société, une vague histoire de compromis entre les gens pour faire société, pour que tout ne parte pas en cacahuète comme les humains savent si souvent le faire. Je me suis donc mis à broder une argumentation de mon cru en me faisant passer pour Jean-Jacques Rousseau. Vous me croirez ou pas mais j’ai eu 16 ! Seize sur vingt, vous vous rendez compte ? Le prof qui a corrigé ma copie n’avait pas dû lire le livre non plus, je ne vois pas d’autre explication. Voilà donc mon rapport à la philosophie, je n’en suis pas fier mais ce souvenir m’amuse beaucoup je dois dire.

Seulement voilà, avec cette histoire de pandémie mondiale, nous sommes un peu tous au fond du trou psychologiquement. Où suis-je, où vais-je, dans quelle étagère ? La philosophie peut nous aider à sortir de là, c’est certain ! C’est en tout cas l’idée des magazines tels que Philosophie magazine ou encore Question de Philo, duquel j’ai tiré cette question majeure : l’espoir fait-il vivre ? (1) Bonne question n’est-ce pas ?

Homère y voit une attente de l’à-venir qui s’appuie sur une estimation rationnelle. Descartes affirme lui que l’espérance dérive du désir et remarque dans l’article 173 du traité Les Passions de l’âme (1649) que la hardiesse dépend de l’espérance, puisqu’il est nécessaire de penser qu’on a eu une chance de parvenir à ses fins pour pouvoir s’opposer avec vigueur aux difficultés qu’on rencontre. Il est certain que si on s’attaque à la face Nord de l’Everest en sandalettes, il vaut mieux avoir une bonne dose d’espérance dans le sac à dos.

Kant nous parle, dans La Critique de la raison pure (1781), d’une colombe qui vole vers les cieux – ils devaient en avoir de la bonne au XVIIIe siècle tout de même ! – pour évoquer le fait que l’espérance est néfaste en ceci qu’elle nous empêche de vivre l’instant présent. Et là, direct, je me vois dans une vieille école américaine en face du professeur Keating (2) qui me dit, carpeeee diiiieeemmm, carpe diem mes enfants, profitez du jour présent, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie – bon je sais j’ai déjà cité Ronsard.

Les nihilistes, Nietzsche en tête, nous disent que la vie c’est pourri, la vie n’a aucun sens, ni avant, ni maintenant, et surtout pas après. Heureusement, Bloch (Ersnt) nous redonne de l’espoir justement dans Le Principe Espérance (1954-1959) avec son « utopie concrète », tiens ça me rappelle l’utopie utile de Piketty, un principe selon lequel notre avenir est entre nos mains, à nous d’en faire ce que nous voulons qu’il soit. J’aime bien cette idée là moi.

J’accélère pour arriver à Paul Ricoeur, cité en préambule du dossier (1). Ricoeur dit en substance : « Rien ne m’est dû. Je n’attends rien pour moi, je ne demande rien. J’ai renoncé – j’essaie de renoncer ! – à réclamer, à revendiquer. Je dis : Dieu, tu feras ce que tu voudras de moi. Peut-être rien. J’accepte de n’être plus. Alors une autre espérance que le désir de continuer d’exister se lève ». Quand on sait qu’Emmanuel Macron fut en quelque sorte le disciple de Paul Ricoeur quand il était à Sciences Po, cette phrase prend tout à coup une autre dimension. On se demande si le destin hors du commun du jeune homme, y compris ce mandat présidentiel qui restera historique, est le fruit de l’espérance, de l’ambition ou du renoncement. Quant à moi, pour la prochaine élection, j’ai espoir qu’il renonce.

Pour terminer ce billet philosophique, je donne la parole au rappeur non moins philosophe Nekfeu.

Ce monde rend fou, tout le monde est en guerre han, han
Plus on s’renfloue et moins on voit clair han, han
Quand t’as pas d’argent, dans ce monde, t’as pas d’droit han, han
Y a ceux qui cassent un tête et ceux qui tapent à trois han, han
Combien d’fois j’ai volé par flemme de faire la queue? Han, han
Mon papa m’croit pas, mes sappes sentent le tabac froid han, han
On s’fait chier au taff, on attend les cances-va han, han
On s’parle derrière un ordi mais, en vrai, quand est-ce qu’on s’voit? Han, han

On verra bien ce que l’avenir nous réservera
On verra bien, vas-y, viens, on n’y pense pas
On verra bien ce que l’avenir nous réservera
On verra bien, on verra bien (3)


Références

(1) Dossier Vers une philosophie de l’espérance, quand l’espoir fait vivre. Question de philo N°21, avril-mai-juin 2021

(2) Le Cercle des Poètes disparus, film de Peter Weir avec l’irremplaçable Robin Williams. Carpe diem !

(3) Nekfeu, On verra bien

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