In cantu

Si on me demandait si je crois en Dieu, je répondrais comme Jean-Pierre Chevènement, qui fréquenta le lycée de mon quartier et devint quelques années plus tard ministre de l’Education Nationale, entre autres fonctions éminentes, que je suis d’un agnosticisme sceptique. C’est à dire, me direz-vous ? Eh bien , c’est à dire que je ne suis pas croyant mais je pense que l’essentiel échappe à notre compréhension, surtout depuis que la physique quantique existe.

J’ai assisté cette semaine à un concert du groupe de chant polyphonique corse In Cantu dans une petite église du centre d’Ajaccio. Et là, je dois dire que ces trois voix réunies m’ont transporté ailleurs, je ne sais pas vraiment où d’ailleurs, mais je n’étais plus là. Je me suis dit, nous sommes dans une église et je ne crois pas en Dieu tel que les hommes aiment se le représenter mais je crois dans la musique et dans le chant. Voilà ce en quoi je crois. La musique et le chant ont un pouvoir transcendental incroyable, la capacité de suspendre le temps et d’ouvrir l’espace. Cela m’est arrivé d’autres fois. A Strasbourg, au pied de la Cathédrale, un soir, un homme, mi-artiste mi clochard, chantait de sa voix cristalline devant ce lieu dont la construction avait nécessité des siècles d’énergie à des milliers d’autres hommes. Et moi j’étais là face à ce spectacle, tout petit. Ou lorsque je me suis retrouvé au premier rang d’un des premiers concerts d’Agnès Obel, assise à son piano à un mètre de moi, les anges passaient au dessus de ma tête par dizaines. Ou quand Maxime Nucci, alias Yodelice, prend sa guitare et fredonne Talk to me à Marion Cotillard dans Les petits mouchoirs devant les yeux hypnotisés des autres. Mais c’est qui ce mec avec sa tronche de Jesus Christ, me suis-dit. J’avoue que je ne le connaissais pas avant d’avoir vu le film. Si j’avais été homo, et présent sur le tournage bien sûr, j’aurais sauté sur la table et je lui aurais roulé une pelle. Oui je crois en la puissance surnaturelle de la musique et du chant.

Ils sont marrants ces Corses ! Entre chaque chant, il faut qu’ils nous glissent une charge politique, une revendication ou un éloge historique de l’ile et de ses habitants. La Corse a fait sa déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen en 1755, soit bien avant les Français et les Américains. Les Corses se sont libérés des Allemands en 1943 et sans l’aide des alliés. Les Corses ont recueilli et protégé les juifs de l’ile pendant que sur le continent on les dénonçait et les déportait par millions. Nous sommes dans une église, les gars entonnent des chants mi traditionnels mi religieux et ils trouvent le moyen et le temps de faire de l’histoire et de la politique. En même temps, je les comprends. Ils vivent dans un endroit béni des dieux, entre mer et montagnes, et si elle est si belle, l’ile de beauté comme on dit, c’est sans doute parce qu’ils l’aiment du fond de leur âme et ont su la protéger.

Ah oui j’oubliais, pour celles et ceux qui se le demandent, In cantu (prononcer « In cantou ») signifie En chantant, ce qui me ramène forcément à Sardou. La vie c’est moins désespérant, en chantant, n’est pas ?

Quand j’étais petit garçon
Je repassais mes leçons
En chantant
Et bien des années plus tard
Je chassais mes idées noires
En chantant
C’est beaucoup moins inquiétant
De parler du mauvais temps
En chantant
Et c’est tellement plus mignon
De se faire traiter de con
En chanson

La vie c’est plus marrant
C’est moins désespérant
En chantant